Montréal, 15 mai 2004  /  No 142  
 
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Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser et auteur de Le monopole de la santé au banc des accusés, Montréal, Éditions Varia, 2001.
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
  
LES SUBVENTIONS AUX ÉTUDIANTS UNIVERSITAIRES
 
par Jean-Luc Migué
 
 
          Dans sa version originale, le régime fédéral d’épargne universitaire permettait à quiconque d’accumuler jusqu’à 4 000$ par année (maximum 42 000$) dans un fonds d’épargne destiné à un jeune de 17 ans ou moins.  Contrairement aux RÉER, les contributions de l’investisseur au régime d’épargne universitaire ne sont pas déductibles du revenu, mais en contrepartie, si l’enfant ne s’engage jamais dans un programme universitaire après l’âge de 25 ans, le revenu est imputé à l’étudiant et donc à des taux d’imposition plus qu’avantageux. En 1998, le gouvernement ajoutait une subvention égale à 20% de la contribution de l’investisseur. Si l’enfant bénéficiaire ne fréquentait pas l’université ultérieurement, l’allocation gratuite publique était tout simplement remboursée au trésor public.
 
Transferts en faveur des riches 
 
          La réalité est que l’initiative a introduit toutes sortes de distorsions et a surtout profité aux riches. On le comprend, les gens en moyens n’ont pas tardé à découvrir que l’investissement le plus rentable n’était pas les obligations d’entreprises ni même le marché boursier, mais bien le régime d’épargne universitaire subventionnée. Comme le confirment les travaux du C.D. Howe Institute et de Statistique Canada, la subvention (de 20%) est allée pour 30% aux familles qui gagnent plus de 80 000$ par année, mais seulement pour 20% aux familles qui font moins de 50 000$ par année. Les familles à revenu moyen inférieur en sont sorties perdantes.  
 
          Comme le maintien de droits de scolarité ridiculement bas, les subventions à l’étudiant sont une forme de redistribution perverse, des moins aux plus favorisés. 
 
          Les droits de scolarité s'élèvent à 1 862$ au Québec, alors que la moyenne canadienne est de 4 025$, (4 923 en Ontario); ces droits constituent environ 9,2% du revenu des universités au Québec, contre 25,3% en Ontario. Ailleurs qu’au Québec, les droits de scolarité ont augmenté rapidement dans les années 90, de +137% en Ontario en 10 ans. Ils sont gelés au Québec depuis 1994. Le présent gouvernement s’est engagé à ne pas les dégeler de toute la durée de son premier mandat. Dans la plupart des provinces, les droits de scolarité ont monté pour représenter environ le tiers du coût de la formation universitaire. 
 
          Les étudiants inscrits aux universités canadiennes émanent surtout de la classe moyenne supérieure, puisque 68,4% d’entre eux ont des parents dotés de revenus supérieurs à la moyenne. Ils toucheront, au cours de  leur carrière, des revenus de loin supérieurs à ceux qui les subventionnent et qui ne fréquentent pas les collèges. Les diplômés universitaires reçoivent un taux de rendement annuel moyen de 12 à 16% par année sur leur investissement en formation universitaire. Les diplômés universitaires gagnent en moyenne des revenus de 60% supérieurs à ceux des non diplômés.  
 
     «Comme le maintien de droits de scolarité ridiculement bas, les subventions à l’étudiant sont une forme de redistribution perverse, des moins aux plus favorisés. »
 
          L’objectif déclaré du gel des droits de scolarité était de faciliter à la classe de gens à revenu faible et moyen l’accès à la formation universitaire. L’économiste Norma Kozhaya, de l’IEDM, a fait la preuve dans une étude récente qu’il n’y a pas de relation entre l’accessibilité et les droits de scolarité à travers les provinces canadiennes. Les étudiants de Nouvelle-Écosse paient des droits de 5 557$ par année et assument 26,2% des revenus totaux de l’université plutôt que de 10% au Québec, pour un taux de fréquentation de 33% des jeunes de 20 et 21 ans, contre de 20% au Québec. Sur environ 10 étudiants financièrement assistés, un seul n’aurait pas poursuivi d’études post-secondaires sans l’aide publique. La deuxième constante statistique est que le prêt étudiant exerce à peu près le même effet que la bourse sur la décision de poursuivre ou pas des études supérieures.  
 
Nouvelles subventions 
 
          C’est ainsi que le dernier budget fédéral introduit les obligations d’épargne universitaire (Canada Learning Bonds). Par cette mesure, la subvention de 20% est enrichie à 40% pour les familles faisant moins de 35 000$ et à 30% pour les familles faisant de 35 000 à 70 000$. La nouvelle règle prévoit aussi une allocation maximum de 500$ la première année, et de 100$ les années subséquentes (maximum total de 2 000$), mais uniquement pour les enfants appartenant aux familles admissibles aux suppléments de bénéfices pour enfants (National Child Benefit supplement).  
 
          On devine immédiatement qu’il s’agit là d’une façon indirecte et extrêmement inefficace de faciliter l’accès universitaire aux gens à faible revenu, relativement au simple octroi de bourses ou de prêts à ces mêmes gens. C’est enrichir le programme actuel au bénéfice des investisseurs les plus rusés qui s’en servent comme substitut aux placements dans le marché financier. En raison de la mobilité sociale réelle des gens et donc de la fluidité de la distribution des revenus, il arrivera qu’au moment où l’enfant entrera à l’université, un grand nombre de familles bénéficiaires recevront des allocations dont elles n’ont plus besoin en raison de l’amélioration de leurs conditions. Nombre de jeunes couples commencent à contribuer à l’épargne universitaire dès la naissance du premier enfant, au moment où leur revenu est minime. Lorsque viendra le temps de l’inscrire à l’université, ils appartiendront peut-être aux tranches de revenu supérieures. De plus, en liant l’allocation au supplément de bénéfice fiscal de l’enfant, la formule a pour effet d’alourdir encore davantage le taux marginal de taxation sur le revenu d’emploi des familles en question. Dès qu’une personne gagne suffisamment pour ne plus être admissible au supplément pour enfant, elle perdra automatiquement aussi la subvention à l’épargne universitaire.  
 
          Le principe de l’accumulation d’épargne en prévision d’investissements universitaires ultérieurs est sain. Le mieux à faire serait tout simplement d’abolir à la fois les subventions à l’épargne universitaire et les obligations d’épargne universitaire (Canada Learning Bonds), pour leur substituer un programme enrichi de prêts aux étudiants, surtout à ceux issus de familles moins à l’aise. L’aide alors ira directement à ceux qui en ont besoin et qui accèdent vraiment à l’université. 
 
          Le régime de prêts généralisés se combinerait facilement à un régime de fonds d’épargne université. Il s'agit de transformer l’accumulation en régime d’épargne universitaire entièrement déductible du revenu à la manière des RÉER par l’étudiant, sa famille ou ses bienfaiteurs. La formule favoriserait donc l’accès à l’enseignement supérieur, et surtout elle ne coûterait rien aux contribuables. Son unique lacune n’est visible qu’aux politiciens: son moindre panache politique. 
 
 
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