Montréal, 15 septembre 2011 • No 292

 

Vincent Geloso est candidat au doctorat en histoire économique à la London School of Economics and Political Science.

 

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La loi 25 ou comment tuer
les arts et les sports

 

par Vincent Geloso

 

          En juin dernier, les journaux révélaient que le ministre québécois de la Justice, Jean-Marc Fournier, avait déposé à l'Assemblée nationale le projet de loi 25, qui vise à interdire la revente de billets pour des événements sportif ou artistiques à un prix supérieur au prix d'origine. Cette loi permettrait à l'Office de protection du consommateur de punir des organisations comme billets.ca et 514-billets.com qui agissent pour faciliter la revente de billets. Même si cette loi n'interdirait pas la revente entre individus, elle interdirait le « scalping » en ligne qui constitue la plus grande source d'achats de billets de seconde main. En somme, cette loi viendrait anéantir le marché de la revente de billets.

 

          Applaudie par plusieurs, peu réalisent que cette loi pourrait entraîner des problèmes significatifs pour les consommateurs, des risques importants pour les organisateurs d'événements et même un possible fardeau additionnel pour les contribuables du Québec.

Le marché de la revente – un service essentiel

          Les revendeurs ont mauvaise presse puisqu'ils sont perçus comme des intermédiaires inutiles qui se ruent sur les billets dès qu'ils sont mis en vente et qui les revendent ensuite à un prix bien supérieur. Avant de croire cela, il faut comprendre que la quantité de billets pour tout événement, spectacles ou match sportif est limitée. Une demande de billets plus importante créera donc, par effet de rareté, une augmentation des prix. C'est en prenant avantage d'une mauvaise évaluation du marché par les organisateurs que les revendeurs font leurs profits. Bref, tout ce qu'on voit, ce sont les consommateurs qui paient davantage pour leurs billets – d'où l'indignation contre les revendeurs.

          Toutefois, un spectateur qui accepte de donner 200 $ à un « scalpeur » en échange d'un billet estime que la valeur qu'il retire de ce billet est égale ou supérieure à 200 $ et ce, même si le prix original du billet était de 50 $. Imaginons maintenant que le scalpeur n'avait pas le droit d'exercer son métier. On peut penser que le spectateur aurait épargné 150 $, mais aurait-il vraiment réussi à obtenir le billet? À un prix plus bas, il y aurait un plus grand nombre d'individus qui voudront en acquérir. Cependant, les billets iront selon le principe du premier arrivé, premier servi. Ainsi, ceux qui se seront présentés en premier à la billetterie obtiendront des billets même si d'autres consommateurs valorisaient davantage ces billets.

          En gros, si les organisateurs d'événements culturels et sportifs sous-estiment le prix qu'ils peuvent exiger, les « scalpeurs » peuvent intervenir en revendant les billets à ceux qui les désirent le plus ardemment. Ils servent donc l'intérêt des consommateurs.

          À titre d'illustration, on peut regarder le cas des États-Unis où quelques États (dont celui de New York) ont libéralisé la revente de billets(1). On a pu observer que les salles et arénas étaient plus souvent remplis grâce aux revendeurs de billets utilisant des sites similaires à ceux qu'on chercher à interdire au Québec. En effet, le nombre de spectateurs a augmenté de près de 40% dans certaines sections parce que ceux qui avaient obtenu des billets les valorisaient véritablement.

          Les revendeurs servent aussi l'intérêt des organisateurs d'événements sportifs et culturels. Lorsqu'ils organisent des spectacles, matchs ou représentations, ils doivent se concentrer sur des centaines de tâches pour préparer leurs activités: logistique, liens avec l'artiste, publicité, maintenance, administration, sécurité, etc. Cependant, les revendeurs n'ont qu'une seule activité sur laquelle se concentrer: recueillir toute l'information possible sur la demande de billets. Ils sont donc des « spécialistes de l'information ». Si les organisateurs devaient aussi essayer d'évaluer le bon prix à exiger pour maximiser leurs profits, ils leur faudrait déployer énormément d'efforts, temps et ressources (en plus de toutes les autres tâches qu'ils doivent réaliser) et ils assumeraient un risque de plus.

          Pour les organisateurs, « trouver le bon prix » est plus risqué que pour les revendeurs. Les revendeurs adaptent les prix en fonction de la demande qu'ils observent, mais les organisateurs doivent le deviner et ont moins de possibilités de corriger après coup. S'ils demandent un prix trop élevé, ils seront incapables de remplir la salle et perdront de l'argent. En plus, ils obtiendront des rentes moins grandes des restaurateurs et boutiquiers établis dans leur enceinte puisque ceux-ci auront une clientèle plus restreinte. Ils auront aussi des revenus de publicité plus faibles puisque ceux-ci sont déterminés par le nombre de personnes qui observent les annonces publicitaires.
 

« Quelles seraient les conséquences de l'interdiction de revendre revente de billets pour des événements sportifs ou artistiques à un prix supérieur au prix d'origine? On peut s'attendre à une grande perte de flexibilité pour les consommateurs. »


          S'ils exigent un prix trop faible, la demande sera trop élevée et les billets seront alloués selon la base du premier arrivé, premier servi et non pas selon la volonté de payer pour assister à l'événement. Dans ce cas, les organisateurs perdront des clients qui auraient pu devenir des clients fidèles et qui auraient été plus susceptibles d'assister à la représentation (au lieu de simplement acheter le billet).

          Quand les revendeurs existent, ils permettent aux organisateurs de ne pas assumer ce risque colossal. Grâce à l'existence de sites de revente comme 514-billets.com et billets.ca, les organisateurs demandent un prix plus bas dans le but d'avoir une salle comble tout en réalisant un profit acceptable. Ensuite, les revendeurs redistribuent les billets selon la base du désir véritable des détenteurs (et détenteurs potentiels) de billets. Ils assument donc tous les risques et sont des spécialistes dans la gestion de ce risque. Somme toute, en assurant un certain revenu à l'organisateur, les revendeurs (scalpeurs et consommateurs qui revendent leurs billets) permettent de réduire les risques d'organiser une représentation et permettent donc une augmentation de l'offre d'événements culturels et sportifs(2).
 

Les effets pervers de la loi 25

          Quelles seraient donc les conséquences de l'interdiction de revendre revente de billets pour des événements sportifs ou artistiques à un prix supérieur au prix d'origine? On peut s'attendre à une grande perte de flexibilité pour les consommateurs. Non seulement n'obtiendront-ils peut-être pas des billets pour les événements auxquels ils désirent vraiment assister, mais il leur sera plus difficile de se départir de billets de grande valeur. Rappelons que les revendeurs ne sont pas tous des scalpeurs.

          Prenons l'exemple d'un consommateur qui achète des billets de saison pour les Canadiens de Montréal alors que l'équipe se rend en séries éliminatoires. Cependant, ce consommateur est appelé à aller en voyage d'affaires au même moment. Puisque les prix des billets pour des événements sportifs en revente dépendent en grande partie du succès d'une équipe et du nombre de victoires, ce consommateur se retrouve en possession de billets d'une grande valeur que plusieurs voudraient se procurer(3). Grâce à la revente et à la demande accrue (qui, comme nous l'avons démontré, fait augmenter les prix), il a une plus grande incitation à mettre ses billets en vente sur des sites comme billets.ca. Il peut non seulement se départir de ses billets inutilisables, mais il peut (en plus) recouvrir une partie de la valeur perdue tout en permettant à quelqu'un d'autre qui désire vraiment assister au match de prendre sa place.

          Comme on a pu l'observer avec le cas des États-Unis, la grande majorité des revendeurs sur les sites de revente comme stubhub n'étaient que de simples spectateurs qui ne pouvaient pas participer aux matchs ou qui n'étaient plus intéressés(4). La revente aide les consommateurs le plus lorsque les billets sont moins difficiles à trouver. Ainsi, c'est avec des sites comme billets.ca ou 514-billets.com que les revendeurs aident le plus les consommateurs désireux d'obtenir des billets à devenir satisfait(5).

          D'autre part, si la loi 25 est adoptée, les organisateurs devraient assumer un risque accru et ils seraient forcés soit de réduire leurs activités, soit de cesser de prendre des risques avec des artistes ou équipes moins connus. Puisque les revendeurs permettent de remplir les salles plus efficacement, leur disparation entraînerait une réduction soit dans la « quantité » de l'offre d'événements sportifs ou culturels soit dans la « qualité » de ceux – peut-être même les deux.

          Tout cela implique un risque pour les contribuables. La profitabilité des événements organisés deviendra moins sûre et comme le contre-exemple des États-Unis nous le démontre, les salles seront aussi moins combles et les rentes provenant des boutiquiers et restaurateurs dans les arénas ou salles de concerts diminueront. Des salles moins combles signifient que les revenus de publicité et les revenus des boutiquiers et restaurateurs seront moins grands Par conséquent, plusieurs organisateurs feront face à une situation financière plus difficile et demanderont peut-être une intervention de l'État sous la forme d'une subvention. Ainsi, le contribuable se retrouvera peut-être aussi à payer alors que grâce à la revente, les organisateurs étaient assurés d'un certain revenu(6).

Conclusion

          Les revendeurs de billets existeront toujours tant et aussi longtemps que les organisateurs d'événements seront moins efficaces qu'eux pour évaluer la véritable demande (et donc le prix) pour les billets disponibles. Ils agiront donc toujours comme des experts de la gestion du risque qui facilitent l'organisation d'événements culturels. Si on veut voir les sites de revente de disparaître, la seule solution consiste à innover. Une loi interdisant la revente ne fera que nuire aux consommateurs et aux organisateurs. Par conséquent, on peut espérer que la loi 25 proposée par le ministre Fournier soit abandonnée.

 

1. David E. Harrington, « Uncapping Ticket Markets », Regulation 33-3, 2010, p. 6-12.
2. Pascal Courty, « Some Economics of Ticket Resale », Journal of Economic Perspectives 17-2, 2003, p. 85-97.
3. David E. Harrington, « Lessons from a Scalper », Regulation 32-1, 2009, p. 16-20.
4. Voir note 1.
5. Philippe Leslie et Alan Sorenson, The Welfare Effects of Ticket Resale, New York, National Bureau of Economic Research, 2008.
6. Daniel W. Elfenbein, Do Anti-Ticket Scalping Laws Make A Difference Online? Evidence from Internet Sales of NFL tickets. Working Paper, John Olin Business School at Washington University in St- Louis, 2006.

 

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