Montréal, 16 août 2003  /  No 127  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
CROÛTES, PORNO ET MONOCHROMES:
AH! L'ART CONTEMPORAIN...
 
par Gilles Guénette
 
   « Until the public for art reclaims its right to applaud and condemn, the art of our age will remain in the dark, the self-indulgent plaything of a few. »
 
–Julian Spalding, The Eclipse of Art: Tackling the Crisis in Art Today
  
          Je suis entré au Musée d'art contemporain de Montréal (MAC) au début du mois. C'est l'immense affiche sur le devant de l'édifice qui m'a convaincu. Un homme vêtu d'un long manteau sombre s'y tient debout dans un paysage brumeux. C'est très beau. C'est de Nan Goldin. Malheureusement, ça n'a rien à voir avec le reste de l'exposition en question. 
 
Chic Porno 
  
          Goldin est considérée comme « l'une des plus influentes photographes de la scène artistique actuelle », peut-on lire sur le site du MAC. L'exposition réunit de ses photographies réalisées entre 1972 et aujourd'hui et deux installations slides shows ») composées de diapositives et de bandes sonores. 
  
          « Nan Goldin capte de manière spontanée et intuitive la subtilité et l'intensité de l'expression humaine à travers le monde de la drogue, de la prostitution, du sida, etc. » Hmm... la norme dans le milieu artistique, quoi! « Malgré des images dures et extrêmes, sa préoccupation demeure toujours la beauté, le désir, l'amour et une recherche inlassable sur l'inévitable passage du temps. » Très poétique, mais aussi très vague. 
  
          Bon, j'entre dans la salle. Sur les murs sont accrochées des dizaines de photographies. Des photographies que j'aurais pu prendre moi-même, avoir eu le temps de fréquenter les boîtes de nuit douteuses, les appartements miteux, les chambres d'hôtel bas de gamme, mais bon... Je fais le tour regardant d'un air distrait les « oeuvres ». Les plus belles, à part Guido on the dock, sont souvent celles sur lesquelles il n'y a personne.
Nan Goldin / Guido on the dock, Venice, Italy, 1998 (détail)
 
          C'est très « réalité » comme approche. Ça frise le documentaire. Des photos de femmes et d'hommes, gais ou hétérosexuels, travelos et/ou transsexuels, paumés, junkies, alcooliques, dans leur habitat naturel – si le bus, le lit ou la boîte de nuit peuvent être considérés comme des habitats naturels. Des photographies couleurs (souvent hors-focus) prises sur le vif pour la plupart. On est loin de la composition picturale soignée.  
  
          Une salle est réservée à Heartbeat, l'un des slides shows de l'expo. Une musique planante emplie la sombre pièce. Good Lord! C'est de la porno! En tout cas, ça n'a rien à voir avec la promo de l'entrée. Sur une sorte d'incantation pseudo-religieuse chantée par l'Islandaise à la voix très distincte Björk, Goldin nous montre des couples, dont un gai, dans leur intimité la plus intime. Improvisation sur thème « anything goes ». 
  
          Rien n'est laissé à l'imagination. Par en avant, par en arrière, sur le côté... Mais qu'est-ce que les enfants des sujets viennent faire nus dans les portraits? (une petite affiche à l'entrée met d'ailleurs en garde les enfants que certaines images pourraient heurter leur sensibilité...) Une question se pose: mais est-ce vraiment de l'art? Si vous vous installez devant votre ordinateur et que vous surfez des sites du genre Hot Pussy Does It All ou Hot Hunks On All 4 en écoutant du Björk, est-ce que vous êtes en présence d'oeuvres d'art? Hmm... 
  
     « Si vous vous installez devant votre ordinateur et que vous surfez des sites du genre Hot Pussy Does It All ou Hot Hunks On All 4 en écoutant du Björk, est-ce que vous êtes en présence d'oeuvres d'art? Hmm... »
   
          Les purs et durs de l'art contemporain vous diront Que Non! Cela ne fait de vous qu'un simple « consommateur de porno ». C'est de l'art tant et aussi longtemps que les pros de l'art décrètent que c'est de l'art. Un urinoir au musée, c'est de l'art. Partout ailleurs, c'est un dispositif dans lequel les hommes – et maintenant les femmes dans certains bars branchés... – pissent. Je n'ai rien contre la porno, sauf quand on tente de m'en faire passer pour de l'art. Des photos de couples baisant à fond la caisse sur une musique religieuse, ça n'est pas mon idée d'objets d'art. 
  
De tôle et de monochrome 
  
          Outre l'expo consacrée à Goldin, le MAC en présente trois autres pour le même prix: « David Rabinowitch », « Place à la magie! » et « Peinture en liberté: Perspective sur les années 1990 » 
  
          La première consiste en une série de plaques de métal trouées ou pliées de différentes formes flanquées ici et là sur le sol accompagnées des plans et esquisses ayant mené à leur réalisation. Sur le site du MAC on peut lire que l'exposition du sculpteur canadien met en lumière « les développements cycliques d'une pratique sculpturale et graphique rigoureuse et concise, tout entière nourrie des confluences de la science, de la littérature et de la philosophie. » Oui c'est ce que je disais: des plaques de métal trouées ou pliées...
David Rabinowitch / Conical Plane of Four Masses Round, 1971
 
          La seconde, dont le titre est emprunté au manifeste Refus Global, regroupe des oeuvres de la Collection Borduas et du Fonds Paul-Émile Borduas. Certaines valent le coups d'oeil (Landing de Riopelle, Sans titre de Jauran), d'autres nous montrent avec brio la fraude qu'est l'art contemporain (Boîte no 4 de Charles Gagnon – une boîte de bois dans laquelle sont collés deux vieilles assiettes, des bouts de meuble, un bout de tapisserie, une photo déchirée... le tout, peint tout croche –, Fanette de Jacques Hurtubise – une immense toile rouge vif avec un gros spot vert lime dans le milieu). 
  
          La troisième regroupe une sélection d'oeuvres de la Collection du MAC et propose un regard sur la peinture des années 1990 au Québec. On y retrouve « des proposition picturales qui peuvent se rattacher aussi bien à des pratiques figuratives qu'à des pratiques abstraites ou minimalistes. » Une toile vaut le détour, Pantin de Pierre Dorion. Le reste, bof. Par exemple, l'« oeuvre » triptyque 2:39, 32:55, 11:18 de Stéphane La Rue. Regardez votre plafond et économisez six dollars! Il s'agit de trois toiles blanches carrées alignées les unes contre les autres sur un mur blanc. Si, si. Blanc sur blanc. 
  
Stéphane La Rue / D'après nature 3, 2000           J'avais été voir l'exposition Panoramas et autres vertiges consacrée à La Rue l'an dernier au même MAC. La première chose qu'on remarquait en entrant dans la salle, c'était... le gardien. Seule tache de couleur, il longeait les murs comme terrassé par le poids du vide – on se demandait d'ailleurs pourquoi le MAC ne l'avait pas affublé d'un uniforme plus clair pour l'occasion. On le sentait mal à l'aise, tentant en vain de se fondre dans le non-décor, question de ne pas trop gâcher l'« expérience visuelle » des rares visiteurs. 
  
          On remarquait ensuite les toiles – après tout, on était là pour ça. De grandes surfaces blanches installées sur de grands murs blancs et dont seuls les contours ressortissaient – la peinture blanche ne couvrant pas entièrement la surface blanche des toiles. « Après avoir privilégié le format carré [sans doute ce qui est présentement exposé au MAC], La Rue s'attaque au format rectangulaire et l'usage de l'horizontalité n'est pas sans rappeler les panoramas de la tradition paysagiste », pouvait-on lire dans le communiqué du musée. Du carré au rectangle, quelle évolution!
 
          Une fois le choc visuel passé (!), le réflexe du visiteur était de s'approcher des objets – on va toujours bien tenter de voir pourquoi ça se retrouve ici. La proximité révélait alors les techniques employées par le peintre. On sentait le coup de pinceau ici, on le voyait là (j'aurais fais mieux avec un rouleau, mais bon...) On voyait les couches de peinture blanche qui se superposaient les unes sur les autres. On sentait leur épaisseur. On sentait presque la peinture... Puis, on se demandait: « Mais qu'est-ce que ça veut bien dire? » Un White Out en Alaska? Le néant grossit mille fois? 
  
          « Stéphane La Rue fait partie d'une nouvelle génération de peintres qui a l'audace et la détermination de faire une relecture de la peinture formaliste, renouvelant le langage pictural », nous disait-on dans le catalogue de l'exposition. « Entre leur horizontalité et leur verticalité excessives, selon le cas, les tableaux [de La Rue] refusent de se livrer entièrement dans un seul regard », de rajouter Réal Lussier, le conservateur de l'expo. 
  
          Quelle audace?! « Horizontalité et verticalité excessives »? Pour qui nous prend-on? Des horizontalités et des verticalités peuvent-elles être excessives? À l'opposé, peuvent-elles être modérées? Ou faire preuve de retenue? Et des tableaux qui « refusent de se livrer entièrement dans un seul regard ». Ont-il seulement le choix? Ils sont là, accrochés aux murs! À défaut d'avoir des oeuvres fortes qui parlent d'elles-mêmes, on utilise des formules fortes pour les décrire. Classique. 
  
          Selon Jérôme Delgado, journaliste spécialisé en art de La Presse: « les titres des neuf oeuvres de Stéphane La Rue ne laissent aucune équivoque: c'est de la peinture de paysage dont il s'agit. » (12 mai 2001) Il poursuit en écrivant que « le visiteur inconscient, expéditif, ne verra que du feu. Du feu blanc, faut-il préciser... » (non, je n'ai vu que du blanc). Pour le journaliste, il s'agit d'une peinture de paysages, d'« où le sujet n'est pas explicite [...] de l'art abstrait dans toute sa splendeur. » N'importe quoi.  
  
          Il faudra que quelqu'un m'explique un jour l'idée derrière le monochrome. Je ne la saisis tout simplement pas. De un, ça fait des années que ça se fait – passez à autre chose, s'il vous plaît! –, de deux, n'importe quel singe peut faire ça. Et ça ne ferait pas de lui un artiste. Du moins... Donnez-moi un rouleau et une panne de peinture et je vous en ferai tant que vous en voulez – tout en me sécurisant une retraite dorée. On se demande ensuite pourquoi les gens ne fréquentent plus les musées! 
  
L'art de faire n'importe quoi 
 
          Ma visite au MAC m'aura tout de même permis de faire quelques observations – sans doute pas du genre que les artistes exposés auraient voulu, mais bon... Ma première, dans le cas de l'expo Goldin: l'« exclusion » (mot à la mode pour désigner les pauvres et les marginaux) et le sida auront permis à plein d'« artistes » de se faire un nom facilement. N'eût été de la popularité de ces deux éléments (et de leurs victimes) dans les milieux branchés, le MAC n'aurait pas consacré une exposition à Nan Goldin, par exemple, et plusieurs artistes reconnus mondialement aujourd'hui auraient connu des carrières mineures. Souvenez-vous de Felix Gonzalez-Torres et de son « 175 pounds of Chicago-made Peerless white mint candies », un tas de bonbons représentant le poids du père de l'artiste avant qu'il meurt du sida (voir HITCHCOCK AU MBA OU L'ART D'EXPOSER N'IMPORTE QUOI, le QL, no 75). 
  
          La seconde: l'art contemporain me laisse généralement indifférent – c'est presque toujours le cas avec les expositions au MAC. Insensible à tous les corps modifiés, intoxiqués, passés out de Goldin et à tous les monochromes, gribouillages et curiosités des autres. On peut très bien demeurer de glace devant une toile de Edward Hopper ou d'Adrien Hébert par exemple, sauf que ces artistes ont le mérite d'avoir créé des oeuvres achevées qui demandaient a priori un certain talent et un degré de maîtrise – deux éléments dont on ne peut faire abstraction lorsqu'on regarde leurs oeuvres. Trop d'artistes contemporains donnent l'impression de n'avoir ni talents particuliers, ni technique et de ne posséder en fait qu'un bon réseau de contacts. N'importe qui pourrait faire ce qu'ils font. 
  
          La dernière: beaucoup d'artistes contemporains n'auraient sans doute pas connu la notoriété n'eût été des subsides gouvernementaux. Le fait que ce soit des fonctionnaires qui remettent les bourses ou qui passent les commandes avec l'argent des autres – le nôtre – fait en sorte qu'une panoplie de pseudo-artistes se retrouvent à exposer leurs croûtes, « sculptures » et vieux draps sales dans des endroits dits prestigieux. Sans subsides, plusieurs d'entre eux se retrouveraient dans les circuits de galeries obscures ou plus alternatifs. Et nous aurions peut-être moins de monochromes, d'installations bidon et de toiles splashées dans nos musées. Le présent système de subsides est bon pour les artistes mineurs, il ne l'est pas pour le consommateur. Offrez-vous une visite au MAC, vous verrez. 
 
          Comme le remarque Julian Spalding dans The Eclipse of Art: Tackling the Crisis in Art Today, « Looking at a great work of art makes one feel more fully aware of one's thoughts, more exposed to one's emotions, more integrated, more composed – more, in a word, conscious. » La majorité des « oeuvres » d'art contemporain ne font rien de la sorte. Elles provoquent quelques fois des sourires, la plupart du temps des haussements de sourcils. Rien de plus. 
 
 
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