Montréal, le 26 septembre 1998
Numéro 21
 
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     « Si on subventionne, on ne va pas attirer les gens de talent, on va attirer les gens qui ont le talent d'attirer vers eux des subventions. »  
   
Daniel Pilon
  
 
 
MOT POUR MOT
 
POUR UNE CULTURE
NON SUBVENTIONNÉE
  
  
          Daniel Pilon est de retour après un exil de plusieurs années aux États-Unis. Longtemps absent de notre paysage cinématographique et télévisuel, l'acteur maintenant dans la cinquantaine dit revenir au Québec pour y élever ses enfants. Pour ceux qui ne se souviennent pas de lui, il a joué dans des classiques du cinéma québécois comme Quelques arpents de neige et La mort d'un bûcheron dans les années 70 avant de déménager ses pénates aux États-Unis. Il y a poursuivi sa carrière au petit écran, dans des téléséries comme Ryan's Hope et Dallas, et au grand écran, dans des films comme Scanners III: The Takeover et Poltergeist: The Legacy.   
    
          Pilon est un des très rares artistes québécois à afficher ouvertement son profond mépris pour la culture subventionnée. Son discours est rafraîchissant dans une province où les artistes et les artisans se serrent les coudes pour continuer à profiter des nombreux programmes provinciaux et fédéraux. Voici un extrait de l'entrevue qu'il accordait à Paul Arcand le 15 septembre dernier dans le cadre de l'émision Bonjour Montréal diffusée sur les ondes de CKAC: 
               Paul Arcand: (...) Mais vous qui avez travaillé un peu partout – bon beaucoup aux États-Unis –, quand vous comparez ce qui ce fait ici, la production ici au Québec par rapport à ce qui se fait, exemple, aux États-Unis... 
          Daniel Pilon: Si on compare les deux, sans qu'il n'y ait de zones communes vous voulez dire, parce que dans les coproductions c'est un peu un mélange des deux et ça se fait beaucoup plus à l'américaine. Mais si on prend une production québécoise, ou une production canadienne, entièrement canadienne et une production entièrement américaine, là c'est vraiment le jour et la nuit.  
  
          P.A.: En termes de moyens?  
  
          D.P.: Ben non, en terme de façon, en terme d'approche, en terme de concept. Au Canada, l'industrie de la culture, puis là j'emploi le mot « culture » avec un... je ne sais pas trop comment le décrire, mais c'est très vague. Quand on parle d'identité culturelle au Canada, qu'est-ce que ça veut dire... on ne sait pas trop. Et c'est parce qu'on ne le sait pas trop que ça devient très vague aussi dans les projets et dans les financements. Au Canada, tout est subventionné. Tout est financé par les argents publics. Alors ça fausse le jeu. Aux États-Unis, il y a les forces libres du marché libre qui agissent. Même... même c'est le seul pays où – je parle des États-Unis –, c'est le seul pays où le théâtre n'est pas subventionné. Et c'est le seul pays où le théâtre se porte à merveille.  
  
          P.A.: Mais alors quoi, vous êtes contre les subventions?  
  
          D.P.: Moi je suis absolument antisubvention, contre toute subvention, même pas une petite subvention, je suis contre les subventions. Je ne suis pas contre les projets pédagogiques de démarrage – le premier... le petit gars qui a 21 ans, puis il vient d'écrire son premier scénario, puis il est tout feu tout flamme, puis il veut apprendre, puis il ne sait pas trop – oui, ça c'est un peu comme l'université. Donc, le gouvernement, ou les argents publics, ou des fondations devraient, oui, financer ça. Ça c'est normal. Mais quand ça fait 35 ans qu'un gars fait du cinéma, comprends-tu, et qu'on finance son film encore à plein et qu'on sait très bien que ce film-là n'ira nulle part, que le film ne fera pas une maudite cenne et qu'on finance à cinq, six, sept millions d'argent public, ou que le théâtre... On rabâche les mêmes vieilles pièces, les mêmes vieilles affaires, on sait qu'il n'y aura pas de public pour ça, que personne va payer... en fait... De toute façon, mon ami Raymond Cloutier en avait parlé du théâtre au Québec, il y a une population de 15 000 personnes qui va au théâtre dans la grande région de Montréal qui compte 3 millions d'individus, je veux dire... et c'est financé à coup de... ça coûte à peu près un million par mois à financer. 
  
          P.A.: Mais, vous savez que la réplique des gens du milieu du théâtre, les gens de la production vont dire: « sans argent public, les théâtres vont fermer, il n'y aura pas de productions, on est un marché trop petit pour être capable de produire sans aide publique. » 
  
          D.P.: Ok. À ça, on peut répondre la chose suivante, qui est simple. C'est quand... on pourra dire ce qu'on pense ou ce qu'on veut de M. Reagan, quand M. Reagan est arrivé... un ultraconservateur... quand M. Reagan est arrivé en 1980, au début de son mandat, il y avait les gens qui s'occupaient de ce genre de choses – je ne me souviens pas du nom de son secrétaire qui s'occupait de la culture et des affaires culturelles, ce qui est théâtre et cinéma et télévision – ils ont dit « nous ce qu'on aimerait faire – et ils l'ont fait – on aimerait enlever toutes les subventions parce qu'on considère que... » et la logique était très simple. Je vais essayer d'être lent pour que tout le monde comprenne. La logique était que la recherche de l'excellence exige une compétition féroce et il ne peut pas y avoir une compétition féroce s'il y a des subventions. Ils ajoutaient même que si on subventionne, on ne va pas attirer les gens de talent, on va attirer les gens qui ont le talent d'attirer vers eux des subventions. Ce qui ne veut pas dire que l'excellence du produit va être assuré. Absolument pas, c'est le contraire. Alors au Canada, ce qu'il se passe, c'est qu'on a un cercle très restreint d'individus qui attirent vers eux toutes les subventions. Si on parle de théâtre, c'est encore pire. Parce qu'au théâtre, non seulement ils sont payés pour faire du théâtre, mais ils nous offrent un produit – quand je dis nous, c'est le public – ils offrent au public un produit que le public n'a pas demandé et ils ont le culot de leur demander d'acheter un ticket pour aller le voir en plus. Ça je trouve que c'est un petit peu trop. 
  
          P.A.: Mais ce que vous dites-là, pour prendre une image et résumer, ça veut dire quoi? Ça veut dire que c'est un petit groupe dont le seul talent est d'être capable de remplir la paperasse pour obtenir les subventions? 
  
          D.P.: Oui. Puis d'avoir aussi... je veux dire... d'avoir acquis pendant des années les amitiés nécessaires, les alliances très stratégiques à l'intérieur des gouvernements et des ministères qui s'occupent de financer. En tout cas... quand Sheila Copps a annoncé l'an dernier – c'était l'an dernier? – elle était toute fière d'annoncer qu'il y avait 200 millions, DEUX CENT MILLIONS, un cinquième de milliard de piastres qui s'en allaient à on ne sait pas trop qui finalement. On finance à peu près n'importe qui. 
  
          P.A.: On ne sait pas trop qui, mais vous dites que ce sont toujours les mêmes ou à peu près. 
  
          D.P.: Bien oui, mais là je ne veux pas accuser parce que, je ne sais pas, ils vont peut-être m'attendre à la porte de CKAC. Oui, il y a vraiment une petite... un petit groupe restreint d'individus qui sont là depuis longtemps et qui... il y a des nouveaux arrivants toujours, mais c'est une cercle où l'argent se promène et ne sert pas vraiment. Ça sert à quoi? Qu'est-ce qu'on veut faire? On veut encourager une industrie, on veut encourager surtout, on veut se démarquer des État-Unis. Le Canada anglais surtout veut se démarquer des États-Unis. Et le Canada français veut – j'ai pas dit le Québec –, le Canada français veut vraiment souligner son identité culturelle. I-den-ti-té cul-tu-rel-le, ça veut dire quoi? Tu sais, quand on donne quatre ou cinq millions $ à un cinéaste qui fait des navets depuis 20 ans, puis on lui donne un autre 5 millions $ pour faire un autre navet, je comprends pas. 
  
          P.A.: Mais est-ce qu'aux États-Unis, le système de cliques n'est pas aussi réel? C'est-à-dire, il faut connaître le producteur, il faut être ami avec un tel, ou tel financier, etc. 
  
          D.P.: Non, ça c'est pas pareil. Ça, ça s'appelle business. Et les Américains disent « Give the people what they want ». Il faut donner au monde, au public, ce qu'il veut. S'il ne le veut pas, il l'achètera pas. Et quand je parle de recherche de l'excellence, ça ne veut pas dire les meilleurs documentaires de PBS – qui n'est pas financé d'ailleurs, qui n'a aucun argent public. Il y a des argents de fondations à PBS, au National Public Radio qui est un peu le CBC des États-Unis... mais c'est entièrement privé ça. Et ça fonctionne très bien. Je veux dire, les meilleurs documentaires au monde sont produits par PBS – si on regarde des émissions comme Frontline ou Nova –, c'est vraiment ce qu'il y a de mieux. Mais en même temps, quand je parle de recherche de l'excellence, ça veut dire Wheel of Fortune aussi. Il y a un public qui achète Wheel of Fortune. Et Wheel of Fortune est peut-être, dans son genre, ce qui se fait de mieux. 
  
          P.A.: Ben, ce que vous nous dites, c'est que la culture québécoise, au cinéma et au théâtre, n'est pas connectée sur le public? 
  
          D.P.: Elle est pas connectée sur le public... et puis c'est devenu, parce que... parce que les argents sont publics et parce que ce n'est plus une question d'affaires. Moi si je veux financer un film, il faut que j'aille voir mes backers, il faut que je trouve quelqu'un... d'ailleurs, je ne peux pas le faire au Canada. Moi, je ne peux pas financer un film au Canada. 
  
          P.A.: Pourquoi? 
  
          D.P.: Parce que, je n'irais pas chercher de subventions. Et il n'y a pas d'argent public (sic) au Canada. Ce qu'on veut faire au Québec... c'est malheureux – puis là encore,  je vais me faire taper dessus pour dire ça –, le cinéma n'est plus national. C'est-à-dire, il y a pas de cinéma italien, il y pas de cinéma américain, il y a pas de cinéma anglais, il y a LE cinéma qu'on produit aux États-Unis, en Angleterre, en Italie, ou au Québec. Si on doit produire un film au Québec, qu'on fasse un film qui puisse s'ouvrir sur un marché international et à ce moment-là, il va y avoir des banquiers et des hommes d'affaires qui vont être prêts à mettre... Hey! Titanic, ça a fait combien ça Titanic? Ben c'est tout de l'argent privé, ça. Et tous les films américains, c'est de l'argent privé. Puis quand tu te casses la gueule, c'est comme n'importe qui qui fait faillite. Tu dis: « bon ben maudit, on s'est fourré! » On n'a pas, on n'a pas bien jaugé... notre produit n'était pas assez bon et le public n'en voulait pas. 
(...) 
 
 
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