Montréal, le 11 septembre 1999
Numéro 45
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
POMME DE DISCORDE
 
par Martin Masse
 
  
          C'est le temps des pommes. J'adore les pommes, j'en mange constamment. Des pommes fraîches, en compote, en tarte, en jus. Le cidre aussi, qui connaît une renaissance spectaculaire depuis quelques années, et dont on produit maintenant de grands crus d'une qualité remarquable (pas l'horrible Grand Sec d'Orléans des années 1970, qui a heureusement disparu après une mode passagère). La semaine dernière, j'ai fait mon pèlerinage annuel sur la Rive-Sud chez des pomiculteurs qui produisent du cidre, question de ramener suffisamment de bouteilles pour remplir le cabanon qui me sert de cave à cidre.  

          Les pommes et les produits de la pomme me semblent bien plus typiques et essentiels à la définition de notre « société distincte » que toutes les réglementations pour protéger le français et la culture concoctées dans les tours de Québec. Mais voilà, on ne peut pas y échapper puisque nous sommes tout de même au Québec, il y a des fruits pourris au royaume de la pomme.  
  
Trop tôt pour la McIntosh 
  
          Comme tout le monde le sait, parce que l'été est arrivé plus tôt, a été tellement chaud et ensoleillé, la saison est en avance de plusieurs semaines cette année. Cette saison hâtive force certains pomiculteurs à mettre leurs produits sur le marché plus tôt, de façon à éviter le pourrissement des fruits non cueillis ou un entreposage coûteux.  
  
          Sauf que, depuis des années, la date de mise en marché de chaque variété de pomme est fixée par la Fédération des pomiculteurs du Québec. Par exemple, la Paula Red ne peut être vendue dans les magasins avant le 23 août, la Lobo et la McIntosh un peu plus tard, etc. Ce système existe depuis vingt ans, présumément pour planifier de façon ordonnée la mise en marché des diverses variétés et assurer une qualité égale des pommes québécoises pour les consommateurs. Malheureusement, tout le monde ne s'entend pas sur ce qui fait qu'une pomme est mûre et prête à être écoulée.  
  
          Même si certains producteurs constatent que leurs produits ont mûri plus vite et sont déjà prêts, la Fédération, elle, a décidé de continuer à appliquer un calendrier uniforme. Elle a même pris des mesures juridiques contre certains de ses membres qui ont osé défier ses recommandations. Mais comment se fait-il qu'une « fédération », qui rassemble en théorie ses adhérents pour les représenter et les défendre, ait ainsi le pouvoir d'imposer sa volonté et même de s'attaquer à eux? Pas besoin de chercher de midi à quatorze heures... 

 
 
Un autre racket 
  
          La loi provinciale oblige en effet tous les producteurs agricoles à faire partie du syndicat qu'est l'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) ou d'une de ses constituantes. Les pomiculteurs sont donc d'office membres de la Fédération des pomiculteurs, un organisme bureaucratique qui ne tire pas sa légitimité et son pouvoir de l'appui de ses membres mais plutôt de celui de l'État. En fait, il s'agit simplement d'un autre de ces petits rackets de protection qui pullulent de façon légale et officielle dans cette société, et qui visent essentiellement à mettre des bâtons dans les roues aux entreprises et individus qui font quelque chose de productif.  
  
          Jean-Luc Legault, un pomiculteur de St-Joseph-du-Lac (voir Prix du Québécois Libre, p. 12), est l'un de ceux qui ont mis leurs pommes sur le marché avant la date imposée et qui refusent de faire partie de ce racket: « Je n'ai jamais fait partie de la Fédération. Eux prétendent qu'on en fait partie, mais nous autres on n'a jamais fait partie de cette fédération-là. Autrement dit, je leur dois rien. Sauf qu'ils imposent des dates, ils font leur loi, et puis nous autres on est contre ça tout simplement et on va se défendre en conséquence. » (Radio-Canada)                
  
          On en revient encore et toujours au droit de s'associer et de ne pas s'associer avec qui l'on veut, un droit qui a perdu toute substance dans les secteurs économiques planifiés ou contrôlés par l'État. Dans certains cas, les gouvernements ont imposé des regroupements de producteurs pour mieux « planifier le développement »; dans d'autres, une adhésion syndicale obligatoire des travailleurs et une centralisation des négociations qui devaient « civiliser les rapports de force » entre employeurs et employés. C'est ce qu'on retrouve dans tout l'immense secteur public bien sûr, mais aussi dans la construction, le vêtement, l'agriculture et d'autres. 
  
Éviter le bordel dans le marché 
  
          Le président de la Fédération des pomiculteurs, Dean Thompson, a sa réponse toute faite de petit bureaucrate stalinien pour justifier l'existence de son organisme et ses pouvoirs coercitifs: « Ce que nous autres on croit, c'est que si on est capable d'assurer que tout le monde se respecte entre eux autres et puis qu'ils ont une discipline pour toujours assurer qu'il y a une pomme de qualité sur le marché, c'est sûr qu'on n'a pas besoin des lois. Malheureusement, ça prend juste une petite minorité pour mettre un peu le bordel dans le marché. »  
  
          Hein? A-t-on besoin d'un organisme de réglementation pour contrôler toutes les boulangeries du Québec, déterminer l'heure de la fabrication de la pâte, etc., parce que certains boulangers nous vendent des miches un peu dures? C'est le choix du consommateur dans un marché libre qui permet de remédier au problème de la mauvaise qualité de certains produits: on va acheter ailleurs si on se fait avoir une deuxième fois. Ou encore, les marchands qui reçoivent des plaintes et s'aperçoivent qu'un fournisseur leur refile du mauvais stock ont tout intérêt à s'approvisionner ailleurs. Nul besoin de contrôler bureaucratiquement tout un secteur (la Fédération fait bien plus que fixer des dates) pour maintenir cette discipline, un marché qui fonctionne sans entrave le fait très bien et permet des ajustements constants.  
  
 
  
« Si les pommes sont mûres à Rougemont mais ne le sont pas encore à Dunham, tout le monde devra attendre que la récolte soit prête à Dunham! »
 
 
 
          La Fédération aussi prétend s'ajuster aux conditions de production qui ont cours à chaque saison ainsi qu'à la demande et aux autres aspects du marché. Mais c'est justement le propre des organismes bureaucratiques d'être incapables de faire preuve d'assez de flexibilité pour s'adapter à chaque nouvelle situation. Les bureaucrates n'ont pas accès au centième de toute l'information qui circule dans tout un secteur économique et qui permet à chaque intervenant de s'adapter à une situation locale. Et lorsqu'ils ont des bouts d'information – dans le cas qui nous occupe, la Fédération prétend avoir analysé « scientifiquement » les conditions de la récolte avant de conclure qu'il n'y avait pas lieu d'ajuster les dates – leur mode de gestion centralisé les force à aller au plus petit commun dénominateur et à faire fi de toute situation d'exception. Bref, si les pommes sont mûres à Rougemont mais ne le sont pas encore à Dunham, tout le monde devra attendre que la récolte soit prête à Dunham! 
  
Une argumentation totalitaire 
  
          Par définition, ce sont les illettrés économiques qui atteignent le sommet de la hiérarchie dans les organisations bureaucratiques comme la Fédération des pomiculteurs. Quelqu'un qui comprend le moindrement le fonctionnement d'une économie de marché ne pourrait occuper cette fonction sans s'arracher les cheveux devant l'absurdité de sa tâche. L'argumentation de M. Thompson est en effet potentiellement totalitaire. Selon lui, on n'aurait pas besoin de contrôle si tout le monde était parfait. « Malheureusement, ça prend juste une petite minorité pour mettre un peu le bordel dans le marché. » L'existence de cette petite minorité justifie donc la planification bureaucratique. Mais puisque la perfection n'existe pas et qu'il y aura évidemment toujours, partout, une minorité de gens croches qui vont mettre un peu le bordel dans le marché, on voit mal où l'intervention de l'État devrait s'arrêter. L'État devrait certainement, dans cette optique, tout contrôler, question « d'assurer que tout le monde se respecte entre eux autres et puis qu'ils ont une discipline ». C'est ce qu'ils ont tenté de faire en Union soviétique.  
  
          Des pomiculteurs qui triment dur chaque jour pour gérer leur entreprise, faire fructifier des investissements à très long terme ainsi qu'assurer la récolte de la prochaine saison, doivent donc endurer les diktats d'un minable apparatchik qui peut, grâce au pouvoir que l'État lui a conféré, anéantir le fruit de leur travail. Il n'y a pas que des fruits qui sont pourris au royaume de la pomme. 
 
  
 
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des  
nationalo-étatistes  
 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »   

Alexis de Tocqueville  
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
 
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