Montréal, 15 octobre 2008 • No 260

 

LIBRE EXPRESSION

 

Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du Québécois Libre.

 
 

LES QUÉBÉCOIS BOUDENT-ILS
LE CINÉMA QUÉBÉCOIS?

 

« On aime nos artistes, en autant que ça ne nous coûte pas une cenne pour les voir... »

 

–Richard Martineau,
Le Journal de Montréal, 25 septembre 2008

 
 

par Gilles Guénette

 

          Le mois dernier, une série d’articles dans La Presse faisait état d’un été lamentable pour le cinéma québécois. Inutile de dire qu’on s’en est donné à coeur joie sur les possibles causes de ce désintérêt des Québécois pour leur cinéma national – à ma grande surprise, aucun artiste n’a parlé de censure pour qualifier ce manque d’intérêt... Ce qui revenait souvent dans les commentaires était que les Québécois boudent leur cinéma. Et si c’était l’inverse? Et si c’était « le cinéma québécois » qui boude les Québécois?

 

Deux temps, trois mouvements

          En l’an 2000, le taux d’assistance pour les films québécois était de 4%. Trois ans plus tard, les productions québécoises récoltaient des revenus records de 22,8 M$ aux guichets, soit 12,8% des recettes totales des cinémas d'ici. Le nombre de spectateurs s'était aussi élevé à un niveau historique de 3,75 M pour les films produits ici, neuf fois plus qu'une décennie auparavant.

          En 2005, l’assistance aux films québécois atteignait de nouveaux sommets avec 5 millions d’entrées, ce qui équivalait à 18,9% de toute l’assistance. L’Institut de la statistique de la province déclarait alors que « les résultats exceptionnels du cinéma québécois au cours de [2005] couronnent cinq années d’une croissance extrêmement vigoureuse, durant lesquelles le taux de croissance annuel moyen de l’assistance aux films québécois a été de 30,6%, tandis que celui des films de pays étrangers a été négatif, soit de - 4,8%. »

          Durant cette période, des films comme Séraphin, un homme et son péché, Les Invasions barbares, La Grande séduction, C.R.A.Z.Y., Le Survenant, Horloge biologique, Aurore, Maurice Richard, Bon Cop, Bad Cop, pour ne nommer que ceux-là, ont été plusieurs fois millionnaires. Certains se retrouvant même parmi les films les plus populaires de l'année, toutes origines confondues, sur les écrans de la Belle Province.

          Les chroniqueurs culturels, devant le succès de notre industrie cinématographique, clamaient que « le cinéma québécois avait enfin trouvé son public ». Certains parlaient même de petit âge d’or du cinéma québécois. Comme si quelqu’un quelque part avait poussé une switch et que plus rien ne serait comme avant. Un cas généralisé de wishful thinking, si vous voulez – du moins dans le petit milieu du cinéma. Là où ils auraient dû voir le succès d’une poignée de films, ils ont vu une tendance lourde.

          Depuis, la situation a évolué. Comme le moral des critiques de cinéma, il est allé vers le bas. Cette année, le cinéma québécois a attiré beaucoup moins de spectateurs en salle. Pour l’été qui s’achève, la part du cinéma québécois dans les recettes totales du cinéma a dégringolé en deçà des 10%, son plus faible niveau en six ans. Comment expliquer cette nouvelle « crise »?
 

C’est pas moi, je le jure

          Chacun avance une raison pour expliquer cette pauvre performance. Les films ne sont pas suffisamment « fédérateurs » – whatever that means. Leur mise en marché « n’a pas été à la hauteur ». Les stratégies de sortie ont été déficientes. Les périodes de projection, pas assez longues. Les budgets de production, trop petits. Le nombre de productions québécoises offertes, trop élevés.

          Un producteur estime qu’il faut peut-être « revoir nos stratégies de sortie. Il y a des méthodes de distribution qu'on peut raffiner pour sortir des films différemment, peut-être aller chercher les jeunes de façon plus efficace », poursuit-il, alors que le film Le banquet a engrangé, pour sa première semaine en salle, des recettes inférieures à 60 000 $ sur 13 écrans.

          Une productrice souhaiterait voir les films demeurer plus longtemps à l'affiche pour améliorer le sort de notre cinématographie: « Beaucoup d'argent est dépensé en promotion, et pour faire le plus d'argent le plus vite possible, on ne laisse pas les films à l'écran suffisamment longtemps pour que le bouche-à-oreille fonctionne. »
 

« Des films déprimants, sans héros ou mettant en scène des personnages de paumés attirent rarement les foules. Dommage, le Québec est passé maître dans le genre. »


          Comme c’est souvent le cas, le problème est tout sauf relié à l’objet comme tel: le film. Les films, leurs histoires, les comédiens qui y jouent, la réalisation, tout cela entre rarement en ligne de compte. Pourtant, un film dont l’histoire est trop songée (trop « Plateau »), n’attirera pas autant qu’un autre dont l’histoire est susceptible d’intéresser un large public. Des films déprimants, sans héros ou mettant en scène des personnages de paumés attirent rarement les foules. Dommage, le Québec est passé maître dans le genre (lire « La fête triste » de Pascal Henrard à ce sujet).

          On aura beau revoir nos façons de promouvoir les films, si le produit d’origine ne plaît pas, il ne plaira pas plus. Le piège américain, malgré une campagne de promotion monstre, a engrangé moins d'un demi-million de dollars au box-office. L’histoire d’Hollywood est truffée de cas de blockbusters ayant coûté plusieurs millions de dollars accompagnés de campagnes de promotions de plusieurs millions de dollars qui ont mordu la poussière.

          Pour ce qui est du bouche-à-oreille, il n’a jamais eu autant de temps (et d’outils) pour se faire – surtout à l’ère d’Internet et de Facebook. Le bouche-à-oreille est comme une traînée de poudre; il n’a pas besoin de temps pour se faire. C’est peut-être justement parce que le bouche-à-oreille opère que les films d’ici ne pognent pas. Il s’agit qu’une personne n’aie pas aimé un film, qu’elle le dise à une amie, qui le dit à un ami…
 

C'pas pareil

          Et si nos attentes étaient trop élevées, se demande le chroniqueur de La Presse, Marc Cassivi. Il trouve suspect « que les résultats au box-office de films d'auteur grand public tels Maman est chez le coiffeur de Léa Pool (environ 630 000 $ de recettes) ou Un été sans point ni coup sûr de Francis Leclerc (quelque 770 000 $) ne soient pas satisfaisants ». Selon lui, l’industrie a les yeux plus grands que la panse.

          Au-delà du fait qu’on ne devrait peut-être pas tout voir sous le prisme de l’économie – comme le soulignent souvent les amis du milieu –, il y a manifestement un problème avec notre cinéma lorsqu’année après année, des réalisateurs font des films qui coûtent plusieurs millions de dollars en fonds publics et que presque personne ne va voir.

          Si la production de films au Québec reposait sur du financement privé, on pourrait effectivement se balancer des piètres performances. Mais ça n’est pas le cas. Nous payons cher pour des films qu’à peine quelques centaines de personnes voient – des personnes qu’on peut soupçonner être souvent les mêmes...

          Si les projets de films étaient décidés par les acteurs du marché (et non par des fonctionnaires), peut-être que notre cinéma répondrait davantage aux attentes du public? Peut-être que ses recettes seraient supérieures? De même, si les producteurs investissaient leur propre argent, plutôt que le nôtre, qu’ils ont obtenu en remplissant de la paperasse, peut-être qu’ils privilégieraient davantage des films plus susceptibles de répondre à une demande. En tout cas, La Presse ne ferait pas des dossiers une fois l’an sur les pertes et soubresauts du secteur.
 

Réalité 101

          Le retrait du secteur public dans le financement des longs métrages au Québec n’est certes pas pour demain. On l’a vu avec la réaction des artistes aux quelques millions de dollars coupés par le gouvernement Harper: ils tiennent à leurs programmes. Ces derniers leur permettent de faire des films « importants », « courageux », « complètement déprimants » ou « audacieux », comme disent les critiques. Et si le cinéphiles les ignorent, eh bien soit. Ils n’ont pas besoin d'eux pour produire leurs films.

          En fait, ce n’est pas « le cinéma québécois » que les Québécois boudent, ce sont plutôt les films que le milieu leur offre qu’ils ne vont pas voir. Quand le milieu leur offre ce qu’ils veulent, comme il y a trois ans, ils se déplacent. Dans ce sens, il ne faut pas se dire que les Québécois boudent notre cinéma, mais plutôt que l’industrie du cinéma boude son public – en ne lui donnant pas le genre de films qu’il veut.
 

 

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