Montréal, 16 août 2003  /  No 127  
 
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Pascal Salin est professeur d'économie à l'université de Paris Dauphine. Il est l'auteur de Libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2000).
 
OPINION
 
LES CONTRADICTIONS
DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE *
 
par Pascal Salin
  
 
          Le débat actuel sur la politique budgétaire et le pacte de stabilité et de croissance européen est rempli de contradictions. La raison profonde en est probablement la confusion qui règne dans les esprits au niveau théorique. On rencontre en effet dans ce débat des bribes d'approches diverses où se combinent de manière incohérente la tentation du recours aux recettes d'inspiration keynésienne et l'orthodoxie budgétaire. Il en résulte des contradictions à deux niveaux:
 
  • Au niveau européen, on essaie de mettre au point un plan de relance consistant à pratiquer une politique de grands travaux, mais on ne sait pas comment le rendre compatible avec le pacte de stabilité et de croissance d'après lequel les déficits budgétaires ne doivent pas dépasser 3% du PIB. Les autorités françaises ne semblent pas s'opposer à cette conception de la relance. Il y aurait pourtant toutes les raisons de le faire si on avait enfin compris les erreurs fondamentales d'une approche keynésienne consistant non pas à utiliser les ressources au mieux, mais à les dépenser, quelle que soit la véritable utilité de ces dépenses. Ainsi, contrairement à ce que l'on répète indéfiniment, la politique de grands travaux menée aux États-Unis pendant les années trente n'a eu pour résultat que de prolonger la récession en conduisant à un vaste gaspillage de ressources.  

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  • Au niveau français, tout en acceptant implicitement ces conceptions européennes, on ne se réclame pas officiellement d'une approche de type keynésien. Dans sa conférence de presse du 14 juillet, le président de la République a heureusement rappelé son souhait de voir se poursuivre la baisse des impôts et des charges dans le but de stimuler la croissance. Il serait certainement opportun de s'interroger plus précisément sur les baisses qui seraient les plus souhaitables de ce point de vue. Pour nous il est clair que la priorité revient à une baisse forte et rapide de la progressivité de l'impôt sur le revenu (en particulier pour les taux les plus élevés) et à la diminution de la charge qui pèse sur l'épargne et le capital, par exemple en commençant par supprimer l'impôt sur la fortune et les droits de succession. Telle ne semble pas être la priorité retenue par le gouvernement, qui préfère une baisse lente de tous les taux de l'impôt sur le revenu et la diminution des charges censées peser sur les bas salaires.
          Mais ne boudons pas notre plaisir: pour répondre aux critiques européens de la politique budgétaire française qui lui reprochent d'avoir dépassé la fameuse limite des 3%, on pourrait céder à la vieille tentation d'augmenter les impôts. Le gouvernement français s'y refuse, mais il refuse aussi de chercher à baisser les dépenses publiques, ce qui constituerait évidemment une manière éminemment souhaitable de diminuer le déficit budgétaire. 
  
          Malheureusement, l'affirmation selon laquelle il convient de poursuivre la baisse des impôts et des charges semble être en contradiction avec une autre affirmation constante du gouvernement français, selon laquelle cette baisse ne pourra être poursuivie de manière significative que si la croissance est importante. Ainsi, on reconnaît que la décrue fiscale peut permettre la relance économique, mais on prétend en même temps qu'elle n'est possible que si la relance économique a eu lieu! Il est évident que la politique budgétaire française manque singulièrement de lisibilité: elle prétend respecter les critères du pacte de stabilité et de croissance européen, tout en en demandant l'assouplissement; elle semble refuser une approche purement keynésienne, tout en ignorant superbement les enseignements de l'économie de l'offre! 
  
     « Comment peut-on défendre l'idée que le déficit budgétaire ne doit pas être supérieur à 3% si l'on n'a pas d'abord précisé le rôle joué par ce déficit et les raisons pour lesquelles il pourrait être souhaitable de le limiter? »
 
          Le débat sur le déficit budgétaire et le pacte de stabilité et de croissance permet d'illustrer une caractéristique constante des politiques économiques, à savoir que leurs objectifs sont le plus souvent déterminés de manière arbitraire. Comment peut-on défendre l'idée que le déficit budgétaire ne doit pas être supérieur à 3% si l'on n'a pas d'abord précisé le rôle joué par ce déficit et les raisons pour lesquelles il pourrait être souhaitable de le limiter? 
 
Un pacte dénué de sens 
  
          Ainsi, ceux qui sont opposés aux déficits budgétaires invoquent souvent le fait que celui-ci provoquerait une augmentation du taux d'intérêt. Mais cet argument n'est pas recevable. Tout d'abord, le marché de l'épargne prêtable est un marché mondial et le fait que le déficit budgétaire français puisse passer, par exemple, de 3 à 4% est sans importance de ce point de vue. Au demeurant il est injustifié de faire de la valeur du taux d'intérêt un objectif de politique économique. En effet, supposons qu'un très grand nombre de grandes entreprises désirent financer des projets d'investissement très rentables par l'emprunt. Cette augmentation de la demande privée de fonds prêtables fait augmenter le taux d'intérêt. Mais cette augmentation n'est qu'une conséquence de la poursuite d'objectifs légitimes et désirés. La variation du taux d'intérêt ne peut, par elle-même, être considérée comme un objectif collectif.  
  
          De la même manière, si un déficit public permettait de financer un projet public à très fort rendement, la hausse de taux d'intérêt qui en résulterait éventuellement serait désirable, dans la mesure où l'objectif poursuivi serait désirable. Si, par contre, ce déficit devait servir à financer des dépenses publiques à faible rendement, il ne serait pas désirable. Or, comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner (voir FAUT-IL OUBLIER LE PACTE DE STABILITÉ?, le QL, no 114), la baisse des taux d'impôts les plus désincitatifs constitue probablement le meilleur des investissements publics dans la France d'aujourd'hui. 
  
          En réalité, l'erreur généralement commise dans les raisonnements concernant la politique économique consiste à adopter une approche différente de celle qui est adoptée spontanément dans leurs décisions par les individus. Ainsi, un entrepreneur estimera justifié d'emprunter (c'est-à-dire d'avoir un « déficit », ses recettes à court terme étant plus faibles que ses dépenses), si la rentabilité espérée des projets qu'il finance par l'emprunt est plus élevée que le taux d'intérêt. De la même manière, ce qui importe n'est pas le montant d'un déficit public, mais le taux d'intérêt payé par l'État par rapport au taux de croissance de ses recettes fiscales: il est plus facile de rembourser les emprunts réalisés pour financer un déficit important si le taux de croissance est élevé que de rembourser un faible déficit avec un taux de croissance nul. 
  
          Ainsi le pacte de stabilité et de croissance est dénué de sens, d'une part parce qu'il fixe des objectifs de déficit budgétaire arbitraires, sans aucune justification théorique, d'autre part parce qu'il impose cette même règle arbitraire à tous les pays, alors qu'il n'existe aucune raison de « coordonner » les différentes politiques budgétaires.  
  
          Il n'y a en effet aucun lien logique entre le fait d'utiliser la même monnaie – l'euro – et le fait d'avoir le même pourcentage de déficit budgétaire. N'assurant ni la stabilité ni la croissance, le pacte de stabilité et de croissance devrait donc disparaître. Cependant, une telle disparition ne devrait certes pas être interprétée comme un appel à pratiquer des déficits démesurés, mais plutôt comme un appel à la recherche d'une meilleure évaluation des politiques publiques. 
  
  
* Cet article a d'abord été publié dans Le Figaro, le 21 juillet 2003.
 
 
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