Montréal, le 11 septembre 1999
Numéro 45
 
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NOVLANGUE
 
 
     « Le système de santé du Québec doit être public, accessible à toute la population du Québec, un système à une vitesse, et à pleine vitesse, ça veut dire oui à un rôle pour le privé dans le cadre public. »    
  
Jean Charest
(commentant un recours légal contre le monopole de l'État sur la santé)
 
 

 
 
 
 

 
LE MARCHÉ LIBRE
 
LES 50 ANS D'UN
CLASSIQUE ÉCONOMIQUE
  
par Pierre Desrochers
  
  
          Le 14 septembre prochain marquera le cinquantième anniversaire de la première parution en anglais du plus important traité de l'École économique autrichienne, L'Action Humaine (Human Action), qui est la synthèse et la consécration de l'oeuvre de l'économiste Ludwig von Mises (1881-1973). Best-seller académique depuis sa parution en 1949, L'Action Humaine a joué un rôle important dans la résurgence contemporaine du libéralisme classique. Le traducteur français de l'ouvrage, Raoul Audouin, en résume bien la portée: 
           Les chefs de file actuels du libéralisme économique considèrent ce livre comme la référence fondamentale sur l'explication du réel social dégagée par les Classiques, les Utilitariens et les Marginalistes. Mais [Ludwig von Mises] n'a pas seulement mis en ordre et épuré cet énorme héritage: il l'a enrichi de démonstrations définitives dans tous les compartiments de la théorie des marchés et de la monnaie. Surtout, il a lumineusement expliqué comment les manipulations politiques du crédit entraînent de profondes et complexes dislocations dans le système des prix et les courants d'investissement(1).
  
          Fournir un résumé concis de L'Action Humaine est toutefois une tâche impossible, ne serait-ce que parce que sa table des matières fait plus de onze pages! On doit toutefois souligner que Mises y reprend et élabore davantage ses contributions antérieures, notamment sa théorie des cycles économiques (qu'il articule d'abord dans The Theory of Money and Credit, 1912), sa démonstration de l'incapacité structurelle d'un régime socialiste à assurer un niveau de vie comparable à une société libérale (Socialism: An Economic and Sociological Analysis, 1922) et son élaboration des fondements épistémologiques de la science économique (Epistemological Problems of Economics, 1933).  
 
 
Une analyse praxéologique de l'activité économique 
  
          Bien que L'Action Humaine soit l'un des plus implacables réquisitoires contre l'interventionnisme étatique, son auteur ne traite à peu près pas de l'actualité politique de la fin des années 1940, ou sinon d'une façon universelle, comme dans ses chapitres sur « l'interventionnisme fiscal », la « restriction de la production », « l'intervention dans la structure des prix », la « manipulation de la monnaie et du crédit », etc. L'Action Humaine est en fait bien davantage une tentative de remettre l'analyse économique sur des bases épistémologiques radicalement différentes de celles que l'on connaît aujourd'hui, car près des deux tiers du livre traitent des fondements théoriques et des applications de la science économique dans des chapitres comme « l'homme en action », « l'agir au sein du monde », « le rôle des idées », « la sphère du calcul économique », le « domaine et [la] méthode de la catallactique », « l'action dans le flux temporel », etc.  
  
          Mises se démarque totalement de ce que l'on enseigne aujourd'hui dans la plupart des départements d'économie, car il rejette sans ambage la mathématisation de l'économie, l'utilisation des grands agrégats et des statistiques économiques (comme le produit intérieur brut), la réduction des êtres humains à des homo oeconomicus désincarnés et les explications en termes de mobiles collectifs (comme par exemple la lutte des classes). Il soutient plutôt la thèse d'un dualisme méthodologique entre les sciences naturelles et les sciences humaines. Il considère donc que les méthodes semblant donner de bons résultats pour étudier les atomes, les composés chimiques ou le mouvements des planètes ne sont pas nécessairement les plus appropriées pour comprendre l'activité humaine et plus particulièrement la sphère économique.  
  
  
  
« Selon Mises, la science économique doit être fondée sur l'action humaine individuelle et intentionnée cherchant à répondre à des besoins connus uniquement des acteurs, car chaque individu a des valeurs, des préférences, des besoins et des désirs qui lui sont propres. »
 
 
 
          Mises élabore donc dans L'Action Humaine une alternative théorique qu'il nomme « praxéologie ». Le fondement de la praxéologie est l'existence de lois universelles du comportement humain qui sont tellement évidentes qu'elles sont universellement valides, ce qui implique que ces lois ne peuvent pas et n'ont pas besoin d'être prouvées ou falsifiées. Un de ces fondements est l'action, car il n'est aucunement besoin de faire une savante recherche pour savoir que les êtres humains agissent pour réduire leur sentiment de malaise. L'être humain a le pouvoir de supprimer des désirs instinctifs. Il possède une volonté propre. Il choisit entre des objectifs incompatibles. Nier que les humains agissent de la sorte revient en fin de compte à postuler qu'ils ne sont pas différents des atomes et des composés chimiques qui réagissent tous de la même façon dans des circonstances identiques. Selon Mises, la science économique doit donc être fondée sur l'action humaine individuelle et intentionnée cherchant à répondre à des besoins connus uniquement des acteurs, car chaque individu a des valeurs, des préférences, des besoins et des désirs qui lui sont propres. L'expérience individuelle est dès lors le seul fondement de la connaissance factuelle. 
  
          La praxéologie ne traite pas du monde extérieur, mais de la conduite de l'homme à son égard. La réalité praxéologique n'est pas l'univers physique, mais la réaction consciente de l'homme à l'état donné de cet univers. L'affaire de l'économie, ce ne sont pas des choses et des objets matériels tangibles; ce sont les hommes, leurs intentions et leurs actions. Les biens, les denrées, la richesse et toutes les autres notions relatives à la conduite ne sont pas des éléments de la nature; ce sont des éléments de signification et de conduite pour les hommes. Celui qui veut s'y intéresser ne doit pas porter son regard sur le monde extérieur; il doit les chercher dans l'intention d'hommes qui agissent.(2).
  
          On ne peut donc définir objectivement les « prix »et les « coûts » afin d'adopter une approche quantitative pour comparer la valeur économique des biens. L'étude de l'action individuelle ne constitue toutefois que le point de départ de l'étude de la concurrence, de la coopération sociale et des institutions, car les ensembles sociaux forment le cadre nécessaire dans lequel se développent les actions humaines et par lesquels elles sont influencées et rendues possibles. Mises précise ainsi: 
  
          La société, c'est l'action concertée, la coopération. La société est issue du comportement conscient et intentionnel. Cela ne signifie pas que les individus aient conclu des contrats en vertu desquels ils auraient fondé la société humaine. Les actions qui ont fait apparaître la coopération sociale et qui la font réapparaître quotidiennement ne visent à rien d'autre que la coopération et l'entraide avec d'autres pour l'obtention de résultats définis et individualisés. Le complexe entier des relations mutuelles créé par de telles actions concertées est appelé société. Il substitue la collaboration à l'existence isolée – au moins concevable – des individus. La société est division du travail et combinaison du travail. Dans sa fonction d'animal agissant l'homme devient un animal social.(3)
          Certains individus sont toutefois plus entrepreneuriaux que d'autres et exercent dès lors une influence plus importante. La praxéologie misesienne met donc l'emphase sur les processus du marché plutôt que sur un concept abstrait comme l'équilibre général. Mises ne se contente pas de décrire des phénomènes économiques tels que les prix, les salaires, les taux d'intérêt, la monnaie et les cycles économiques comme des choses existant par elles-mêmes sur lesquelles nous n'avons que peu de contrôle, car il les explique comme le résultat d'innombrables actions d'individus cherchant au meilleur de leurs connaissances à améliorer leur sort.  
  
L'influence contemporaine de L'Action Humaine  
  
          Bien que L'Action Humaine ait toujours été un succès de librairie, son influence dans le monde de l'économie académique n'a jamais été très grande. Certains économistes connus, comme John Kenneth Galbraith et Paul Samuelson, l'ont totalement discrédité lors de sa parution et les plus célèbres porte-étendards de la profession de la dernière génération ne sont sans doute même pas au fait de son existence. Son étude sérieuse est aujourd'hui limité à un petit noyau d'universitaires issus de différentes disciplines ayant un intérêt marqué pour la tradition économique autrichienne et l'étude de la coopération sociale(4). L'Action Humaine est toutefois un ouvrage qui transcende les modes académiques et il y a fort à parier que son influence la plus importante est encore à venir, car aussi bizarre que les positions idéologiques de son auteur puisse paraître au premier abord, elles sont toutefois beaucoup plus réalistes et convaincantes que ce qui se fait aujourd'hui dans les départements d'économie.  
  
  
  
1. Ludwig von Mises, L'action humaine: Traité d'économie, Presses Universitaires de France, 
    1985, (couverture).  >> 
2. Idem, p. 98-99.  >> 
3. Idem, p. 151.  >> 
4. Voir notamment les nombreuses contributions sur Mises publiées dans les périodiques suivants: 
    The Review of Austrian Economics, The Quarterly Journal of Austrian Economics, 
    The Journal of Libertarian Studies>> 

Notes:  
  
Le lecteur voulant plus de détails sur la vie, l'oeuvre et les critiques de Mises est invité à consulter 
le Austrian Study Guide du Ludwig von Mises Institute. 

Le Mises Institute a récemment publié une édition de luxe de la première édition de Human Action 
pour en célébrer le cinquantième anniversaire. La version la moins coûteuse de ce texte est toutefois 
publiée par la Foundation for Economic Education, de même que le texte d'accompagnement 
Mises Made Easier. 
 
 
 
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