Montréal, 15 octobre 2004  /  No 147  
 
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Jasmin Guénette détient une maîtrise en science politique à l'Université du Québec à Montréal.
Page personnelle
 
LES AVENTURES DE LUC CYR
Une enquête n'attend pas l'autre. (no 141)
Se trouver un emploi, pas une sinécure... (no 128)
Besoin de vacances, sauf que... (no 123)
La Naissance d'Amélie (no 119)
Luc Cyr et le permis de parent (no 117
Québec, 2012: Petit conte libertarien (no 116)
 
LES AVENTURES DE LUC CYR
 
LE CALUMET DE LA PAIX
INTERDIT AUX MINEURS
 
par Jasmin Guénette
  
  
Suite du dernier épisode: 
  
          Katy et moi allons maintenant vers le lac des castors, question de prendre le temps de faire une bonne marche. Avant tout, nous devons nous enregistrer. Du début du sentier jusqu’à la guérite, il faut faire un bon 15 minutes de marche le long de la route qui borde le lac. La vue est très belle, le lac, le reflet des arbres sur l’eau, tout ça est vraiment joli. 
  
          Donc, après 15 minutes de marche sans histoire, nous voilà à la guérite où nous attend le gentil gardien du parc. Cet homme nous accueille à la manière typique des bureaucrates, c'est-à-dire sans sourire et en expliquant de façon robotique les nombreux règlements qu’il faut suivre dans le parc. À la fin de son exposé, qui dure tout près de cinq minutes, le gardien du parc nous demande de lui remettre notre permis de marcheur de montagne. 
  
Luc: Un permis de marcheur? Qu’est-ce que c’est que cette affaire-là?  
  
Gardien du parc: Mon cher jeune homme, laissez-moi vous dire que la nature, notre richesse commune à tous, doit être protégée par les gouvernements contre les utilisateurs qui ne sauraient en prendre soin. C’est pourquoi le P.P.P. a adopté, il y a de cela quelques mois déjà, une loi pour régir et encadrer la marche en montagne qui non seulement peut s’avérer dommageable pour la forêt, mais est une activité dangereuse qui nécessite des habiletés particulières. 

Katy: Pardon! Marcher en forêt demande des habiletés particulières? Quelle est la différence entre marcher dans le bois et marcher au centre d’achat? Je comprends qu’il peut y avoir des petites différences, mais pas au point où je dois réapprendre à marcher!

 
Gardien du parc: Madame, cette petite remarque montre bien que vous n’êtes pas venue faire un tour en montagne récemment. Il faut savoir s’habiller, connaître les trucs pour se cacher et savoir quoi faire en cas de pluie. 
  
Katy: Mais je peux faire cela moi-même. Je peux me renseigner et connaître les meilleures façons de faire de la randonnée en montagne sans pour autant que le gouvernement me donne un permis et réglemente mes activités.  
  
Gardien du parc: Rien ne sert de discuter. La loi, c’est la loi. 
  
          Le gardien nous explique que nous devons retourner d’où nous sommes arrivés et que juste à côté de l’auberge du lac se trouve le Centre de formation régionale de l’activité en forêt du Québec (CFRAF). 
  
          Le nombre d’accidents ne cesserait d’augmenter d’année en année selon le Bureau de la statistique récréative du Québec (BSRQ). Les piqûres de maringouin, longtemps jugées complètement inoffensives, sont devenues des accidents. Même chose pour les piqûres d’abeilles et des petites araignées. Ces raisons, et bien d’autres, font en sorte que la population du Québec (écrit-on sur l’affiche dans le CFRAF) a demandé clairement à « ses » responsables politiques que les bonnes règles soient connues de tous. De cette manière, les usagers peuvent aller se promener dans les bois en toute connaissance de cause. 
  
          Pour aller faire notre marche en montagne, nous n'avons donc pas le choix de suive ce cours. Katy et moi allons nous installer bien confortablement et ferons tout pour ne pas échouer notre formation de marche! Nous entrons dans le bureau du responsable de l’Enseignement des rudiments du comportement en forêt, enseignant évidemment accrédité par le ministère de l’Éducation et de la Formation du Québec. 
  
          Surprise, la petite nièce de Katy se trouve dans la salle. Son nom est Julia. Une toute jeune demoiselle de douze ans qui veut, elle aussi, avoir son permis de marche en forêt. Lorsqu’elle me rencontre, elle me dit fièrement que ce n’est pas le premier permis qu’elle possède, déjà à douze ans elle a son permis de vélo, son permis de traîne-sauvage et de construction de cabanons dans les bois (un cours qu’elle a bien sûr suivi avec son père). Elle dit à Katy qu’elle aimerait venir faire un tour dans les bois avec nous après la formation. Katy, elle aussi très heureuse de voir sa nièce, accepte avec plaisir. 
  
          La formation dure trop longtemps pour que nous retournions en forêt cette journée-là. Nous disons à la petite Julia que nous irons la chercher demain pour aller dans les bois. 
  
4 octobre 2020 
  
          Après le déjeuner, nous allons prendre Julia chez elle pour l’amener faire une ballade au lac des castors avec en poche notre nouveau « permis de marche ». Le même bureaucrate que la veille nous accueille à la porte. 
  
Gardien du parc: Je vois que vous avez fait la bonne chose. Bien des jeunes vont en forêt sans permis et c’est la principale raison de la détérioration de notre richesse commune. Les contraventions sont d’ailleurs très lourdes pour quiconque se fait attraper dans les bois sans son permis. Je peux le voir votre permis s’il vous plaît? 
  
          Le gardien prend nos permis et les examine longuement, comme s’il croyait détenir des contrefaits. Il entre les numéros sur un petit appareil électronique: le numéro du permis de marche en montagne de Katy est le PDMM 6515-651-95AA, celui de Julia, le PDMM 7444-132-25MD, et le mien, le PDMM 9421-842-77QC. Il téléphone même au CFRAF pour s’assurer de la validité de nos nouveaux permis. 
  
Moi: C’est terminé maintenant? Nous aimerions aller faire un tour et marcher dans les bois. 
  
Gardien de parc: Rien de plus simple, jeune homme. Prenez 10 minutes pour remplir ce formulaire, lisez le petit Guide des sentiers du lac des castors, sentiers qui peuvent être dangereux, répondez aux questions de ce même guide et voilà, le tour peut commencer. 
  
Moi: Franchement, vous ne trouvez pas que vous ambitionnez? Je veux aller me balader, tout simplement. 
  
Gardien de parc: Écoutez mon ami, plus vous me parlez et discutez, plus vous retardez la balade de la petite. Vous ne voulez pas la gâcher, hein? Allez, vous pouvez vous installer là-bas, dans l’aire spécialement aménagée pour les répondants. 
  
     « Après presque une heure de marche, nous arrivons au petit village amérindien. Deux gros totems bornent un petit sentier où nous attend un amérindien "typique" qui jase sur son téléphone cellulaire et qui porte des jeans Buffalo. Son nom est Nashi. Il me semble plutôt sympathique. »
  
          Après avoir répondu aux questions, nous sommes tous les trois prêts pour la promenade. Toute cette paperasse à remplir nous a fait perdre un temps fou. 
  
          Les sentiers sont nombreux et nous voulons en suivre un qui ne soit pas trop difficile pour Julia. Nous choisissons le Wispassinni, nommé en l’honneur d’un grand chef amérindien de la région. Une affiche mentionne qu’il est possible, en prenant ce sentier, de visiter un petit village « typiquement » amérindien. Ça sera intéressant pour Julia. 
  
          Après presque une heure de marche, nous arrivons au petit village amérindien. Deux gros totems bornent un petit sentier où nous attend un amérindien « typique » qui jase sur son téléphone cellulaire et qui porte des jeans Buffalo. Son nom est Nashi. Il me semble plutôt sympathique. 
  
Nashi: Bonjour mes amis! Bienvenue au village de mes ancêtres. 
  
Moi: Bonjour, nous aimerions visiter votre village. 
  
Nashi: Avec plaisir. Par contre, la petite devra rester à l’auberge du grand chef, juste de l’autre côté du ruisseau, le temps que vous prendrez pour faire le tour du site. Le village est réservé aux adultes. 
  
Moi: Pourquoi? 
  
Nashi: Un peu partout sur notre territoire, vous trouverez des symboles traditionnels de notre communauté comme le calumet de la paix. Pour les gens du P.P.P., le calumet de la paix n’est pas un symbole traditionnel, mais c’est plutôt un symbole associé au tabagisme. Le calumet de la paix n’est pas le seul symbole du genre sur le site. Partout vous trouverez des fresques illustrant la vie quotidienne de mes ancêtres, comme fumer autour d’un feu par exemple. Ces fresques, pour le P.P.P., ne montrent pas des moments du quotidien, mais des mauvaises habitudes sociales qu’il faut éliminer à tout prix. Il y a des fumeurs ici, des représentations de gens qui fument et des instruments pour fumer. C’est pour ces raisons que le site est réservé aux personnes majeures. La petite fille ne peut donc pas entrer. 
  
Katy: J’aurai dû y penser. Le gouvernement a lutté dans le passé contre le tabagisme en l’interdisant presque partout, et ce même dans les lieux privés. Tu le sais Luc, je dois mentionner dans un formulaire spécial que je fume à la maison. Des inspecteurs peuvent venir chez moi à tout moment et je devrai payer une forte contravention s’ils trouvent des mineurs pendant que je grille une cigarette. 
  
          Comme le fait remarquer Nashi, le gouvernement lutte actuellement contre les symboles du tabac. Par exemple, les vieux films du 20e siècle dans lesquels se trouvent des scènes montrant des fumeurs sont classés « 18 ans et plus ». Ça ne le surprend pas que le village soit réglementé de la sorte. 
  
Moi: J’avais complètement oublié cette foutue loi. D’ailleurs c’est complètement ridicule. 
  
Nashi: Mais les gens ont votés pour cette loi! 
  
Moi: C’est bien ça le problème. Quand tu « votes » dans un libre marché, tu obtiens exactement ce que tu veux. Si tu choisis bien, si tu as des bonnes idées, tu as du succès. Si ça ne marche pas, et bien c’est toi qui en assumes les conséquences, ce ne sont pas les autres. Le vote politique c’est tout le contraire. Si tu as le malheur de faire partie de la minorité, comme les fumeurs par exemple, tu te vois obligé de faire ce que la majorité souhaite te voir faire. Il faut modifier ses comportements. Il devient impossible de choisir selon ses préférences individuelles, mais les choix sont plutôt dictés par des préférences dites sociales. Pire, quand les politiciens ne prennent pas les bonnes décisions, et c’est souvent le cas, ce ne sont pas eux qui paient la note, mais l’ensemble des contribuables. 
  
Le téléphone cellulaire de l’« amérindien » sonne, coupant court la discussion. 
  
Nashi: Allo? Tu veux attendre une seconde? (il place son doigt devant le récepteur) C’est pas moi qui fait les lois, m’sieur… 
  
Moi: Je sais bien. Allez (prenant la main de la petite), on s’en va. Si on peut pas entrer tous les trois, on n’y va pas. 
  
          Nous saluons Nashi et prenons la route du retour, ce qui devrait nous prendre près d’une heure. 
  
Moi: Les lois sont devenues tellement paternalistes. Pour les politiciens les parents n’ont pas assez de jugement pour bien élever leurs enfants. Ça prend, semble-t-il, des lois sévères pour éduquer les jeunes qui sont de plus en plus laissés sans surveillance par des parents insouciants. Comme si les parents n’avaient pas de jugement, alors que les bureaucrates, eux, en ont. Que se passe-t-il quand les bureaucrates ont des enfants? Sont-ils eux aussi incapables de les élever ou doivent-ils se fier à une tierce personne pour leur inculquer les bonnes valeurs?  
  
Katy: Luc, je ne sais pas ce que font les bureaucrates pour échapper à ces règles. Une chose est sûre par contre c’est qu’ils ne s’y opposent pas souvent quand le P. P. P. introduit de nouveaux règlements, sauf si ces règles les contraignent directement. Tu comprends, c’est de cette façon qu’ils peuvent garder leur travail. Tu te souviens, ils ne se sont pas gênés avant la naissance d’Amélie pour te faire parvenir leur Manuel de la bonne conduite parentale. 
  
          À suivre… 
 
 
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