Montréal,  25 sept. – 8 oct. 1999
Numéro 46
 
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MOT POUR MOT
  
LA SIGNIFICATION DE « LAISSEZ FAIRE »
   
 
          La première édition en anglais de L'Action humaine (Human Action), le traité d'économie magistral de l'un des plus illustres représentants de l'École économique autrichienne, Ludwig von Mises, paraissait il y a cinquante ans ce mois-ci. Comme dans le numéro précédent, nous reproduisons quelques pages de ce livre important pour commémorer cet anniversaire.  
  
          Dans l'extrait qui suit de L'Action humaine (PUF, 1985, p. 768-770), Mises défend cette belle devise française que même la langue anglaise a adoptée, « laissez faire », une expression qui définit en deux mots l'essentiel du libertarianisme.
 
 
 
 
          Au XVIIIe siècle en France, l'expression laissez faire, laissez passer fut la formule dans laquelle certains des champions de la cause de la liberté condensèrent leur programme. Leur but était d'établir une société de marché sans entraves. Afin d'atteindre cet objectif ils préconisaient l'abolition de toutes les lois empêchant les gens plus industrieux et plus efficaces de l'emporter sur les concurrents moins industrieux et moins efficaces, et restreignant la mobilité des biens et des personnes. Voilà ce que signifie la célèbre maxime. 
  
          À notre époque où règne un désir passionné de rendre omnipotent le gouvernement, la formule laissez faire est vilipendée. L'opinion la considère maintenant comme une manifestation à la fois de dépravation morale et d'ignorance extrême.  

          Du point de vue des interventionnistes, l'alternative est entre « forces automatiques » et « planification consciente ». Ils considèrent comme évident que s'en remettre aux processus automatiques est pure stupidité. Nul homme raisonnable ne peut sérieusement recommander de ne rien faire et de laisser les choses aller leur cours sans faire intervenir une action intentionnelle. Un plan, du simple fait qu'il manifeste une action consciente, est incomparablement supérieur à l'absence de toute planification. Laissez faire, prétend-on, veut dire: laissez durer les maux, n'essayez pas d'améliorer le sort des hommes par des actions raisonnables. 

          Un tel langage est absolument fallacieux. L'argumentation avancée en faveur de la planification est entièrement fondée sur une interprétation inadmissible d'une métaphore. Elle ne repose que sur les connotations du terme « automatique », que l'on est habitué à employer dans un sens métaphorique pour décrire le processus du marché. Le Concise Oxford Dictionary donne pour équivalent du mot automatique « Inconscient, inintelligent, purement mécanique ». Automatique, dit le Webster's Collegiate Dictionary, signifie: « non soumis au contrôle de la volonté... accompli sans pensée active et sans qu'il y ait intention ou direction consciente ». Quel triomphe pour le champion de la planification que de jouer cet atout! 

          En réalité l'alternative n'est pas entre un mécanisme sans vie ou un rigide automatisme d'une part, et une planification consciente de l'autre. L'alternative n'est pas entre: plan, ou pas de plan. La question est: de qui le plan? Chaque membre de la société doit-il faire son plan pour lui-même, ou est-ce un bienveillant gouvernement qui devrait seul faire le plan de tous? Le problème n'est pas: automatisme ou action consciente; il est entre action autonome de chaque individu, ou action réservée au seul gouvernement. Il est: liberté ou omnipotence gouvernementale. 

          Laissez faire ne signifie pas: laissez des forces mécaniques sans âme fonctionner. Cela signifie: que chaque individu choisisse comment il veut coopérer à la division sociale du travail; que les consommateurs décident de ce que les entrepreneurs devraient produire. Le planisme signifie: laissez le gouvernement seul choisir, et imposer ses décisions par l'appareil de contrainte et de répression. 

          En régime de laissez-faire, dit le planiste, ce ne sont pas les choses dont les gens ont « réellement » besoin qui sont produites, mais les choses dont la vente rapportera vraisemblablement les plus fortes recettes. L'objectif de la planification est de diriger la production vers la satisfaction des besoins « réels ». Mais qui décidera de ce qui constitue ces besoins « réels »? 

          (...) 

          Tous ces éloges passionnés de la suréminence de l'action du gouvernement déguisent mal l'auto-déification de l'interventionniste lui-même. Le grand dieu État n'est un grand dieu que parce qu'on en attend qu'il fasse exclusivement ce que voudrait personnellement voir réaliser le partisan du planisme. Seul est authentique le plan qu'approuve pleinement le planiste qui parle. Tous les autres plans ne sont que des contrefaçons. En disant « le plan », ce qu'a dans l'esprit l'auteur d'un livre sur les avantages du planisme, c'est bien entendu son plan à lui. Il ne lui vient pas à l'idée que le gouvernement pourrait mettre en application un plan différent. Les divers planificateurs ne sont d'accords qu'en ce qui concerne leur refus du laissez-faire, c'est-à-dire leur opposition à ce que chacun puisse choisir et agir à son gré. Ils cessent complètement d'être d'accord quant au choix du plan unique qu'il faut adopter. Chaque fois qu'on leur montre les défauts manifestes et incontestables des politiques interventionnistes, les partisans de l'interventionnisme réagissent de la même manière. Ces défauts, disent-ils, sont imputables à un interventionnisme bâtard; ce que nous préconisons est un bon interventionnisme, pas un mauvais. Et bien entendu, le bon est celui qu'a mûri le professeur. 

          Laissez faire signifie: laissez l'homme ordinaire choisir et agir; ne l'obligez pas à céder devant un dictateur.  

  
  
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