Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
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NOVLANGUE
 
 
    « Les propos incendiaires de M. Chrétien ne prévaudront jamais contre les principes démocratiques fondamentaux qui garantissent au peuple québécois la pleine capacité de décider de son avenir. Je n'entends donc pas brader, transiger ou renoncer aux droits du peuple du Québec. » 
  
 
Lucien Bouchard
  
 
 
 
 
 
LIBRE EXPRESSION
  
LA « DIVERSITÉ CULTURELLE »
UN PRÉTEXTE PAYANT
  
  par Gilles Guénette
  
 
          Lors des dernières négociations commerciales de l'Uruguay Round, les intervenants de la culture utilisaient le concept d'« exception culturelle » pour parler de l'urgence de protéger la culture des accords commerciaux mondiaux et des tentacules du marché. À une époque où le choix des mots utilisés pour expliquer quelque chose est souvent plus important que la logique derrière ce quelque chose, les intervenants de la culture d'ici et d'ailleurs se sont présentés cette semaine à la nouvelle ronde de négociations de l'Organisation mondiale du commerce avec une formule beaucoup moins négative pour parler d'exemption et de protection. Le concept utilisé à Seattle autour des tables aura été celui de la « diversité culturelle » – qui peut se dire en faveur d'une culture uniforme et homogène? Ce concept, à première vue innocent, en dit long sur les positions idéologiques de ses défenseurs. 
  
Nouvelle négo, nouveau logo 
  
          « La diversité culturelle est un droit fondamental de l'humanité et les États doivent en assurer la sauvegarde et la promotion ». C'est ce que prétendent les membres de la Coalition pour la diversité culturelle (CDC), un regroupement d'organismes des milieux culturels québécois et canadien qui a reçu l'appui de quelques petits pays aussi préoccupés par la question. Et qui dit sauvegarde, dit protection. Pour les membres et sympathisants de la CDC, il est clair que les États ont droit à une entière liberté d'adopter les politiques « nécessaires » au soutien de la diversité des expressions culturelles et de la viabilité des entreprises de production et/ou de diffusion; que les accords commerciaux internationaux doivent être assujettis au respect intégral de ces politiques; et que l'application de ces politiques ne doit faire l'objet d'aucunes représailles.
 
 
          Lorsque les défenseurs de la diversité culturelle parlent « culture », ils ne peuvent s'empêcher d'utiliser de grandiloquentes formules creuses. Pour le président sortant de l'Association of Canadian Publishers, Jack Stoddart, « La culture est l'âme d'un pays »(1); pour la présidente de Télémédia Communications, Louise Roy, « Les biens et les services culturels [sont des] véhicules de transmission des éléments intangibles qui sont l'essence même de notre société. »(2); pour le président de l'Union des artistes du Québec, Pierre Curzi, « les cultures et leurs manifestations sont autant d'expressions de nos identités individuelles et collectives [qui] constituent un patrimoine mondial inestimable. »(3) 
  
          Une fois l'ampleur du sujet établie, ces illettrés économiques cultivés s'attaquent alors au marché et à ceux qui le défendent, qui ont le malheur de traiter le secteur culturel comme s'il s'agissait de n'importe quel autre secteur régi par les lois du marché. « La notion d'une culture-marchandise dans laquelle toutes les expressions de la créativité humaine ne constituent que des prétextes à transaction commerciale est, à proprement parlé, démente. »(4) de dire le président de l'UDA; « Les biens culturels ne doivent en aucune façon être réductibles à leur seule dimension marchande. »(5) de soutenir le secrétaire d'État canadien à la francophonie Raymond Duhamel; « La culture n'est pas un produit de consommation, la liberté culturelle est un droit fondamental de l'humanité. »(6) d'ajouter la ministre du Patrimoine canadien Sheila Copps. 
  
          Si la culture ne peut être régie par les lois du marché et qu'elle est si fragile dans un contexte de mondialisation, il ne reste qu'une solution: la protéger. Et dans un monde de gauche/droite, de gars/filles et de nuit/jour, ce qui n'est pas privé ne peut qu'être... public! C'est donc aux gouvernements que revient le mandat de s'assurer que la culture s'épanouisse en dehors des accords commerciaux et de toutes ces bébelles de marché. Les pressions sont entreprises, les négociations se multiplient... 
  
Le grand absent 
  
          Dans tout le brouhaha entourant le débat « culture vs marché » dans les médias, on ne peut s'empêcher de noter un grand absent: le citoyen. Le citoyen consommateur de culture ne se prononce jamais et les nombreux lobbyistes, ministres, fonctionnaires et porte-parole du milieu, trop occupés qu'ils sont à tirer chacun sur leur bout de couverture pour avoir plus d'argent, ne le mentionnent pas plus. Certains diront que s'ils n'en parlent pas c'est parce qu'ils débattent toujours en son nom, mais leur discours qui n'est axé que sur les revendications d'artistes et la protection d'entreprises culturelles dément une telle hypothèse. 
  
          Au fond, sous le couvert de mots comme « diversité » et « ouverture », et parallèlement à leur éternelle croisade contre la soi-disant invasion culturelle américaine, les membres et sympathisants de la CDC réclament plus de protection pour leurs membres et amis. Dans le déluge de points de presse, de prises de positions et de contre-réactions, les intervenants de la culture parlent uniquement d'artistes, d'entreprises culturelles et de groupes de défense... C'est beaucoup plus l'industrie de la culture qu'il faut protéger à tout prix que la culture avec un grand « C » 
 
 
  
« À la base d'une argumentation comme la diversité culturelle, il y a la certitude que la culture ne peut s'épanouir et évoluer dans un environnement où l'État n'intervient pas. »
 
 
 
          La diversité culturelle n'est en réalité qu'un gros subterfuge. Un prétexte pour 1) justifier l'intervention des gouvernements et la redistribution de notre argent à une petite clique d'artistes et d'entreprises culturelles pour la plupart bien établis; 2) justifier les hauts cris poussés par quelques intellos antiaméricains qui se donnent des kicks à toutes les fois que le Canada sert une « leçon » à nos voisins du sud; et 3) justifier les nombreuses sorties médiatiques de membres d'une petite élite pour qui l'épanouissement d'une culture est beaucoup trop importante pour qu'on en laisse la responsabilité à de simples citoyens – et pour qui il est impératif que l'on décide « collectivement » (c'est-à-dire, entre eux et leurs éclairés amis) de ce qui est bon, ou pas, pour la masse. 

          À la base d'une argumentation comme la diversité culturelle, il y a surtout la certitude que la culture ne peut s'épanouir et évoluer dans un environnement où l'État n'intervient pas. Agnès Maltais, la ministre de la Culture du Québec, a bien résumé cette position récemment: « Il est essentiel que soit reconnue à l'échelle internationale la capacité des États et des gouvernements de soutenir et de promouvoir la culture. Si le Québec a su conserver sa culture si vivante en Amérique du Nord, c'est grâce à une volonté de sa population et de ses artistes, volonté qui s'est exprimée par des politiques culturelles et linguistiques soutenues par une panoplie de mesures fiscales et d'aide directe. La force de notre culture est intimement liée au pouvoir d'application de nos politiques. »(7) 

          Heureusement, les beaux jours de ces interventionnistes de la culture achèvent. Avec la popularité toujours grandissante de l'internet et la convergence de la radiodiffusion, de la câblodistribution, de la communication par satellite et des télécommunications, la capacité de se protéger contre l'étranger disparaît rapidement. Dans une dynamique numérique, les frontières n'ont plus d'impact sur la circulation des produits culturels. D'un simple mouvement de souris, le citoyen se fait sa propre diversité culturelle! Impossible de contrôler ce qu'il consomme. 

Les coûts de la peur 

          Les membres et sympathisants de la Coalition pour la diversité culturelle voudraient nous faire croire que notre culture est fragile et qu'elle est menacée par toutes sortes de dangers venus de l'étranger. Pourtant, malgré le fait que le Québec soit géographiquement collé sur le « monstre américain », les statistiques de cotes d'écoute Nielsen, par exemple, démontrent que du 8 au 14 novembre derniers, les trente émissions de télé les plus regardées étaient toutes québécoises à l'exception du Cinéma Télémax/Vidéotron, en 30e position. Les Québécois, comme n'importe quelle autre nationalité, aiment se retrouver dans la culture qu'ils consomment. Donnez-leur un téléviseur, une radio, un écran d'ordinateur et ils vont se brancher automatiquement sur les chaînes (ou les sites) qui leur renvoient leur image. 

          Que les lobbyistes de la culture subventionnée en soient conscients ou non n'est pas pertinent, ils ont intérêt à ce qu'un climat de peur règne dans notre société – peur d'être envahis par la culture américaine, peur de perdre sa langue, peur des aliments transgéniques... De tels climats justifient leur existence, fouettent l'ardeur des troupes (contribuables ou cotisants) et permettent d'aller chercher un maximum de fonds publics. Ils se servent de notre argent pour installer le climat qui va ensuite commander un investissement massif pour l'enrayer. 

          Au lieu de s'efforcer à trouver de nouvelles combines pour se protéger, les militants de la culture devraient encourager les artistes à développer des produits culturels dont les gens voudront. S'il est si important de préserver notre identité culturelle et si notre culture est si bonne, pourquoi ont-elles tant besoin d'être protégées? Ne devrions-nous pas valoriser l'une et s'arracher l'autre? Ou bien notre culture n'est pas assez bonne, ou bien nous sommes tous des imbéciles à qui il faut montrer ce qui est bon et ce qui l'est moins. 

          Espérons qu'avec le temps, le discours des protectionnistes sera remplacé par celui d'artistes libres et dynamiques ayant quelque chose à dire et offrant autre chose que des craintes. La diversité culturelle n'est pas quelque chose que l'on impose avec une série de mesures et de décrets. La véritable diversité culturelle surgit spontanément là où il y a une interaction entre des artistes qui ont un produit à offrir et des citoyens qui souhaitent le consommer. 
  
 
 
1. Alain Brunet, « Une permanence pour la diversité culturelle », La Presse, 
    3 novembre 1999, E1.  >> 
2. Presse canadienne, « La présidente de Télémédia Communications prône la 
    résistance aux Américains », La Presse, 30 novembre 1999, C2.  >> 
3. Pierre Curzi, « Diversité culturelle: Québec et Ottawa doivent travailler côte 
    à côte », La Presse, 26 mars 1999, B3.  >> 
4. Idem.  >> 
5. Michel Dolbec, « La francophonie en faveur de la diversité culturelle », 
    La Presse, 1er décembre 1999, E4.  >> 
6. Alain Brunet, « Une permanence pour la diversité culturelle », La Presse, 
    3 novembre 1999, E1.  >> 
7. Communiqué de presse du ministère québécois de la Culture à l'issue d'une table 
    ronde des ministres de la Culture tenue en novembre dernier à l'occasion de la 30e 
    session de la Conférence générale de l'UNESCO.  >> 
 
 
  
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