Montréal, 6 mars 2004  /  No 139  
 
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Christian Lequesne habite Sarthe en France.
 
 
LETTRE
 
LE QL, POIL À GRATTER POLITIQUE
 
par Christian Lequesne
  
  
          Je suis français, parasite-fonctionnaire (professeur de mathématiques), vieux (57 ans), mais pas encore cacochyme. Je soigne mon inculture économique en dévorant les QL. Je profite d'un arrêt de mes quintes de toux pour vous écrire.  
  
          J'ai découvert Bastiat (et von Mises, etc.) puis votre site par un site libertarien américain et par hasard. Aucune de mes connaissances ne connaît Bastiat! Comme le disent certains de vos rédacteurs français, l'ignorance économique des Français est insondable. 
 
          La «Kulture» française se limite aux belles-lettres et aux beaux-arts. Je n'ai pas de chance, je m'intéresse aussi aux moches-techniques, aux moches-sciences et aux moches-industries. Si vous saviez le nombre de gens intelligents (non diplômés) que j'ai rencontrés en visitant des entreprises fabriquant des choses aussi «négligeables» que des interrupteurs, du papier, des prototypes de carrosseries, des emballages.  
   
          J'en ai marre d'entendre les mêmes sornettes depuis 1968 venant de gens qu'on s'applique à croire intelligents parce que le terme «intellectuels» a la même étymologie et surtout parce que ces gens parlent très fort et avec assurance. Lorsque j'ai vu des manifestations (années 70) contre l'ouverture du premier IUT (Institut Universitaire de Technologie) à Compiègne, j'ai commencé à ouvrir des yeux étonnés sur le monde revendicatif: comment pouvait-on être contre quelque chose qui essayait d'adapter l'Université à la vie économique et non l'inverse?  
   
          Lorsque le chômage a commencé à être remarquable en France, ma femme et moi-même avons écarquillés les yeux d'admiration: Nous n'aurions jamais imaginé seuls une solution aussi simple que l'ANPE. (Agence Nationale Pour l'Emploi): des milliers de chômeurs en moins. Du grand art!  
   
          Il y eut aussi le manque de professeurs de physique en collège, il y a 10 ans – candidats rares et de niveau médiocre – avec la solution étatique: on supprima la physique en classe de 6e! Chapeau bas. Voilà de vraies économies (et pas d'école du tout, ça serait-y pas intéressant?). Seuls des gens supérieurement dotés peuvent inventer des solutions aussi lumineuses.  
   
Du mal à suivre 
 
          Bref, avec mon esprit de plouc, j'avais déjà un peu de mal à suivre. Là où j'ai commencé à m'inquiéter pour ma santé mentale, c'est quand des collègues (professeurs jeunes et vieux) se sont mis en tête de manifester contre la réforme des retraites (par «répartition») et la régionalisation.  
   
          Moi, le pépé, j'ai essayé de leur faire comprendre qu'ils n'accepteraient pas, seulement à 2 ou 3, de me payer toute ma retraite dans peu de temps, que le système par répartition était une escroquerie de gôche qui allait s'écrouler d'elle-même (je n'ai pas employé ces termes pour ne pas les heurter). Peine perdue: grèves et regrèves. Un petit espoir, néanmoins, les grévistes n'étaient pas partout majoritaires.  
   
          Bref, je me sentais de plus en plus mal à l'aise dans un monde où tout le monde est de gôche avec les sous des autres et de droite avec les siens propres… Et puis, j'ai lu Bastiat et ses copains autrichiens. OUaOUH ! J'ai pratiquement tout compris! Si, si, le premier qui rigole je lui fait conjuguer le verbe «gésir» à tous les temps du subjonctif.  
  
          Ceci dit, la France est un pays centralisateur depuis environ trois siècles (avec quelques accalmies). Je ne vois pas comment les Français pourraient comprendre que l'État n'est pas indispensable puisqu'ils l'ont déifié et sont tombés dedans tout petits.  
  
          En France, les politiciens sont «tous pourris» mais tout le monde se tourne vers eux après une inondation, une grêle, un pet de travers. Peu de Français imaginent désormais qu'on puisse être responsable de sa vie. «L'esclave aime ses chaînes» comme disait Trukistos, le philosophe grec que tout le monde a reconnu. L'assistanat fait rage dans notre monde moderne français.  
   
          Bon, tout ceci pour dire que je jubile à la lecture de vos articles, j'éclate parfois de rire car vous n'y allez pas toujours avec le dos de la cuillère! (j'ai appris que j'étais un parasite économique mais je ne sais plus si c'était dans le QL ou ailleurs.) Les libertariens sont faciles à cacher: personne ne les connaît. Les médias ne connaissent même pas le mot! – comme moi-même, il y a un mois.  
   
     «En France, les politiciens sont "tous pourris" mais tout le monde se tourne vers eux après une inondation, une grêle, un pet de travers. Peu de Français imaginent désormais qu'on puisse être responsable de sa vie. »
   
          J'ai trouvé la parfaite devise libertarienne: «Aide-toi, le Ciel t'aidera». Je ne pense pas être libertarien parce que la plupart des rédacteurs du QL semblent avoir une foi de charbonnier envers l'individualisme et le marché, théorie d'autant plus brillante qu'il n'y a pas d'exemples flagrants, donc rien sur les inconvénients. Or, par expérience, je sais que la réalité est souvent plus fine que nous-ôtr' et prend bien des détours que nul cerveau ne peut prédire (postdire, si!). 
   
          Par contre, je trouve le QL très utile comme poil à gratter politique: les vues y sont toujours très originales, documentées – sur les armes, les pauvres, l'Afrique par exemple – et cette férocité iconoclaste s'est perdue en France: tout le monde respecte tout le monde, mais tous les coups se font en douce avec le sourire. J'apprécie énormément l'antidote politique que vous instillez. De l'air frais, ça se respire à pleins poumons, surtout celui du Québec. (Pendant mes ouacances, j'ai lu un paquet des QL en archive – certains en diagonale bien sûr, parce qu'il y a de quoi lire pendant plusieurs mois.)  
   
La haine française de l'enrichissement 
  
          Voilà un extrait que j'ai trouvé dans un article du QL (FAUT-IL ÊTRE CONTRE LES INÉGALITÉS?, de Christophe Vincent, le QL, no 117)  
    «Si les socialistes veulent dénoncer la fortune mal acquise de riches parvenus vivant des subventions de l'État ou de la corruption, et mettre fin à leurs privilèges, à leurs magouilles, les libéraux seront de tout coeur avec eux.»  
       
    «Mais les autres riches, les riches honnêtes, on ne leur fera en revanche aucun mal. S’ils ont gagné honnêtement leur fortune par leur travail, pourquoi devrait-on leur en tenir rigueur et les en priver de tout ou partie? De quel droit? Par jalousie, par envie?»
          Christophe Vincent a mis le doigt sur le mal français: IL N'Y A PAS de riches honnêtes en France! Tout entrepreneur est un «pourri» ou un «exploiteur». Chacun sait cela. Bien sûr, sauf mon cousin qui est garagiste ou mon boulanger qui est très sympathique malgré sa Mercedes ou Jean-Pierre, agent immobilier, qui chante dans le même choeur que moi. On ne le dit plus aussi fort qu'après le Saint Soisson VIII (Saint 68) mais cela reste dans beaucoup de têtes. Nous restons dans la vase de Soisson.  
   
          Voici une anecdote qui date un peu (années 75-80). Au cours d'un repas à la cantine d'un collège, un jeune professeur ayant parlé des patrons «exploiteurs», une collègue, âgée (50 ans), était sortie subitement de la cantine écoeurée. Je l'avais interrogée peu après. Le mari de cette collègue était artisan menuisier-exploiteur, et, elle, était entrée dans l'éducation nationale pour avoir un revenu fixe en fin de mois, car les clients-exploités du menuisier-exploiteur ne payaient pas toujours rubis sur l'ongle et que même les exploiteurs ont besoin de manger.  
   
          Cette haine de l'enrichissement nous (les Français) vient probablement du Catholicisme. Ainsi que le misérabilisme d'ailleurs: les Téléthons et Restaus du cœur sont les arrières petits enfants des dames patronesses du XIXe siècle. Au Moyen-Âge, seuls les juifs avaient été acculés à s'occuper de l'argent-caca-boudin (le prêt à intérêt était une invention du Diable). La plupart des autres professions leur ayant été interdites par l'Église catholique. V'là-t-y pas que ceux-ci (les juifs) ont réussi dans la finance, entre autres.   
   
          Et quand quelqu'un réussit mieux qu'eux, que font les médiocres? Il le HAÏSSENT quand ils sont impuissants ou le MÉPRISENT quand ils se sentent en force (j'en ai l'exemple tous les jours dans mes classes de mathématique, étant professeur-fonctionnaire-parasite). C'est quand même plus confortable que de se remuer le c... (cerveau?) soi-même. Avouons-le!  
   
C'est donc avec jubilation, malsaine, je l'avoue, que je vois l'extrême gôche défendre les valeurs de l'Église catholique tout en méprisant celle-ci, parce qu'elle ne leur fait plus peur. Le courage des criailleux est inversement proportionnel au degré de nuisance de l'adversaire, ou c = 1/d (théorême Lequesne).  
   
          Les mentalités heureusement changent doucettement grâce à de petits détails comme l'ex-excellente émission Capital de M. Chain sur M6 (6e chaîne de télé en France). J'ai même vu dans le poste ce M. Chain confronté à Mme Machine Lesuccèsquonsait (qui a commis L'horreur économique, je n'ai pas la mémoire des noms, et c'est tant mieux). M. Chain avait l'air ébahi qu'on pût penser encore comme Mme Machine Lesuccèsquonsait. Il y a 20 ans, personne n'aurait même pensé à intituler une émission Capital. Imaginez Radio-Vatican intitulant une émission Lénine(1) et vous comprendrez mieux.  
   
          Il ne faut pas désespérer des Français non plus, car même un gouvernement de gôche édicte des lois «capitalistes»: faire passer la TVA sur l'artisanat de 19,6% à 5,5%, c'est-y pas intelligent? Même Monsieur not' Président à nous a compris que «trop d'impôt tue l'impôt». Ce qui va faire une contine pour mes petits-enfants: trodimpo tulimpo-trodimpo tulimpo-trodimpo tulimpo-trodimpo tulimpo-rythme valse double: 1 2 3-1 2 3  
   
          Nous restons à une distance honnête de Bastiat, mais il y a parfois un zéphir de libéralisme, qui me tourne la tête. Pops! Ouvrons une tite bière pour recouvrer nos esprits!  
   
   
1. Pour le petit libertarien ignorant qui risque de me lire, «Lénine» n'est pas issu de «lénifiant» qui, je le concède, fait penser à Radio-Vatican. Lénine était un auteur de BD (Bande de Délinquants) qui a été traduit en de nombreuses langues: russe, chinois, roumain, albanais, nord-coréen, cambodgien. Il garde encore ses clubs de fans en France. On peut les trouver à http://oueu.oueu.oueu.jveuxriensavoir.com (.com=.communisme) ou http://oueu.oueu.oueu.last.com (LAST=Léninistes, Anti-Staliniens, Trotskistes). Quant à moi, je refuse d'ach'ter tes pets (http), barbare (//) Lénine!  
 
 
 
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