Montréal, 1er février 2003  /  No 118
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
 
ÉDITORIAL
 
COMMENT NOS APPARATCHIKS SE PROTÈGENT CONTRE L’ÉTATISME
 
par Martin Masse
 
 
          On sait que dans l’ex-Union soviétique et ses satellites, les membres influents du parti et les proches du pouvoir n’avaient pas besoin de faire la file pour acheter un pain ou l’un des rares morceaux de viande qui se rendaient dans les magasins d’État. Ces apparatchiks avaient leurs propres magasins exclusifs, avec des comptoirs bien garnis où ils pouvaient se procurer tous les biens de consommation de luxe importés d’Occident, en plus des biens de première nécessité.
 
          L’idéologie communiste prescrit, en théorie, l’égalité de tous. En réalité bien sûr, tout le monde est égal dans la misère et l’oppression, sauf la clique au pouvoir qui jouit de tous les privilèges. La planification socialiste menant invariablement au désastre économique, il faut bien que ces grandioses personnages qui ont l’honneur de faire progresser l’humanité vers sa libération se donnent les moyens de se protéger contre les effets pervers de leurs propres politiques. Il serait indigne de les forcer à consommer les souliers en carton ou les saucisses avec 0.5% de contenu de viande dont les masses prolétariennes doivent se contenter. Alors on permet l’existence d’un petit secteur commercial où les échanges de produits de qualité avec les exploiteurs capitalistes de l’Ouest sont permis. Rien qu’une petite entorse à la règle évidemment, la révolution n’est aucunement compromise.  
  
          Pour les apparatchiks, c’est la situation idéale: ils jouissent d’un immense pouvoir en tant que planificateurs et gestionnaires des secteurs étatisés de l’économie, en même temps que de privilèges qui leur donnent accès au luxe de l’économie capitaliste.  
  
La même chose ici 
  
          La situation n’est pas si différente dans les social-démocraties occidentales. Chez nous, les supermarchés sont évidemment bien garnis et on peut se procurer la plupart des produits de luxe très facilement. Mais il reste des pans entiers de l’économie contrôlés par l’État, en particulier la santé et l’éducation, où l’on observe le même phénomène que dans le cas de la nourriture et des vêtements dans les « démocraties populaires » de l’Est.  
  
          La propagande nationalo-étatiste décrit la santé et l’éducation comme des « biens sociaux », c’est-à-dire le contraire d’un simple bien de consommation ou, pour employer un terme encore plus dénigré, une « marchandise ». C’est ce qui justifierait la mainmise des bureaucrates sur ces secteurs, au profit de la collectivité tout entière. Comme lorsque les bureaucrates planifient les récoltes de patates, ce qui arrive en pratique est que les services de santé et d’éducation sont rationnés et qu’il faut se contenter de services moindres et de moins bonne qualité que ce que l’on souhaiterait obtenir. D’une réforme majeure à l’autre, ces secteurs sont presque constamment en crise.  
  
          Que font nos apparatchiks? Ils se protègent en ayant recours à des services parallèles qui sont à l’abri des catastrophes de la planification socialiste.  
  
          Au Québec, l’éducation « publique et gratuite » est une sorte de Tchernobyl permanent. On sait à quel point les élèves qui arrivent au cégep, et même à l’université, ne savent souvent pas écrire plus de trois mots sans faire de faute. Exprimer une pensée cohérente dans un texte de quelques pages est un exploit pratiquement surhumain. Au secondaire, 41% des garçons et 26% des filles quittent l’école avant d’avoir obtenu leur diplôme, résultat direct de la mauvaise gestion, des contraintes réglementaires, du manque d’incitatifs à la performance, de l’absence d’implication des parents (pourquoi perdre son temps lorsque ça ne change rien?), de méthodes pédagogiques inadaptées (parce que déterminées par des bureaucrates et imposées uniformément à toutes les écoles), etc.  
  
          Les apparatchiks défendent évidemment cette façon de faire, puisqu’ils en sont les bénéficiaires. Des milliers de fonctionnaires, de syndicalistes, de petits gestionnaires de commissions scolaires et de professeurs incompétents ont des emplois protégés dans ce système. Mais envoient-ils leurs enfants dans ces écoles publiques? Wô! Tout de même, ce qui est bon pour le peuple n’est pas nécessairement bon pour l’élite! Il serait intéressant d’avoir des statistiques là-dessus. Mais on sait qu’une forte proportion de ces personnages envoient plutôt leur progéniture à l’école privée qui, même si elle est loin d’être libérée tout à fait de l’emprise des bureaucrates, n’en réussit pas moins à offrir des services infiniment supérieurs grâce à l’autonomie partielle dont elle jouit. Même l’actuel ministre de l’Éducation préfère envoyer ses enfants au privé. Cette clique de parasites, dont les salaires sont directement volés dans les poches des individus productifs de notre société, a évidemment les moyens de payer les frais de quelques milliers de dollars par année que cela implique.  
  
     « D'une réforme majeure à l'autre, les secteurs de la santé et l'éducation sont presque constamment en crise. Que font nos apparatchiks? Ils se protègent en ayant recours à des services parallèles qui sont à l'abri des catastrophes de la planification socialiste. »
  
          La même chose se produit pour les services de santé. Inutile de décrire l’état du réseau étatisé de santé, dont les déboires font les manchettes pratiquement toutes les semaines depuis des années (voir par exemple LA SANTÉ DANS TOUS SES ÉTATS, le QL, no 16 et LE CHAOS PLANIFIÉ DANS LES URGENCES, le QL, no 54). Nos apparatchiks ont bien sûr des options alternatives pour éviter de poireauter des heures dans une salle d’urgence, ou d’attendre des mois pour une chirurgie importante.  
  
          Il y a quelques années, le premier ministre Robert Bourassa avait fait traiter son cancer dans une clinique américaine, ce que font de nombreux Québécois et Canadiens qui en ont les moyens. Mais il existe aussi au Québec une zone grise où l’on retrouve des cliniques privées qui offrent des services rapides, efficaces et utilisant les dernières technologies. On a ainsi appris la semaine dernière que le chef du PSDLQ (Parti soi-disant libéral du Québec), Jean Charest, avait payé 900 $ par année jusqu’à récemment pour s’inscrire à une telle clinique offrant des examens et diagnostics rapides. Le même apparatchik dénonçait sur toutes les tribunes, il y a à peine quelques mois, la proposition de l’Action démocratique de faire plus de place au secteur privé en santé en affirmant de façon démagogique que l’ADQ voulait remplacer notre carte d’assurance-maladie par une carte de crédit.  
  
Le gun du vieux Péladeau 
  
          Un autre petit fait intéressant sur la vie dangereuse de nos apparatchiks était dévoilé il y a quelques jours dans Le Devoir (28 janvier), qui rapportait certaines révélations contenues dans une nouvelle biographie de l’homme d’affaires richissime Pierre Péladeau, décédé il y a cinq ans. Écrite par Bernard Bujold, un ancien adjoint du fondateur de Quebecor, le livre sort cette semaine en librairie.  
  
          On y apprend que M. Péladeau gardait toujours une arme à feu (une arme chargée prête à être utilisée, présume-t-on) près de lui dans sa chambre à coucher. Et que cette arme avait été achetée sur les conseils de son bon ami, Jacques Duchesneau, chef à l'époque du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, histoire de se protéger d'une société changeante où « les criminels étaient de plus en plus audacieux et voraces », écrit l’auteur. L’arme ayant été volée en 1996, M. Péladeau s’est très vite équipé d'un Backup DA de calibre 380, « assez petit pour tenir dans la poche d'un veston » avec l'aide de l'armurier de la police. Avec en prime le privilège de pouvoir l'essayer en compagnie du numéro un de la police montréalaise au centre de tir de la police.  
  
          Rappelons que contrairement à ce qui se passe dans plusieurs États américains, la loi canadienne proscrit le port d’armes de poing. Aucune arme ne peut même être gardée dans la maison sans être vidée et entreposée dans un endroit difficile d’accès. Il est interdit d’avoir une arme chargée à la portée de la main dans sa chambre à coucher. Une femme ne peut même pas garder sur elle une petite bonbonne de poivre de Cayenne pour faire fuir un agresseur (voir POIVRE: PAS SEULEMENT DANS MON ASSIETTE, le QL, no 22). Ici, les individus n’ont pas le droit de se défendre. Si vous êtes victime d’une agression, d’un vol ou d’un viol, les autorités suggèrent de ne pas provoquer inutilement le bandit et de faire ce qu’il demande. Ensuite, lorsqu’il est parti, et si vous êtes toujours vivant, appelez 9-1-1 et attendez que la police arrive.  
  
          Les apparatchiks sont évidemment des personnages trop importants pour l’avenir de notre société pour qu’on leur fasse courir de tels risques. Eux bénéficient de services de sécurité avec des gardiens armés, ou encore d’exemptions à la loi leur permettant de porter des armes de poing. Comme le rapporte le quotidien montréalais, être riche et influent a ses privilèges. Et Pierre Péladeau, même s’il a déjà été un véritable entrepreneur au début de sa carrière, est vite devenu un membre en règle de « Québec Inc. », c’est-à-dire de ce vaste réseau de copinage entre l’État et les grandes entreprises subventionnées et protégées qui sont les « fleurons » de notre économie. C’est par exemple grâce aux fonds publics engloutis par la Caisse de dépôt et placement dans l’aventure (qui a depuis mal tourné) que Quebecor a pu, il y a quelques années, se porter acquérir du cablôdistributeur Vidéotron, question d’éviter que la compagnie ne tombe dans les mains d’un acheteur ontarien.  
  
          Que doit-on penser de ce type d’arrangement? « C'est tout à fait normal, commente M. Bujold. Quebecor était une compagnie importante. Duchesneau se devait donc de rencontrer son président afin de le conseiller sur sa sécurité personnelle. Tout ça a été fait dans la plus grande légalité. Beaucoup de personnalités publiques ont pu jouir de ce privilège », ajoute-t-il. 
  
          Eh oui, c’est tout à fait normal que les apparatchiks veuillent se protéger contre les effets pervers de leurs politiques étatistes. Qu’ils jouissent de privilèges dont est exclus le commun des mortels. Qu’ils aient accès à des services de première classe fournis par le secteur privé, pendant que la masse doit se contenter de services délabrés dans le secteur public. C’est dans la nature des choses, dans une société en voie de soviétisation. 
  
 
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