Winston Churchill, héros de la liberté ou criminel de guerre? | Version imprimée
par Manuel Pasquale*
Le Québécois Libre, 15 avril 2016, no 341
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Devenir libertarien peut être émotionnellement difficile puisque nous sommes tous, tout au long de nos vies, influencés, voire endoctrinés, à croire que l'État est l'unique solution à plusieurs problèmes de la vie. Pour ma part, lorsque j’étais marxiste, c'était de l'hérésie d'entendre dire que le libre marché était une bonne chose et que ce serait encore mieux sans intervention de l'État. Je réalise aussi que même dans le milieu libertarien, si petit soit-il, il existe encore des icônes sacrées, comme Winston Churchill par exemple.

« He was a man of the State, of the warfare-state, and of the welfare-state... » C'est ainsi que l'historien libertarien Ralph Raico du Mises Institute présente Churchill. Considérant que la philosophie libertarienne s'oppose à l'État au lieu de le servir, c'est déjà un mauvais départ pour notre soi-disant « héros de la liberté » qui avait certes du talent pour faire de beaux discours, mais qui était en réalité, nous le verrons, un grand supporteur de l'État, des guerres et même du socialisme. Ses actions ont en fait causé énormément de souffrances, de morts, de destruction et de pertes de liberté. Tout le contraire de ce que nous raconte la mythologie officielle, et un parfait exemple que l'histoire est souvent réécrite par les vainqueurs.

Un désastre

La Première Guerre mondiale est probablement l'événement le plus marquant et le plus désastreux du 20e siècle par son ampleur et ses conséquences tragiques. Quand plusieurs de ses collègues de la sphère du pouvoir craignaient le déclenchement inévitable, Churchill lui s'en réjouissait et disait détester la paix. Il appuyait pleinement cette guerre qui n'avait rien d'une croisade pour la liberté et la justice, car il défendait l'impérialisme britannique contre son rival allemand.

Il n'hésita pas à violer les lois internationales en imposant un blocus contre l'Allemagne qui causa la mort par famine de centaines de milliers de civils, et affirma être en faveur de violer la neutralité de certains pays. Il fit aussi de la propagande aux États-Unis pour les impliquer dans la guerre, et une semaine avant l'attaque contre le Lusitania, il déclara qu'il fallait attirer les bateaux neutres près des côtes britanniques dans l'espoir qu'un incident les impliquerait contre l'Allemagne. Cette guerre, au coût de dizaines de millions de morts, ne fit qu'engendrer destructions, pertes de libertés, désirs de revanche et révolutions communistes.

La Seconde Guerre mondiale, qui est considérée à tort par beaucoup comme étant noble et nécessaire, est indissociable du mythe de l'héroïsme churchillien de par son opposition à Hitler. Ce sophisme simpliste consiste à considérer bon et héroïque quiconque se serait opposé à Hitler, peu importe le reste. La soi-disant prévoyance de Churchill était plutôt du fanatisme à s'opposer à tout rival de l'impérialisme britannique, le tout présenté sous un masque de vertu. D'abord, la prétention de vouloir défendre la souveraineté de la Pologne était ridicule puisque la Grande-Bretagne et la France étaient des empires qui violaient déjà la souveraineté de plusieurs peuples sous le joug du colonialisme. Churchill n'avait que faire du droit des peuples à l'autodétermination et s'opposait fermement à l'indépendance des colonies. Il s'opposait aussi au désir des Allemands d'être réunis à l'Allemagne après avoir été forcés de vivre dans les États polonais et tchécoslovaque créés par le Traité de Versailles, un traité qui fut imposé à l'Allemagne en partie par le blocus naval du Premier Lord de l'amirauté qui continua jusqu'à ce que l'Allemagne le signe.

Même si Hitler avait évidemment aussi des ambitions beaucoup moins légitimes que la réunification des Allemands, il avait démontré ne pas vouloir la guerre avec la Grande-Bretagne en faisant plusieurs offres de paix et en renonçant à des avantages militaires au début de la guerre, comme l'arrêt de l'offensive allemande à Dunkirk ou le fait de ne pas saisir la flotte française. Mais Churchill a refusé ces offres. Il a aussi fait bombarder les villes allemandes (son crime de guerre favori) bien avant que l'Allemagne fasse de même sur les villes britanniques.

On présente aussi Churchill comme ayant été plus clairvoyant que Chamberlain et sa politique d’« appeasement » face à Hitler, mais la réalité est que l'« appeasement » de Churchill pour Staline fut bien plus grande. En somme, l'héroïque Winston préféra, pour une seconde fois dans sa vie, contribuer à transformer une guerre régionale en guerre mondiale aux conséquences désastreuses, dans laquelle des millions de personnes supplémentaires allaient mourir.

Un système monstrueux

Churchill avait décrié le communisme comme étant un système monstrueux. Alors pourquoi a-t-il préféré s'allier avec l'URSS de Staline au lieu de laisser s'affronter les deux régimes totalitaires et préserver de la guerre les pays occidentaux où il restait encore un peu de liberté? Ce qu'on sait c'est qu'à la fin de la guerre, non seulement la Pologne, qui avait été la raison de l'entrée en guerre des Alliés, sera condamnée au communisme de Staline, mais aussi plusieurs autres pays européens, le tout légitimé par Churchill.

Notre « héros de la liberté » approuva aussi le rapatriement forcé en URSS de millions de gens, comme des Cosaques et des Ukrainiens opposés au communisme, ainsi que de soldats soviétiques prisonniers, où un cruel destin les attendait. Certains d'entre eux briseront volontairement des vitres de trains pour se trancher la gorge tellement ils ne voulaient pas retourner en URSS. Quand on questionna Churchill au sujet du coût humain d'avoir aidé Tito à transformer la Yougoslavie en dictature communiste, il répondit: « Do you intend to live there? ».

Après la Seconde Guerre mondiale, le communisme se répandit aussi dans d'autres régions du monde comme la Chine et les colonies. Il ne fait aucun doute que l'aide apportée à l'URSS et le refus de donner aux colonies leur indépendance ont indirectement contribué à cela. Churchill affirma plusieurs fois aimer et apprécier Staline. Il dira ne pas s'être trompé en lui faisant confiance contrairement à Chamberlain envers Hitler. Il lui offrira aussi en cadeau une épée antique représentant la défense des peuples chrétiens.

La part de responsabilité de Churchill dans les génocides humains du 20e siècle ne se limite pas aux guerres impérialistes et à son aide à Staline. Il était aussi partisan de la répression dans les colonies britanniques. En 1920, il était favorable à l'usage de gaz toxiques contre les Iraquiens qui résistaient à l'occupation britannique. Churchill était raciste de façon semblable à Hitler, convaincu de la suprématie de la race blanche. Pour lui, les Noirs étaient des « niggers », les Arabes « worthless », les Chinois « pigtails » et les Indiens « baboos ». Lorsque plus d'un million d'Indiens moururent de famine au Bengale en 1943, probablement en lien avec le fait que l'économie était orientée sur la guerre, Churchill déclara qu'au moins ils ne pourraient plus se reproduire comme des lapins.

Churchill était en faveur du Plan Morgenthau qui prévoyait la désindustrialisation de l'Allemagne et qui aurait condamné des millions d'Allemands à mourir de famine. Il était aussi favorable à une attaque à l'anthrax sur l'Allemagne. Quant à l'Holocauste des Juifs, on peut spéculer que l'acharnement de Churchill à vouloir la guerre contre l'Allemagne a probablement fait en sorte que le Plan Madagascar, qui consistait à déporter les Juifs sur cette île, devint impossible à réaliser et que le régime nazi décida à la place son plan d'extermination.

Malgré ses discours en faveur de la liberté économique, Churchill a été un grand architecte de l'État-providence. Dès 1943, il avait approuvé le Plan Beveridge pour l'État-providence et la gestion keynésienne de l'économie après la guerre. Il était aussi en faveur de plusieurs nationalisations. Il est ironique que Churchill, le grand héros de Margaret Thatcher, mit en place les législations donnant tant de pouvoirs aux syndicats qui furent la « bête noire » de cette dernière. Sa décision de retourner à l'étalon-or au taux d'avant-guerre fut désastreux et, selon Murray Rothbard, contribua à ruiner la bonne réputation de l'or.

Mis à part quelques groupuscules fanatiques, Hitler est à juste titre considéré par la très grande majorité des gens comme un monstre pour les horreurs qu'il a commises. Staline a malheureusement un plus grand nombre d'admirateurs, qui voient sont côté « autoritaire » comme « nécessaire » puisqu'il a contribué à vaincre le régime nazi. Mais Churchill, qui a commandé des horreurs similaires, avec un attrait semblable pour le pouvoir, et des paroles racistes, sociopathes et génocidaires, passe pour un héros pour la majorité des gens. Il n'y a probablement que les néo-nazis, les communistes, quelques pacifistes et certains libertariens, comme moi, qui osons le critiquer.

Malheureusement, les faits rapportés ici sont solides. Tristement, des tyrans comme Hitler et Staline arrivent souvent au pouvoir en réaction aux conséquences et aux souffrances des interventions impérialistes, du genre que Churchill adorait faire. Quoi de pire pour ruiner l'image de belles valeurs, comme la liberté, que de s'y associer en paroles et faire le contraire en action? Car c'est exactement ce que Churchill a fait, contrairement à Hitler ou Staline qui ne cachaient pas leur autoritarisme. La vie de Churchill est le parfait exemple de ce genre d'hypocrisie. Ralph Raico conclut que Churchill était un guerrier sanguinaire et un politicien sans principes dont l'apothéose a servi à corrompre tout standard d'honnêteté et de moralité en politique et en histoire.

Bibliographie et références
Adam Young, «  The Real Churchill  », Mises Daily, 27 février 2004.
Ralph Raico, Rethinking Churchill. Conférence présentée au Ludwig von Mises Institute (Auburn, Alabama) en mai 1994.
Pat Buchanan, Churchill, Hitler and the Unnecessary War, Three Rivers Press, 2008.
John V. Denson, The Costs of War, Transaction Publishers, 2003.
Nicholson Baker, Human Smoke, Simon & Schuster, 2008.

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* Manuel Pasquale est technicien aéronautique et détient un bac en histoire. Il était anciennement d'orientation marxiste avant de s'intéresser aux idées libertariennes et d'y adhérer pleinement.