Montréal, 15 mai 2009 • No 267

 

Mark Thornton est chercheur au Ludwig von Mises Institute et l'un des éditeurs au Quarterly Journal of Austrian Economics.

 

 

OPINION

Le monde à l'envers de John Maynard Keynes *

 

par Mark Thornton

 

          John Maynard Keynes usait souvent d’un langage fleuri, parlant par exemple d’« esprit animal » et du « piège de la liquidité » pour décrire ce qui échappait à sa compréhension. Il était, après tout, un bureaucrate plutôt qu’un économiste. On devrait en fait le décrire comme un anti-économiste puisqu’il évitait des concepts tels que l’offre et de la demande et soutenait l’idée que le gouvernement pouvait gérer l’économie.

 

          Il ne comprenait pas, par exemple, pourquoi les gens investiraient dans des projets risqués qui susciteraient une croissance économique dans un contexte de plein emploi. C’est pourquoi il a substitué les « esprits animaux » à la recherche du profit comme raison d’agir. D’après lui, ces « esprits » permettent aux entrepreneurs d’aller de l’avant avec une confiance naïve, sans se soucier de la possibilité de pertes. De plus, un manque d’investissement serait lui aussi dû à un problème psychologique qu’il nommait le « piège de la liquidité ». Ce piège se manifeste quand les investisseurs cherchent d’abord à garder de l’argent comptant liquide et quand la politique monétaire – en termes de baisse de taux d’intérêts – n’arrive plus à faire augmenter les investissements.

          Le problème avec Keynes est qu’il pensait que dans le cas où les entrepreneurs perdent collectivement leurs moyens, le gouvernement devrait socialiser l’investissement, soutenir la demande et assurer un retour au plein emploi dans l’économie. Il ne comprenait pas le fonctionnement de l’économie et ne pouvait donc pas comprendre comment l’économie se corrigerait lorsqu’une contraction se produit.

          Ce qui nous place aujourd’hui dans le pétrin, c’est que Bush, Obama, Geithner et Summers suivent tous la partition de Keynes, avec le lauréat Nobel Paul Krugman comme chef d’orchestre. Si nous avions au contraire laissé le processus du libre marché fonctionner, l’économie aurait déjà touché le fond du baril, des compagnies comme AIG seraient en train d’émerger de la faillite et le taux de chômage serait en décroissance au lieu de monter en flèche.

          Le processus du marché a été enfreint après seulement quelques mois de contraction économique et, au cours des 15 derniers mois, a été remplacé presque entièrement par l’intervention de l’État. Plusieurs de ces interventions ont été décrites comme du jamais vu, dans le sens qu’elles n’ont jamais été essayées. Ni les participants du marché, ni les stratèges n’ont d’expérience dans leur mise en oeuvre – et ça parait.

          Cette série d’interventions a été adoptée de manière désordonnée. Plusieurs d’entre elles, telle que l’acquisition d’AIG, étaient totalement inattendues, ce qui a exacerbé la volatilité des marchés boursiers. De plus, elles ont été d’une ampleur sans précédent. L’argent « alloué » s’élève au total à plus de 12 billions $.

          Ironiquement, en adoptant la position de Keynes voulant que nous ayons perdu nos « esprits animaux » et que nous soyons victimes du problème psychologique qu’est la peur, le gouvernement a procédé à des changements de politique extrêmes qui restreignent grandement la recherche du profit. Les entrepreneurs ne cherchent plus les opportunités de faire des profits. Au lieu de ça, ils sont plus portés à tenter de conserver leur capital ou à faire la queue pour bénéficier d’un plan de sauvetage.

          Pour conserver son capital, on doit placer son argent dans des actifs sûrs comme des obligations gouvernementales, de l’argent comptant, des certificats de dépôt et de l’or. Les gens économisent davantage et diminuent leur niveau d’endettement afin de se protéger mais, du point de vue keynésien, nous sommes tombés dans le dangereux « piège de la liquidité ».

          Pour Keynes, le « piège de la liquidité » se manifeste quand les consommateurs effrayés se mettent à épargner et à moins dépenser. Il soutenait que la baisse de la consommation aurait un effet négatif sur les entreprises, la production et l’emploi. Les revenus plus bas qui en résulteraient seraient donc la preuve que cette tentative d’épargner empire en réalité la situation économique.
 

« Pour Keynes, le "piège de la liquidité" se manifeste quand les consommateurs effrayés se mettent à épargner et à moins dépenser. Il soutenait que la baisse de la consommation aurait un effet négatif sur les entreprises, la production et l’emploi. »


          Cette notion de piège de la liquidité concerne en fait l’accumulation de réserves et l’épargne. Bien qu’elle soit mal vue des économistes, l’accumulation de réserves (ou thésaurisation) est en réalité une très bonne chose. Habituellement, les gens n’accumulent pas de ressources de façon irrationnelle et sans raison; c’est simplement une façon de se protéger d’une situation dangereuse. Les dépressions, l’inflation, les guerres et autres calamités sont des raisons typiques qui expliquent ce comportement.

          Non seulement l’augmentation de l’épargne aide-t-elle l’économie, mais la thésaurisation facilite le processus de déflation et la déflation aide à la reprise. Si les gens réduisent leur consommation (demande), alors les prix baissent, en particulier dans les premiers stades du processus de production. Au fur et à mesure que tous les types de ressources et de marchandises deviennent meilleur marché, y compris la main-d’oeuvre, le pouvoir d’achat de chaque dollar mis de côté augmente. Tous les prix qui ont été surenchéris pendant le boom, particulièrement les terrains, le capital et une variété d’actifs, sont restaurés à un niveau inférieur. Les dettes sont liquidées, l’épargne est rétablie et un retour à la prospérité se fait sentir d’abord chez les producteurs et ensuite chez les consommateurs. Ainsi donc, la thésaurisation accélère la déflation et la déflation accélère le processus de correction.

          Les adeptes de la philosophie de Keynes ont peur de cette évolution car ils ne comprennent pas comment elle peut mener au plein emploi et à la croissance économique. J’ai donné à cette peur le nom d’apoplithorismosphobie. Joseph Salerno a démontré qu’il n’y a aucune base théorique à cette peur et Greg Kaza a démontré qu’elle n’a aucune base empirique non plus. Ironiquement, ce sont les politiques keynésiennes telles que les plans de sauvetage, les plans de relance et l’inflation que l’on devrait craindre, parce qu’elles menacent nos esprits animaux à la recherche du profit et nous emprisonnent dans le piège de la liquidité pendant des années.

          La thésaurisation normalise éventuellement la plupart des bilans financiers mais, dans une économie dominée par les notions keynésiennes, ceci prend un temps extrêmement long. Pendant cette période, les gens deviennent méfiants envers le marché et l’investissement. Ils accumulent des réserves en permanence. C’est ce qui est arrivé aux Américains qui ont vécu la Grande Dépression. La frugalité et le sens de l’épargne, bien qu’étant des vertus admirables, sont devenus une sorte de blocage psychologique qu’ils ont traîné toute leur vie.

          Les politiques keynésiennes ont entraîné des désastres tels que la Grande Dépression, la stagflation des années 1970 à 1982 et la période de croissance nulle qui a suivi l’éclatement de la bulle économique au Japon. Chaque période a duré plus d’une décennie. Il serait de loin préférable de laisser le processus de correction du marché se dérouler sans lui faire obstruction. Sans le filet de sécurité et les plans de sauvetage du gouvernement, il y aurait plus de thésaurisation, une déflation plus rapide, plus de faillites et un retour rapide à la prospérité.

          Même si la faillite semble être une expérience épouvantable, c’est en réalité un mécanisme permettant d’obtenir des résultats très sains et de manière ordonnée. Premièrement, elle corrige rapidement les bilans financiers. Les administrateurs et propriétaires responsables des décisions trop risquées sont facilement déplacés. Pas question de primes dans ce cas! Quelques entreprises cesseront carrément leurs opérations et leurs ressources seront vendues à l’enchère à prix très bas. Je présume que les douzaines de nouvelles entreprises innovantes qui tentent en ce moment de commercialiser des voitures électriques aimeraient bien avoir la chance d’acheter une usine au Michigan pour une fraction du prix initial. D’autres entreprises continueront leurs opérations et garderont la plupart de leurs employés, mais la faillite leur permettra de réduire leurs dettes et de renégocier leurs contrats et les ententes salariales.

          L’environnement qui suit les faillites est peuplé de nouveaux propriétaires et opérateurs, moins endettés et ne souffrant pas d’un manque d’« esprits animaux ». Les entreprises auraient moins de dettes et donc une structure plus stable. Quelques consommateurs auraient de l’argent plein les poches, puisqu’ils l’auraient amassé, et auraient la chance de s’approvisionner à des prix plus bas. L’économie pourrait alors reprendre et rapidement atteindre le plein emploi et la croissance. Il est important de souligner qu’en s’abstenant de renflouer des entreprises faibles, on évite l’aléa moral qui fait croire aux entrepreneurs qu’ils seront de nouveau renfloués en cas de troubles financiers dans l’avenir.

          Les keynésiens, ne comprenant pas le fonctionnement du marché, considèrent ce scénario comme étant fantaisiste. C’est en suivant les leçons de l’école autrichienne, soit de permettre la liquidation des sociétés en faillite et des dettes, laisser les prix diminuer sans inflation monétaire, ne pas maintenir artificiellement le niveau d’emploi ou subventionner le chômage, et ne pas décourager la thésaurisation, que l’on retrouvera le plus rapidement le chemin de la reprise et que l’on minimisera l’ampleur des souffrances économiques.

 

* Texte original par Mark Thornton, « The Upside-down World of John Maynard Keynes » publié sur le site de l'Institut Ludwig von Mises le 23 avril 2009 et traduit par Catherine LeBoeuf.

 

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