Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
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LE DÉFERLEMENT DE L'ÉTAT
  
  
Les dépenses publiques 
au Canada, en 
pourcentage du PIB: 
  
  
1926            15% 
  
1948            21% 
  
1966           30% 
  
1996             46% 
  
  
  
(Source: Statistique Canada) 
 
  
 
 
LE MARCHÉ LIBRE
 
LES CLICHÉS DU MODÈLE QUÉBÉCOIS
  
par Pierre Desrochers
  
  
          Le journaliste Pierre Tourangeau et une équipe de la Société Radio-Canada ont récemment présenté dans le cadre de l'émission Le Point une série de trois reportages sur le « modèle québécois ». Si les « partenaires socio-économiques » du Québec Inc. ont encore une fois dominé la discussion, certains opposants au corporatisme provincial (dont notamment l'équipe du Québécois Libre) ont pu exprimé des doutes.  
  
          Le format retenu par l'équipe du Point – un collage de vignettes et de phrases-chocs – n'a toutefois pas toujours permis d'engager le débat entre les tenants et les opposants de l'interventionnisme. Les ministres, hauts fonctionnaires et bénéficiaires de la manne étatique ont donc pu tenir certains propos que les artisans du QL se seraient empressés de corriger s'ils en avaient eu l'occasion. Voici donc, dans le premier d'une série de deux articles, un regard critique sur quelques clichés véhiculés par notre élite. 
  
CLICHÉ #1: L'ouverture de la voie maritime et le développement des provinces de  l'Ouest ont favorisé Toronto au détriment de Montréal. 
  
          L'argument selon lequel le développement de l'Ouest a favorisé Toronto au détriment de Montréal ne tient tout simplement pas. Il suffit d'ouvrir n'importe quel atlas pour constater que Montréal était bien mieux situé géographiquement que Toronto pour bénéficier du développement des Prairies canadiennes. On oublie un peu trop facilement que Toronto est située au SUD-ouest de Montréal et que la capitale ontarienne est entourée de masses d'eau importantes qui en ont toujours fait un site moins intéressant que Montréal pour le transit entre l'Europe et les Prairies.
 
 
          L'ouverture de la voie maritime a évidemment coûté quelques emplois à Montréal, mais la ville ontarienne ayant le plus bénéficié de l'ouverture de la voie maritime a sans l'ombre d'un doute été Thunder Bay, dont la localisation stratégique en fait naturellement un point de transbordement important pour le blé de l'ouest. L'expansion du port de Toronto après l'ouverture de la voie maritime reflète bien plus le dynamisme de l'économie locale qu'autre chose. Il suffit d'avoir visité ce qui reste des ports américains des Grands Lacs, notamment Toledo et Cleveland, pour se convaincre que la construction de digues et d'écluses n'explique pas le développement de Toronto.  
  
          La saga Toronto / Montréal n'a rien d'unique dans l'histoire de l'Amérique du nord, car plusieurs villes émergeantes ont détrôné d'anciennes métropoles régionales. New York a ainsi complètement éclipsé Philadelphie au milieu du XIXe siècle. Chicago a fait de même par la suite avec Saint-Louis, tandis que Los Angeles a depuis longtemps supplanté San Francisco. Dans chacun des cas, le succès des métropoles émergeantes ne s'explique pas tant par des « facteurs structurels » hors du contrôle des acteurs économiques que par la présence d'entrepreneurs plus dynamiques.  
  
          Chicago a ainsi été littéralement construite sur un marais, tandis que Los Angeles, contrairement à San Diego et San Francisco, est un site de piètre qualité pour la construction d'installations portuaires. Si l'aéroport Lester B. Pearson de Toronto a depuis longtemps éclipsé Dorval et Mirabel, ce n'est pas tant à cause de son emplacement que de la croissance importante de l'économie torontoise qui a généré une utilisation croissante des infrastructures de transport de la ville-Reine.  
  
CLICHÉ #2: Sans Québec Inc., le Québec serait aussi pauvre que Terre-Neuve. 
  
          L'une des affirmations les plus surprenantes dans le reportage du Point est sortie de la bouche de Jean-Claude Scraire, un fonctionnaire de carrière ayant passé presque toute sa vie adulte à la Caisse de dépôt et placements du Québec. M. Scraire, qui a toujours été un tenant du « Bigger is Better », affirme ainsi le plus sérieusement du monde que sans interventionnisme étatique, le Québec serait aussi pauvre que Terre-Neuve. Or s'il y a quelque chose de frappant dans l'économie de la plus maritime des provinces canadiennes, c'est qu'elle est la seule où le poids de l'État (fédéral dans ce cas) est plus important qu'au Québec (voir notamment les études de l'Institut Fraser sur la question).  
  
  
  
« Comme au Québec, les interventionnistes terre-neuviens ne peuvent aujourd'hui justifier leur piètre bilan qu'en affirmant que les choses auraient été pires sans eux. »
 
 
          En fait, l'entrée de Terre-Neuve dans la confédération s'est faite sous la promesse d'un rôle accru de l'État fédéral dans le développement économique de la province. Comme au Québec, les interventionnistes terre-neuviens ne peuvent aujourd'hui y justifier leur piètre bilan qu'en affirmant que les choses auraient été pires sans eux. Rien ne le laisse toutefois penser (voir LE SAUPOUDRAGE RÉGIONAL, le QL, no 3 et COUP DE GRISOU FÉDÉRAL, le QL, no 30).  
  
CLICHÉ #3: Il est encore possible d'être interventionniste et prospère. 
  
          Selon le journaliste Pierre Tourangeau, le débat est encore ouvert entre les tenants du néolibéralisme et de l'interventionnisme, car si la Grande-Bretagne et les États-Unis connaissent un succès indéniable, la Suède prouverait par contre qu'il est possible d'être interventionniste et prospère. Contrairement à ce qu'affirme le journaliste de Radio-Canada, les interventionnistes n'ont plus beaucoup d'arguments à offrir. 
  
          Un des bons plaidoyers récents en faveur du libéralisme économique a été offert par Michael J. Boskin de la Hoover Institution. Boskin y compare notamment les performances des pays d'Europe de l'Ouest à celle des États-Unis en terme de création d'emplois, une mesure beaucoup plus fiable du dynamisme économique que le taux de chômage (que l'on peut réduire en augmentant le nombre d'assistés sociaux ou de bénéficiaires d'autres programmes). Boskin remarque ainsi que la population européenne en âge de travailler a augmenté de plus de 30 millions d'individus entre 1970 et 1994, tandis que le nombre d'emplois n'a augmenté que de 19 millions. La majeure partie de cette création d'emplois a toutefois été le fait du secteur public, car le nombre d'emplois dans le secteur privé a diminué d'un million pendant cette période.  
  
          Par contraste, la population américaine en âge de travailler a augmenté de 40 millions pendant cette période, le nombre d'emplois a augmenté encore davantage et l'immense majorité de ceux-ci ont été le fait du secteur privé. Et il est faux de prétendre que ce ne sont que des « McJobs », car toutes les études sérieuses démontrent qu'il s'agit d'emplois rémunérateurs (voir notamment les travaux de l'économiste Michael Cox de la Federal Reserve Bank of Dallas et ceux de Robert Rector et Rea Hederman de la Heritage Foundation). 
  
          Le cas de la Suède est également intéressant. On doit d'abord souligner que ce pays a eu l'une des économies les plus libérales de la planète entre 1850 et 1950, ce qui a permis de créer une richesse que les socio-démocrates ont entrepris de redistribuer à grande échelle. S'il est vrai que l'économie suédoise a repris du poil de la bête depuis quelques années, M. Tourangeau oublie un peu trop rapidement que ce pays a connu plusieurs années de croissance négative au début de la présente décennie. De plus, le niveau de vie des Suédois ne cesse de décliner depuis maintenant près de trente ans. Si la Suède était l'un des trois pays les plus riches per capita de l'OCDE au début des années 1970, elle n'occupe plus désormais que le vingtième rang certaines années (pour d'autres informations sur le sujet, voir le site de l'Institut Timbro de Stockholm). 
  
          Le débat entre le libéralisme et l'interventionnisme sur la création de richesse est en réalité pratiquement clos, car plusieurs études empiriques récentes sur le degré de liberté économique et la création de richesse ont prouvé hors de tout doute que le libéralisme n'a pas son pareil pour générer la croissance (voir à ce sujet la série d'articles sur la liberté économique et la richesse des nations dans le Cato Journal).  
  
          J'explorerai d'autres clichés exprimés au cours de ces reportages dans une chronique subséquente en janvier.  
  
 
 
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