Montréal, 15 mai 2008 • No 256

 

OPINION

 

Mathieu Bréard habite à Montréal.

 
 

METTRE FIN À L’EMBARGO CONTRE CUBA

 

« L'embargo exprime la confusion entre vendetta et politique d'intérêt national. C'est une relique de la guerre froide. »

 

-George Miller, membre du Congrès des États-Unis (1994)

 
 

par Mathieu Bréard

 

          Il y a une certaine effervescence dans les rues de la Havane. Quelques privilégiées, hommes et femmes, font la queue devant les boutiques d’État afin de se procurer téléphones cellulaires, lecteurs DVD, ordinateurs personnels et autres équipements électroniques. C’est que depuis le départ de Fidel Castro à la tête de Cuba le 24 février dernier, son successeur et frère Raoul permet aux citoyens d’acquérir davantage de biens de consommation. Face à la stagnation des salaires et les mauvaises conditions de vie, il s’est engagé à faire certains changements structuraux afin d’améliorer la production. Plus pragmatique, on dit de lui qu’il aurait le regard tourné vers la Chine et le Vietnam où s’opère présentement une libéralisation progressive de l'économie et de la société.

 

          Si ces propositions de réforme paraissent timides aux yeux de certaines personnalités publiques dont le président George W. Bush et la fille de l’ancien leader Maximo, Alina Fernandez, elles doivent être absolument encouragées et saluées. Il se trouve que les États-Unis ont le pouvoir de donner un élan historique à ce mouvement en mettant fin à plus de quarante années d’isolement et de blocus ininterrompus de l’île de Cuba. Le mot d’ordre doit être celui de la promotion des échanges et la mise en place d’un tout nouveau partenariat économique entre les Amériques et le reste des Antilles.
 

Entre échec et mesures improductives

          Malheureusement, les présidents ont beau se succéder à Washington, la politique américaine à l’endroit de Cuba est au point mort, toujours prisonnière de ce carcan idéologique tout droit sorti du temps de la Guerre froide. Il est difficile de croire que cette île puisse encore susciter autant d'inquiétude. Son principal pourvoyeur a beau s'être effondré de lui-même en 1991, on a l'impression que la dynamique reste la même.

          Arpentant le couloir du Congrès, de vieux loups républicains influencés par le puissant lobby cubain de Miami s’obstinent toujours à dépeindre Cuba comme une menace à la sécurité nationale des États-Unis. Ils rejettent systématiquement toute politique d’ouverture envers ce dernier bastion communiste de la région. Pourtant, en 1998, le Defense Intelligence Agency en collaboration avec le Central Intelligence Agency a publié un rapport beaucoup moins alarmiste sur Cuba.

          On y apprend entre autres que depuis 1989, le potentiel militaire de la Havane n’a cessé de se détériorer à un point tel qu’aujourd’hui Cuba ne représente pas le moindre danger pour les États-Unis et les autres pays de la région. Ses forces sont avant tout destinées à la protection de son propre territoire. Bref, nous sommes en présence d’un combat entre David et Goliath où ce dernier semble avoir un vilain penchant pour l’autoritarisme.

          Si l’objectif derrière l’embargo américain contre Cuba est de promouvoir la liberté, reconnaissons que cette politique rate complètement la cible. Elle accentue davantage les désordres déjà visibles du communisme dans l’île qui affectent non pas les apparatchiks du régime, mais la population dans son ensemble, celle que l’on prétend aider avec le sourire.

          Les sanctions économiques sont des mesures improductives qui ne fonctionnent que très rarement pour précipiter la chute d’un gouvernement. Que ce soit en Iran ou en Corée du Nord, les résultats sont pratiquement les mêmes. Au cours des années, Fidel Castro a utilisé l’embargo dans ses nombreuses campagnes de propagande pour fidéliser la population à son message, tout en gardant un contrôle étroit sur sa façon de percevoir la réalité et de l’interpréter. En outre, les restrictions de l’État américain facilitent les dérives totalitaires du régime pour masquer sa propre responsabilité dans la catastrophe économique qui sévit au pays. On réussit beaucoup mieux à vendre la croyance que le soi-disant paradis cubain est une forteresse en état de siège, continuellement sous la menace étrangère.
 

« Si l’objectif derrière l’embargo américain contre Cuba est de promouvoir la liberté, reconnaissons que cette politique rate complètement la cible. »

 

Le double discours

          À l'heure où l'on encourage le libre commerce avec la Chine communiste et où la pression en faveur de réformes démocratiques pèse de plus en plus lourd sur Pékin, l'île de Cuba est probablement le parfait exemple de l'incohérence et du double standard qui semble exister en matière de sanctions à Washington. La Chine n’est-elle pas une puissance nucléaire majeure disposant d’effectifs militaires considérables en Asie? Et même si le pays n’a pas un dossier bien reluisant en matière de respect des droits de l’homme, il représente quand même le troisième partenaire économique des États-Unis. Les hommes d’affaires se bousculent aux portes de Pékin et de Shanghai pour signer des contrats et y faire des investissements majeurs. Le président américain lui-même s’oppose au boycott du Dragon rouge, vantant plutôt les vertus du commerce pour faciliter l’enrichissement tout en étant un outil d’éveil pour d’éventuelles réformes sur le plan domestique. Une population qui acquiert davantage de liberté économique réclame tôt ou tard davantage de libertés individuelles. N’est-ce pas être borné que de continuer à défendre un traitement différent pour la toute petite île de Cuba?

          Des occasions d’affaires avortées, des profits perdus, des marchés qui ne se développent pas sont autant de frustrations que vivent quotidiennement les entrepreneurs américains confrontés aux restrictions contre Cuba au détriment des consommateurs cubains. Selon la US Trade Commission, les sanctions ont, entre autres, un impact défavorable sur l’industrie portuaire privée de ligne de transport avec Cuba et sur l’industrie aérienne qui pourrait transporter des milliers de touristes dans l’île. Les producteurs agricoles aussi sont touchés. On estime que les exportations de boeuf, de porc et de volaille à Cuba en l’absence de sanction représenteraient de 62 à 76 millions de dollars par année.

          Les États-Unis ne peuvent tolérer plus longtemps cette situation et doivent envisager des mesures concrètes. Il faut:

• abolir le Trading with the Enemy Act afin que les citoyens américains puissent se rendre librement dans l'ile de Cuba et commercer avec la population sans craindre de poursuites devant les tribunaux;
• accorder l'amnistie à tous les Américains ayant voyagé à Cuba ou y ayant dépensé leur argent;
• lever tous les contrôles sur la libre circulation des biens et des services entre les États-Unis et Cuba;
• dégeler les actifs cubains en sol américain et toutes les transactions financières entre Cuba et les États-Unis;
• abroger la loi Helms-Burton dont l'application extraterritoriale nuit aux sociétés étrangères qui souhaitent investir à Cuba sans restriction;
fermer la prison de Guantanamo sur le territoire cubain. Ce camp de torture est contraire aux fondements de la justice et de la constitution américaine. Il envoie un message contradictoire au reste du monde.

          La fin de l’embargo contre Cuba tournera définitivement la page sur une période sombre de l’histoire et permettra enfin d'envisager l'avenir sous de nouvelles perspectives. Devant la levée des sanctions économiques, Raoul Castro ne pourra cacher bien longtemps les revers de la révolution marxiste au reste de la population. Tôt ou tard, il sera forcé de prendre certaines décisions, ne pouvant plus utiliser les États-Unis comme bouc émissaire. Il ne pourra que se blâmer lui-même si les choses continuent à mal aller.

          Saluant cette politique d'ouverture envers Cuba, le reste de la communauté internationale dont l'Union européenne ne manquera pas de proposer un élargissement des échanges avec l'île. D'ailleurs, nombre d'entrepreneurs étrangers sont déjà présents sur place et investissent dans divers projets en exploitation minière, pétrole, gaz naturel, agriculture, immobilière et dans le domaine touristique. La compagnie Nestlé y vend de la crème glacée et des boissons gazeuses, Brewer Inbev, de la bière, Unilever & Evergreen, du shampoing et autres produits d'hygiène, le groupe BM construit des bâtiments commerciaux et la société française Pernod-Picart, ayant fondé une distillerie de concert avec le Havana Club, souhaiterait profiter de la levée des sanctions pour vendre aux États-Unis.

          Il est inconcevable que les entrepreneurs américains et les consommateurs cubains n'aient pas droit au chapitre, victimes d’une politique étatique ayant fait son temps.
 

 

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