Montréal,  25 sept. – 8 oct. 1999
Numéro 46
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
LE BLUES DES NATIONALO-GAUCHISTES
 
par Martin Masse
 
  
          On le constate de plus en plus ces derniers temps, les nationalo-gauchistes québécois ont les bleus. Nous sommes dans l'une de ces périodes cycliques où il semble y avoir un blocage dans le mouvement d'« émancipation collective » dont ils se veulent les élites avant-gardistes. Le peuple ne veut semble-t-il plus suivre, en tout cas pas dans des proportions suffisantes.  
  
          Ceux qui étaient là et s'en souviennent auront vaguement l'impression de se retrouver au début des années 1980, dans la période de morosité qui a suivi l'échec du premier référendum. Malgré une réélection triomphale du Parti québécois en avril 1981, le deuxième mandat de René Lévesque s'est avéré désastreux. Confrontés à un appui déclinant à leur option, les péquistes se sont alors mis à se déchirer entre radicaux et modérés, entre partisans d'un référendum à tout prix à court terme, d'une élection référendaire, d'un report de ce débat aux calendes grecques et du « beau risque » d'une dernière chance au fédéralisme. On sait que c'est cette dernière stratégie que Lévesque, appuyé par son successeur Pierre-Marc Johnson, avait choisie, provoquant ainsi le départ du ministre des Finances Jacques Parizeau et d'une poignée d'autres ministres et députés. Il a fallu une décennie et surtout la ferveur nationaliste qui a suivi l'échec de l'accord constitutionnel du Lac Meech avant que le PQ ne s'en remette et ne retrouve son unité.  
  
          Aujourd'hui, quatre ans après un autre échec référendaire, les séparatistes ne savent de nouveau pas trop quoi faire pour retrouver leur élan. Selon un sondage de la firme Sondagem paru ces derniers jours, l'appui à la souveraineté reste élevé à 47%, mais une forte majorité (68%) de Québécois ne veulent tout simplement pas de référendum dans l'immédiat et sont par ailleurs convaincus qu'il sera perdant si le gouvernement décide tout de même d'en tenir un. Un autre sondage de Léger & Léger n'accorde, lui, que 41% d'appui à la formule de « souveraineté-partenariat » et indique que 51% des Québécois souhaitent qu'un autre référendum ne soit « jamais » tenu. 
  
          Le scepticisme de la population n'est d'ailleurs pas le seul obstacle à l'atteinte de cet objectif. Après avoir été pris au dépourvu devant le résultat serré de 1995, le gouvernement fédéral a haussé la barre. Depuis que la Cour suprême a donné son opinion sur la question l'an dernier, Jean Chrétien et son ministre Stéphane Dion ne cessent de répéter qu'Ottawa ne reconnaîtra aucun résultat référendaire qui n'aura pas été obtenu avec une « question claire » et une « majorité claire », c'est-à-dire de bien plus que 50%+1. La naïveté dont faisaient preuve les deux camps lors des joutes précédentes a été dissipée. Malgré des protestations qui semblent de moins en moins convaincantes, les péquistes savent qu'un référendum gagné avec une faible majorité seulement ne leur donnera pas la légitimité, ici comme sur la scène internationale, pour mener à bien la séparation de la province, en tout cas pas en un seul morceau. 
 
 
Les débats creux du Bloc 
  
          Devant cette nouvelle impasse, les séparatistes s'en remettent donc comme il y a quinze ans à leur passe-temps favori, les débats théoriques creux et porteurs de divisions sur le sexe des anges. Le Bloc québécois a ainsi mis sur pied il y a quelques mois des « chantiers de discussion », dont l'un sur le très pertinent sujet de la définition de l'identité québécoise. Si l'on se fie au document produit et aux débats que cela a suscité lors de leur dernier congrès, pour les bloquistes, il faut mettre au rancart la notion de nation canadienne-française au profit d'une nation québécoise « qui inclut tous les citoyens ». Mais on précise quand même que cette nation n'aurait pas de sens sans l'existence d'une majorité nationale francophone ayant une langue, une culture et une histoire communes et que cela est « compatible avec la reconnaissance d'un pluralisme culturel au sein de la société québécoise ». Bref, la nation québécoise inclut théoriquement tous ceux qui vivent au Québec, mais ceux qui parlent français sont un peu plus inclus que les autres, ce qui n'exclut pas qu'on est tolérant et qu'on veut le pluralisme, mais jusqu'à un certain point seulement, etc. etc.  
  
          On a aussi appris lors de ce congrès que le Bloc a décidé de changer ses statuts pour se transformer en parti « permanent » sur la scène fédérale, confirmant ainsi que personne ne s'attend à la tenue d'un autre référendum à court terme. « On s'enracine dans le combat pour la souveraineté », a déclaré le chef Gilles Duceppe. Bel euphémisme pour dire que ces pathétiques deux de pique vont continuer à perdre leur temps à Ottawa jusqu'à ce que le vent tourne. Les plus ambitieux, eux, quittent le bateau. Lucien Bouchard a perdu son principal conseiller politique et speechwriter, Jean-François Lisée, un des stratège du référendum de 1995. Ce départ a fait beaucoup jaser, M. Lisée ayant dit pendant la dernière campagne électorale qu'il préférerait aller écrire des romans s'il avait la certitude qu'il n'y aurait pas de référendum durant le présent mandat. 
  
          En entrevue au Devoir, l'ancien journaliste et auteur a dit percevoir, comme tout le monde, « qu'il y a en ce moment un certain découragement général qui tient au cul-de-sac que l'on constate. Et je comprends très bien que des gens puissent avoir l'impression que c'est peut-être insoluble. Alors, ils se demandent: à quoi bon mettre de l'énergie? Surtout qu'il s'en est dépensé beaucoup d'énergie, depuis 30 ans, pour sortir le Québec du cul-de-sac » 
 
Réalisme fiscal 
  
          La situation du 2e mandat Bouchard ressemble à celle du 2e mandat Lévesque à d'autres égards. Dans les deux cas, le contexte socio-économique favorise en effet un certain réalisme fiscal qui s'accommode mal aux grands idéaux socio-démocrates. Au début des années 1980, Ronald Reagan et Margaret Thatcher appliquaient un frein aux politiques interventionnistes toujours plus ambitieuses qui avaient plongé l'Occident dans une période prolongée de ce qu'on a appelé la stagflation – c'est-à-dire la stagnation économique couplée avec un taux d'inflation élevé. Chez nous, confronté à une crise budgétaire et à des demandes irréalistes de la part des mafias syndicales du secteur public, le gouvernement péquiste imposait des coupures de salaires qui allaient lui assurer un ressentiment profond de la part de ses principaux supporters et une défaite aux élections suivantes. 
  
          Pas besoin de réfléchir longtemps pour voir les parallèles. Partout en Amérique du Nord, les gouvernements ont éliminé leurs déficits et procèdent maintenant à des baisses d'impôt. Comme les soi-disant « révolutions » reaganienne et thatchérienne, la vague actuelle de réalisme fiscal pourrait s'avérer très timide et ne réduire en rien la taille de l'État. Mais le mouvement est quand même réel et le gouvernement québécois se sent obligé de suivre, même de façon timorée. Lucien Bouchard maintient la ligne quant à son offre de 5% pour les hausses de salaires des employés du secteur public et, après un affrontement avec les infirmières au cours de l'été, c'est une lutte plus corsée avec un front commun de toutes les mafias syndicales qui s'annonce pour l'automne.  
  
  
  
« Le problème des nationalo-gauchistes est qu'ils n'arrêtent pas d'ausculter notre corps collectif et d'y voir les pires symptômes. »
 
 
 
          Deux sondages récents dans le National Post nous apprennent par ailleurs des choses intéressantes sur l'état d'esprit des Québécois. Alors que la crise du système de santé public s'amplifie de mois en mois et qu'une contestation du monopole étatique se poursuit devant les tribunaux (voir l'article de Jean-Luc Migué, p. 11), l'appui à cette vache sacrée du nationalisme canadien s'effrite. 41% des Canadiens ne font plus confiance au système actuel et se disent en faveur d'un plus large accès à des services privés. Fait surprenant toutefois, il n'y a qu'au Québec qu'une majorité se dégage en faveur de privatisations, avec 52% d'appui. Sur un autre sujet crucial, le niveau d'imposition, les résultats sont similaires. Un peu plus de la moitié des Canadiens considèrent qu'ils paient trop d'impôts par rapport aux services qu'ils reçoivent du gouvernement. Mais le sondage nous indique que cette attitude est partagée par presque les deux tiers des Québécois. Pour une population souvent décrite comme une tribu homogène où règne le « consensus » sur la nécessité d'avoir un État fort et interventionniste, le scepticisme à l'égard de ce même État paraît étonnamment élevé.  
 
          Pour ceux qui rêvent encore d'une alliance entre toutes les « forces progressistes » de la province pour atteindre les buts que sont l'indépendance et un socialisme toujours plus poussé, le spectacle ne doit pas être beau à voir. Les pauvres nationalo-gauchistes sont tellement déprimés que certains craquent, comme d'autres le faisaient il y a une quinzaine d'années. À l'époque, le ministre péquiste Claude Charron détruisait sa carrière politique en volant un manteau chez Eaton; plus récemment, l'hystérique présidente de la Centrale des enseignants, Lorraine Pagé, connaissait le même sort après des accusations (toujours contestées devant les tribunaux) de vol de gants chez La Baie.  
  
          Il suffit de lire les lamentations de la passionaria nationalo-gauchiste par excellence, Josée Legault, pour se rendre compte à quel point ils broient du noir. Dans une chronique à The Gazette intitulée « Clarkson brightens dreary week », elle ne trouve que la nomination de cette autre nationalo-gauchiste – nationaliste canadienne dans ce cas –, Adrienne Clarkson, au poste de gouverneure générale du Canada, pour faire contrepoids à une série de nouvelles déprimantes. Parmi celles-ci, elle cite la contestation devant les tribunaux du monopole de l'État dans la santé évoquée plus haut, un sondage montrant que les Québécois préfèrent des baisses d'impôt à des dépenses accrues dans la santé et l'éducation, ou encore le fait que Lucien Bouchard ne semble pas du tout prêt à tenir un référendum dans un avenir rapproché.  
  
Malades imaginaires 
  
          Les nationalo-gauchistes sont de grands malades imaginaires et on ne devrait pas trop s'en faire pour leur santé mentale chroniquement instable. Leur problème est qu'ils n'arrêtent pas d'ausculter notre corps collectif et d'y voir les pires symptômes. Par rapport à la santé parfaite que constituerait leur utopie, la nation est en effet toujours souffreteuse, handicapée, retardée dans sa croissance, gênée dans son épanouissement. Mais ce cul-de-sac, ce blocage collectif qu'ils diagnostiquent, n'existe que dans leur tête. La nation n'a pas d'état de santé, les caractéristiques qu'ils lui attribuent ne sont que des mythes collectivistes sans fondements. Il n'y a qu'une chose réelle: c'est la capacité des individus à s'épanouir, à atteindre leurs buts, à s'enrichir, à créer, à apprendre, à entreprendre. Pour faire tout cela, ils doivent être libres. La vraie maladie du Québec, c'est l'étatisme, ce sont toutes les entraves que l'État impose à l'épanouissement individuel.  
  
          Il y a donc un remède bien simple pour remettre le Québec sur les rails: démanteler l'infrastructure bureaucratique de l'État et libérer l'esprit d'entreprise et la créativité des Québécois. Ce n'est pas ainsi que les nationalo-gauchistes voient les choses évidemment. Pour eux, seuls les luttes populaires, les buts collectifs, les bouleversements politiques, les grands symboles nationaux, les interventions étatiques et les lois uniformes qui s'imposent à tous, servent à avancer le bien-être d'un peuple. Pour eux, les efforts de chacun pour améliorer son sort et prendre sa destinée individuelle en main ne sont que des actions triviales, lorsqu'elles ne vont pas carrément à l'encontre de l'intérêt collectif.  
  
          Qu'on ne se méprenne donc pas. Le blues de nos élites nationalo-gauchistes est un signe positif pour le Québec et il faut s'en réjouir, le temps qu'il durera. Il faut prendre avec un grain de sel tous ces discours grandiloquents sur notre impuissance nationale, qui ne sont que pure propagande collectiviste. Le spleen idéologique est une constante dans les débats au Québec(1) et cela n'est pas prêt de changer. Reste à voir maintenant si les remises en question actuelles permettront d'enclencher une nouvelle dynamique ou si nous ne suivront pas le même parcours politique débilitant que lors du dernier cycle.  
 
 
 
1. Voir ma CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCÉE publiée il y a cinq ans dans Le Devoir.    
  
  
 
Articles précédents de Martin Masse
 
 
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des  
nationalo-étatistes  
 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »   

Alexis de Tocqueville  
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
 
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