Montréal, le 6 juin 1998
Numéro 13
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés  partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que  leurs auteurs.     
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
 
LE PARTI RÉFORMISTE
VS LE QUÉBEC
 
par Martin Masse
English version      
 
          Lors de leur congrès à London la semaine dernière, les réformistes ont approuvé le projet de leur chef, Preston Manning, de tenir une assemblée l'an prochain où seront invités des représentants de divers courants politiques ayant des affinités avec le programme réformiste (voir Mot pour mot, p. 8). Le but est de créer ce que M. Manning appelle une « Alternative unie », une sorte de coalition nationale qui pourrait faire une véritable concurrence aux libéraux et prendre le pouvoir aux prochaines élections. Avec un Parti conservateur en pleine déroute et qui se cherche un chef, le timing est bon pour essayer d'occuper toute la place à la droite de l'échiquier politique. 
  
          Dans le reste du pays, on n'a toutefois pas manqué de souligner que si les réformistes ne sont disposés à changer ni leur programme, ni le nom de leur parti, ni leur chef, à quoi servira vraiment cette manoeuvre pour former une coalition? Pourquoi des Canadiens qui n'ont pas encore été convaincus d'adhérer au parti le feraient-ils maintenant? 
  
          Le PR a déjà de la difficulté à percer dans les régions anglophones à l'est du Manitoba. Au Québec, la tâche paraît impossible. Et pourtant, s'il veut se présenter comme un véritable parti national, il doit avoir un appui plus que symbolique dans cette province. Non seulement parce qu'un parti fédéral peut difficilement être porté au pouvoir sans représentation dans la deuxième province la plus peuplée du pays, mais aussi parce que l'image anti-Québec et anti-française dont le parti n'arrive pas à se départir a des répercussions ailleurs. En Ontario et dans les provinces atlantiques, on est plus sensibles à cette perception négative. Si la fameuse publicité contre les politiciens du Québec a probablement permis aux réformistes de consolider leur vote dans l'Ouest aux élections de juin 1997, elle leur a sûrement fait perdre des voix dans l'Est. 
Une percée au Québec? 
 
          On pourrait croire, en lisant les nouvelles et en écoutant les déclarations de politiciens québécois ces derniers jours, que le Parti réformiste a réussi à améliorer cette image et qu'il est en voie de faire une percée au Québec. Deux débats à Québec et à Edmonton entre le réformiste Rahim Jaffer et le bloquiste Pierre Brien ont attiré beaucoup d'attention médiatique. Certains députés bloquistes se disent prêts à poursuivre la discussion avec ces gens qu'ils vilipendaient il n'y a pas si longtemps. Le chef de l'Action démocratique, Mario Dumont, souligne que le Parti réformiste a mis de l'avant une proposition de décentralisation des pouvoirs qui mérite d'être étudiée. Même le premier ministre Bouchard a salué l'ouverture d'esprit des réformistes, qui vont « plus loin que ce qu'on a coutume d'entendre chez nos ténors fédéralistes, à Ottawa ou à Québec ». 
  
           Ce commentaire de Lucien Bouchard trahit toutefois la véritable stratégie des séparatistes qui, inutile de s'énerver, ne sont pas sur le point de se convertir au fédéralisme de M. Manning. L'objectif est clairement d'embarrasser Jean Charest, qui n'a toujours pas clarifié sa vision du fédéralisme et n'a pas grand-chose de nouveau à mettre sur la table. Les libéraux ont d'ailleurs refusé de consentir à une motion de Mario Dumont, appuyée par le gouvernement, qui proposait d'inviter des représentants du PR à la commission parlementaire qui étudie la Déclaration de Calgary, devant laquelle Jean Charest a par ailleurs refusé de comparaître. 
  
          Par ces minouchages suspects avec le PR, péquistes et bloquistes souhaitent aussi démontrer qu'ils peuvent discuter de façon civilisée avec nos futurs « partenaires » lorsque les Québécois auront voté OUI. Comme l'a déclaré l'ex-chef bloquiste Michel Gauthier, l'exercice sert plus le Bloc que les réformistes, qui ne récolteront pas un vote de plus au Québec. 
  
Ignorance, négativisme, insensibilité 
 
          Il y a en effet bien peu de chances que ce petit 15 minutes de gloire se traduise par un appui réel pour le Parti réformiste au Québec. Le parti n'a jamais vraiment fait d'efforts pour s'implanter dans la province. Non pas qu'il soit « anti-Québec » comme plusieurs le croient, bien qu'il compte sûrement une proportion non négligeable de membres et de sympathisants dans l'Ouest qui n'aiment ni le Québec, ni le bilinguisme officiel. Je peux affirmer, pour avoir travaillé au sein de ce parti pendant deux ans, que les red necks intolérants n'y sont pas plus nombreux que les xénophobes anti-anglais dans le mouvement séparatiste québécois. La plupart des réformistes seraient heureux de voir plus de Québécois se joindre à eux. 
  
          Le problème est ailleurs, d'abord du côté de l'ignorance. Pour plusieurs de ces Westerners unilingues, le Québec est un vaste mystère et les volontés politiques des Québécois sont aussi impénétrables que les desseins de Dieu. Dans l'Ouest, on chiale aussi beaucoup, et souvent avec raison, contre ce qu'on considère comme les traitements de faveur consentis par Ottawa au Québec en général ou à des groupes et compagnies québécoises, comme Bombardier. Ce qui en résulte, c'est qu'on entend constamment des députés réformistes attaquer le gouvernement Chrétien sur des dossiers dans lesquels le Québec recevrait des bénéfices indus, mais qu'on n'entend jamais un député réformiste défendre un dossier dans le sens des intérêts du Québec. Une seule intervention positive spécifiquement au nom des Québécois me vient à l'esprit, celle du député Bob Ringma qui avait dénoncé la décision de Santé Canada de bannir le fromage au lait cru. Pas étonnant, donc, que le parti soit perçu comme anti-Québec. 
  
          Ce manque total de sensibilité envers les intérêts québécois pourrait être atténué et contourné par une volonté énergique de la part du chef. Mais Preston Manning ne parle toujours pas couramment le français onze ans après être devenu chef d'un parti national. Il a suivi quelques cours, fait quelques efforts, réussi parfois à lire un bout de discours en français. Mais on doit conclure que non seulement l'aptitude, mais aussi l'intérêt et la volonté n'y sont pas. Comment expliquer autrement le fait que le soir des élections l'année dernière, parlant à la télévision à la suite d'un Gilles Duceppe qui venait de donner une partie de son discours en anglais, le chef réformiste ne s'est même pas donné la peine de dire une phrase en français, pas même un petit « merci » aux 10 000 électeurs du Québec qui lui ont donné son appui? Ce n'est pas la gêne ou la difficulté de prononciation qui est en cause dans un contexte aussi crucial, le jour où il devenait le chef de l'Opposition officielle; c'est la totale absence de considération pour le Québec de cet homme et de son entourage immédiat. 
  
Family values 
  
          Les problèmes du Parti réformiste au Québec ne s'arrêtent pas là. Au niveau de l'organisation sur le terrain, la situation est plus désastreuse que jamais. Il y a deux ans, au congrès de Vancouver, le Québec avait envoyé une dizaine de délégués; la semaine dernière à London, il y en avait huit. 
  
          Cette situation n'est pas étrangère à la prise en main il y a quinze mois de l'organisation dans la province par Gilles St-Laurent, un avocat nationaliste de Québec, et la décision subséquente de transférer le bureau provincial de Montréal à Québec. Dès l'ouverture de ce bureau à Montréal et la mise sur pied d'une organisation deux ans auparavant, les quelques centaines de membres au Québec ont été clairement divisés en deux ailes, une aile du West Island dominée par des anglophones partitionnistes et une aile plus régionale composée surtout de francophones conservateurs et nationalistes attirés par le projet de décentralisation. Le but explicite du transfert, m'avait dit alors M. St-Laurent, était de se débarasser des partitionnistes trop embarrassants et de se positionner du côté des nationalistes modérés. Les prétendus rapprochements avec le Bloc des derniers jours ne sont qu'une continuation de cette stratégie. 
  
         Résultat: l'organisation est plus déficiente que jamais et est devenue une véritable affaire de famille. Le fils de M. St-Laurent, Pierre, a tenu le bureau provincial de Québec jusqu'à récemment. Les deux ont depuis, nous dit-on, déménagé à Ottawa et le « bureau provincial », c'est-à-dire la secrétaire du cabinet d'avocats des St-Laurent, se contente de leur transférer les appels. Gilles St-Laurent travaille maintenant comme « conseiller spécial » de Preston Manning pour le Québec dans la capitale. Qui plus est, au congrès de London, l'épouse de M. St-Laurent, Michelyne Chénard-St-Laurent, a quant à elle été désignée comme l'un des trois représentants du Québec au Conseil exécutif du parti, un poste crucial dans l'organisation. C'est par ailleurs un autre fils St-Laurent, Sébastien, qui était en charge de ces élections au Conseil exécutif pour le Québec. On savait que le Parti réformiste attachait beaucoup d'importance aux Family values, mais à ce point-là? Tout ce qu'il reste à savoir maintenant, c'est si le chien de la famille s'occupe du recrutement. 
  
Un véritable chef national 
  
          Le recours à des stratégies aussi pathétiques — liquider l'aile montréalaise, flirter avec les séparatistes, laisser une famille influente contrôler l'organisation — n'est pas très surprenant, compte tenu de l'attitude désintéressée du chef et du parti envers ce qui se passe au Québec. Il n'y aura ni véritable organisation, ni appui significatif pour le Parti réformiste dans cette province aussi longtemps que cette situation durera. Le projet d'Alternative unie n'apportera évidemment rien de neuf ici, puisque les organisateurs semblent plus préoccupés de purger le membership de ses éléments indésirables que de le faire croître. Si le Parti réformiste est incapable d'accueillir dans ses rangs au Québec des fédéralistes aux convictions diverses et doit s'en remettre à courtiser stupidement les séparatistes, on voit mal quel rôle il pourra jamais jouer pour garder le pays uni. 
  
          Il n'y a vraiment qu'une solution: l'arrivée d'un chef bilingue qui pourra s'adresser directement aux Québécois, dans la langue de la majorité d'entre eux, pour les convaincre de la justesse du programme réformiste; un chef avec une vision nationale, qui saura s'entourer de gens qui possèdent aussi cette envergure d'esprit; un chef qui prendra le temps de faire le ménage dans l'organisation du Québec et qui suivra de près ce qui s'y passe comme il le fait pour les autres provinces. 
  
          Preston Manning a fait un travail énorme en fondant son parti et en le menant au statut d'Opposition officielle. Il devrait se rendre compte qu'il n'est plus l'homme de la situation pour cette nouvelle étape vers le pouvoir et laisser sa place à un véritable leader national. 
 
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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