Montréal, le 1er mai 1999
Numéro 36
 
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LE MARCHÉ LIBRE
 
LES BOLCHÉVIKS
DE L'ENVIRONNEMENT
(première partie)
  
par Pierre Desrochers
  
  
          Il y a maintenant plusieurs siècles que des prophètes de malheur nous annoncent l'épuisement des ressources naturelles, des famines généralisées et la destruction irrémédiable de l'environnement. Le plus célèbre parmi les « pionniers » fut le pasteur protestant Thomas Malthus qui publia pour la première fois en 1798 son Essay on Population dont on se souvient principalement pour la formule choc « la production alimentaire augmente de façon arithmétique tandis que la population augmente de façon géométrique ». En d'autres mots, Malthus pensait que la croissance de la population anglaise au début du 19e siècle était tellement rapide que l'on ne parviendrait pas à produire suffisamment de denrées alimentaires pour nourrir toutes ces nouvelles bouches. 
 
 
          Il suggéra donc le contrôle des naissances au moyen de l'abstinence. Or il s'avéra rapidement que Malthus s'était trompé et que, loin de mourir de faim, les Anglais, bien que toujours plus nombreux, se virent offrir au cours des décennies suivantes des aliments toujours plus sains, variés et abondants. Ce qui fut toutefois remarquable, c'est que cette augmentation de productivité agricole ne requit à peu près pas de main-d'oeuvre supplémentaire. On comptait ainsi 1,7 milllions de personnes travaillant dans le secteur agricole britannique en 1801, contre 1,4 millions dans le secteur industriel. En 1871, la population agricole n'avait augmenté que de 100 000 travailleurs, tandis que le nombre de travailleurs industriels se chiffrait à près de 5,3 millions(1) 
  
Repentez-vous! la fin approche 
 
          Malgré son échec retentissant, le scénario de Malthus revient périodiquement à l'avant-scène grâce au bon soin d'une cohorte d'alarmistes et de journalistes complaisants. L'écologiste Paul Ehrlich prophétise ainsi en 1968 dans The Population Bomb une famine généralisée devant ramener la population américaine à 22 millions d'habitants en 1999: « The battle to feed all of humanity is over. In the 1970s the world will undergo famines – hundreds of millions of people are going to starve to death in spite of any crash programs embarked upon now. » Or comme nous le savons tous, la population américaine est maintenant de plus de 260 millions d'habitants et compte probablement la plus forte proportion d'obèses du monde industrialisé!  
  
          Ehrlich n'était évidemment pas le seul à prédire l'apocalypse alimentaire. Trois ans après The Population Bomb, Lester Brown, le président du Worldwatch Institute, renchérit en prédisant que le point de rupture de stock sera atteint dès le début des années 1980. Ses prédictions tardant à se concrétiser, Brown annonce au début de cette décennie que le point de rupture sera alors atteint au début des années 1990. La catastrophe ne se matérialisant toujours pas, Brown change alors son fusil d'épaule et prédit une catastrophe écologique majeure allant toucher toutes les ressources naturelles:
The nineties may be our last chance to reverse the trends that are undermining the human prospect. If we fail, environmental deterioration and economic decline may begin to feed on each other, making an effective response to these threats impossible.(2) 
          L'ennui, c'est que depuis le milieu du 16e siècle, nombre de prophètes de malheur avaient précédé Brown et annoncé une catastrophe imminente. Sans toutefois remonter aussi loin, on peut souligner le scénario alarmiste de l'économiste William Stanley Jevons dans son son ouvrage The Coal Question, publié pour la première fois en 1865: 
I draw the conclusion that I think any one would draw, that we cannot long maintain our present rate of increase in consumption; that we can never advance to the higher amounts of consumption supposed. But this only means that the check to our progress must become perceptible considerably within a century from the present time; that the cost of fuel must rise, perhaps within a lifetime, to a rate threatening our commercial and manufacturing supremacy; and the conclusion is inevitable, that our present happy progressive condition is a thing of limited duration.(3) 
          Au tournant du siècle, l'un des principaux leaders du mouvement réformiste américain et futur directeur du National Forest Service, Gifford Pinchot, tient des propos tout aussi alarmistes: 
The five indispensably essential materials in our civilization are wood, water, coal, iron, and agricultural products... We have timber for less than thirty years at the present rate of cutting. The figures indicate that our demands upon the forest have increased twice as fast as our population. We have anthracite coal for but fifty years, and bituminous coal for less than two hundred. Our supplies of iron ore, mineral oil, and natural gas are being rapidly depleted, and many of the great fields are already exhausted. Mineral resources such as these when once gone are gone forever.(4) 
          Et Pinchot ne parlait même pas des ressources pétrolières, encore marginales en 1900! Ce discours ne tarda toutefois pas à être transposé à la production pétrolière. En 1914, des fonctionnaires du Bureau des mines prédirent donc que les réserves américaines de pétrole seraient épuisées en 1925. En 1939, des porte-parole du Département de l'intérieur annoncèrent qu'elles seraient épuisées au cours des treize années suivantes. En 1972, dans la foulée du rapport du Club de Rome annonçant que les réserves mondiales seraient épuisées au cours de la décennie suivante, le président Jimmy Carter y alla d'une déclaration solennelle: « We could use up all proven reserves in the entire world by the next decade. » L'ennui pour Carter et les alarmistes, c'est que les réserves connues de pétrole passèrent de 600 milliards à 1,5 trillions de barils entre 1970 et 1990 et que les cours du pétrole ne cessent de chuter depuis une quinzaine d'années(5). Le pétrole n'est cependant pas un cas isolé. En fait, toutes les ressources naturelles sont aujourd'hui plus abondantes et moins coûteuses qu'elles ne l'étaient au début du siècle(6) 
  
          L'erreur fondamentale des tenants des scénarios catastrophistes, c'est qu'ils considèrent les « ressources naturelles » comme des quantités finies attendant d'être exploitées. L'argile, le fer, le charbon, le pétrole et même le sable (la principale composante du silicone dans nos ordinateurs) ne deviennent cependant des ressources qu'une fois que l'on a développé des technologies pour les extraire et les transformer, ainsi qu'une économie de marché pour coordonner et distribuer la production. Revenons ainsi à l'exemple du pétrole. Bien que cela semble difficile à croire aujourd'hui, le pétrole était considéré comme une nuisance jusqu'au milieu du siècle dernier. Devant la montée considérable du prix de l'huile de baleine et la crainte d'une rupture des stocks charbonniers, des individus inventifs entreprirent alors de le transformer en toutes sortes de produits utiles. On développa ensuite des techniques pour l'extraire de façon rentable d'environnements hostiles ou de gisements de piètre qualité.  
  
Le libéralisme et la création de ressources 
  
          Comme je l'ai déjà mentionné dans des chroniques précédentes, une pénurie de ressources est pratiquement impossible dans une économie de marché. Lorsqu'une ressource devient rare, son prix augmente, ce qui amène:
1. une augmentation de la productivité de cette ressource (on avait ainsi besoin de sept livres de charbon pour générer un kilowatt-heure d'électricité en 1900, et moins d'une livre en 1960); 
  
2. la création de nouvelles ressources et de nouveaux produits; 
  
3. une productivité accrue des procédés d'extraction; 
  
4. une productivité accrue des processus d'exploration et de découvertes de nouveaux gisements;  
  
5. le développement de nouvelles techniques pour transformer les déchets en ressources utiles; 
  
6. le développement de nouvelles techniques pour utiliser des gisements de qualité moindre.
          Il est toutefois entendu que certaines ressources non-renouvelables finiront bien par disparaître dans plusieurs siècles, mais cela n'augure rien de mauvais en soi, car d'autres ressources auront été développées dans l'intervalle lorsque le système des prix aura envoyé les signaux adéquats. Même si le pétrole venait à manquer d'ici quelques siècles, on peut prendre pour acquis que nos descendants en souffriront autant que nous souffrons aujourd'hui de l'absence d'huile de baleine dans les stations-service. Il ne sert donc à rien de vouloir « sauver » des ressources pour les générations futures, comme le remarquaient dès 1963 les économistes Harold Barnett et Chandler Morse:   
... the Conservationists' premise that the economic heritage will shrink in value unless natural resources are « conserved » is wrong for a progressive world. The opposite is true. In the United States, for example, the economic magnitude of the estate each generation passes on – the income per capita the next generation enjoys – has been approximately double that which it received, over the period for which data exist. Resource reservation to protect the interest of future generations is therefore unnecessary. There is no need for a future-oriented ethical principle to replace or supplement the economic calculations that lead modern man to accumulate primarily for the benefit of those now living. The reason, of course, is that the legacy of economically valuable assets which each generation passes on consists only in part of the natural environment. The more important components of the inheritance are knowledge, technology, capital instruments, economic institutions. These, far more than natural resources, are the determinants of real income per capita.(7) 
Les médias et les scénarios catastrophistes 
  
          Le scénario optimiste sur l'avenir des ressources naturelles est donc aussi ancien et beaucoup plus fondé que les prédictions apocalyptiques. En fait, même Malthus avait ses critiques, le plus connu étant Frederick Eden, qui disaient qu'une économie de marché et l'ingénuité humaine préviendraient toujours les pénuries. La plupart des journalistes et des activistes sont toutefois allergiques aux discours rationnels et ressortent périodiquement de vieux clichés. Le journaliste Louis-Gilles Francoeur, qui fait depuis plusieurs années office de spécialiste des questions environnementales, rapportait ainsi béatement dans le Devoir du 22 avril dernier les divagations du généticien et philosophe amateur Albert Jacquard. Jacquard affirme ainsi que: 
« Les richesses naturelles, renouvelables ou pas, constituent d'ore et avant tout un patrimoine planétaire que nul État n'a la légitimité de céder, de laisser dilapider ou de laisser dévaster par des intérêts privés... » 
  
« La classe politique... doit être capable de résoudre les problèmes économiques sans recourir à la croissance: elle doit même envisager très clairement de planifier la décroissance de la consommation... » 
  
« On ne peut admettre, comme êtres de raison... que nos sociétés vont utiliser en 300 ans tout le pétrole que la planète a mis 300 millions d'années à produire. Voilà une richesse qu'il faut gérer comme un patrimoine communale de l'humanité. Ce pétrole est plus précieux que la cathédrale d'Amiens, que la France ne peut pas davantage revendiquer comme son bien propre. On peut refaire la cathédrale d'Amiens, que la France ne peut pas davantage revendiquer comme son bien propre. On peut refaire la cathédrale d'Amien parce qu'on a les plans, mais pas les réserves d'hydrocarbures... »
          Se référant au dossier de la Commission mondiale sur les forêts, dont le rapport publié ces derniers jours prévoit une rupture mondiale des stocks forestiers en raison de leur surexploitation, Jacquard accuse le système politique de ne fonctionner qu'à courte vue, ce que comprendrait pourtant un enfant à qui on dirait qu'on n'a pas le droit de consommer plus que ne produit la Terre... 
  
          Et le généticien français de blâmer la gestion à courte vue du néolibéralisme, l'abdication du politique, la paresse des journalismes, etc. La solution aux problèmes de l'humanité, selon lui, est pourtant évidente: Il faut que les richesses naturelles soient gérées par un Super-État! Et dire que l'on croyait la faillite des utopies socialistes consommée...  
  
          Le bolchévisme est donc toujours bien vivant, sauf qu'au lieu de promettre l'abondance matérielle comme au tournant du siècle, ses tenants l'invoquent maintenant pour nous imposer l'austérité! Nous verrons toutefois dans le prochain article que la principale leçon de l'histoire des ressources naturelles est que la gestion publique a toujours été considérablement plus nocive que la gestion privée. 
  
  
1. Michel Beaud, Histoire du capitalisme, Seuil, 1981, p. 127.  >> 
2. Cité par Ron Arnold et Alan Gottlieb, Trashing the Economy, Free Enterprise Press, 
    1994, p. 577.  >> 
3. Cité par Nathan Rosenberg, « Technological Innovation and Natural Resources: 
    The Niggardliness of Nature Reconsidered », dans Nathan Rosenberg, Perspectives on Technology, 
    Cambridge University Press, 1976, p. 231.  >> 
4. Rosenberg, op. cit., p. 232.  >> 
5. L'ensemble des remarques sur l'industrie pétrolière est tirée de Walter Williams, 
    « Enviro Hype », Fraser Forum, May 1998, p. 42.  >> 
6. Voir notamment Julian Simon, The Ultimate Resource 2, Princeton University Press, 1995; 
    Julian Simon (ed.), The State of Humanity, Blackwell Publishers Inc., 1995; 
    Nathan Rosenberg, op. cit.; Ronald Bailey (ed.), The True State of the Planet, The Free Press, 1995.  >> 
7. Harold J. Barnett et Chandler Morse, Scarcity and Growth: The Economics of Natural Resource Availability, 
    Johns Hopkins University Press, 1963, p. 247-48.  >> 
 
 
 
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