Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
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     « Laws provide, as much as is possible, that the Goods and Health of Subjects be not injured by the Fraud and Violence of others; they do not guard them from the Negligence or Ill-husbandry of the Possessors themselves. » 
  
John Locke
 
 
 
 
BILLET
  
ESSAYEZ LA DOUCEUR...
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          J'ignore comment vous présenter mon petit problème... c'est qu'il s'agit d'un sujet, euh, pas très facile à aborder et qui, comble de malheur, n'a pas l'heur (for some reason) de plaire aux intellos de salon. Alors je me dis: eh puis merde, fonce. On verra bien... Ahem, ahem... j'utilisebeaucoupdepapierdetoilette. Voilà, c'est dit. 
  
          Ça vous est déjà arrivé, à vous? Vous vous êtes déjà demandé ce qu'avait l'air votre consommation de la chose par rapport à celle de vos voisins, parents et amis? (En passant, et pour faire la preuve que je suis sensible à la discrimination positive; voilà un sujet qui est très féminin merci.) Vous êtes quel genre de consommateur de papier-cul? 
  
          Pensez-y. 
  
          Je sais, c'est très personnel. À part un sketch de Rock et Belles Oreilles sur les vertus du simple-épaisseur il y a de cela une quinzaine d'années (mon doux, je vieillis!), je ne me rappelle pas avoir en entendu beaucoup parler. 
 
Tendances de fond 
 
          Et pourtant, c'est un machin incontournable. 
 
          Et il n'y a pas grand-chose que les manufacturiers puissent faire pour vous inciter à modifier votre comportement. Vous allez essayer une nouvelle marque, parce que vous avez bien aimé la pub avec les chatons-mignons, ou vous allez acheter les yeux fermés la marque qui s'adonne à être en solde cette semaine-là. Et si, comme moi, vous aimez la sensation sécurisante que vous apporte le motton bien épais, il n'y a personne pour vous faire économiser malgré vous. Laissons les trois carrés bien repliés à ceux qui craignent soit 1) le gaspillage des ressources, 2) d'irriter leur peau de bébé ou 3) de boucher le renvoi. 
 
 
          C'est pour vous dire à quel point la pub et tout le marketing imaginable n'ont qu'un effet limité sur le comportement des gens. Chacun d'entre nous avons des tendances bien personnelles, des comportements presque innés qui sont très difficiles à modifier. 
 
          Et pourquoi diantre vous cause-je de? Très simple. 
 
          Ce qui vaut pour le papier de toilette vaut pour la cigarette. Il y a des gens qui ont tendance à fumer, d'autres qui détestent l'idée. Certains essaient pour faire cool, d'autres ne peuvent s'en passer. Même chose, soit dit en passant, pour le café, l'alcool ou les frites de McDo; on ne choisit pas toujours ce à quoi on deviendra accroché. 
 
          Mais les bonnes âmes de la santé aimeraient bien nous faire croire autre chose. Al Pacino à l'appui, on voudrait nous rentrer dans le coco que les grands méchants loups des compagnies de tabac passent leurs journées à inventer des pièges machiavéliques pour « attirer » des enfants innocents dans leurs griffes-dont-on-ne-sort-que-les-pieds-devant. Et c'est pour cette raison qu'Allan Rock, ministre fédéral de la Santé, s'est engagé Jeffrey Wigand (le chimiste dont l'histoire a inspiré le film « The Insider ») à titre de « conseiller spécial » afin d'aider les Canadiens à combattre l'ennemi-du-jour. 
 
 
  
« Personne ne peut forcer les gens à fumer contre leur volonté, de la même façon que Cottonelle ne peut vous inciter à utiliser plus de papier-cul que ce que VOUS considérez nécessaire à votre bonheur. »
 
 
 
          À moins que ce ne soit pour se rallier les foules d'anti-tabac hystériques afin de booster sa course au leadership des libéraux fédéraux (pauvre Allan Rock, il doit bien se débrouiller avec ce qu'il a...) mais non, sans doute divague-je. Les politiciens n'ont que notre bien-être à coeur, c'est bien connu. Jamais ils n'oseraient exploiter les terreurs du bon peuple pour se faire du capital politique. 
 
          Humpf, j'ai de ces idées, des fois. 
 
Vendre la « bonne » marque 
  
          Oui, les compagnies de tabac veulent vendre (dum-dum) du tabac. Que pourraient-elles bien faire d'autre? Tricoter des mitaines? Ben oui, elles tentent d'influencer les gens afin de les faire switcher de marques. Ben oui, elles aimeraient que plus de gens fument. Et sûrement qu'elles savaient que la nicotine créait une dépendance – pratiquement tout le monde le savait. Petit détail qui n'a pas empêché des millions de nord-américains d'écraser pour de bon. 
 
          Et alors? Pensez-vous que McDonald's souhaite que tout le monde vire granole et se remette à la crème Budwig? Et Seagram? Est-ce qu'on leur demande de financer les AA? Pourtant, la graisse et la bagosse doivent, elles aussi, créer une certaine dépendance qui n'est sans doute pas très bonne pour la santé. 
 
          Personne ne peut forcer les gens à fumer contre leur volonté, de la même façon que Cottonelle ne peut vous inciter à utiliser plus de papier-cul que ce que VOUS considérez nécessaire à votre bonheur. Comme les gens utilisent – de toutes manières – le produit, White Swan tente de les attirer vers la « bonne » marque. Les compagnies de tabac font la même chose; et c'est pour cette raison qu'elles font de la pub. Si les gens se mettent à fumer, qu'elles se disent, aussi bien que ce soit des DuMaurier. 
 
          Évidemment que les jeunes sont plus influençables que les adultes (enfin, c'est ce qu'on dit), mais dites-moi une chose, vous qui savez tout: à quoi peuvent bien servir les parents? Si ça prend l'intervention du gouvernement pour apprendre aux enfants que la cigarette, c'est caca... je vous dis qu'on n'ira jamais bien loin dans la vie. 
 
          Décourager les gens de commencer à fumer est un objectif louable. Personne n'a dit que le tabac est bon pour la santé. Mais de là à en faire une maladie nationale, il me semble qu'il y a une marge. 
  
 
 
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