Montréal, 10 février 2008 • No 252

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

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FONDEMENTS DE LA PENSÉE LIBÉRALE

 
 

          Votre article ne me laisse pas sans réaction, tant il est enraciné dans les fondements même de la pensée libérale. Tout d'abord, le premier sophisme des critiques du libéralisme, c'est la notion de groupe d'intérêt, et la séparation des sociétés humaines en groupes ou classes (théorie marxienne). Le deuxième sophisme fondamental élaboré par le socialisme, c'est la notion de séparation (encore une séparation...) entre « bonheur matériel » et « bonheur spirituel »; c.f. les affirmations de L. Jospin, que vous citez.

          Regardons quelques déclarations et écrits libéraux par exemple, pour lire que ce second sophisme n'existe pas, est ignoré dans le cadre d'une véritable expression libérale. Thomas Jefferson lui-même, dans sa déclaration d'indépendance l'avait fait transparaître: « Life, Liberty, and Pursuit of Happiness » comme devant être évidents parmi les droits fondamentaux de l'être humain. Notez bien, qu'avocat de son état, il s'était bien garder de préciser ou de faire une quelconque distinction entre bonheur «matériel» et bonheur « spirituel »...

          Mais allons plus loin dans les précisions philosophiques et métaphysiques à la base de cette pensée libérale, et nous retombons sur l'un de ses auteurs les plus explicites à ce sujet, Ayn Rand, dans un ouvrage reprenant tous les principaux thèmes de sa philosophie: Atlas shrugged. Dans le chapitre sur le discours de John Galt, elle le fait dire à son personnage (et il faut bien voir à ce sujet que Galt n'est pas un héros, il est simplement le révélateur, jamais comparé ni supérieur à qui que ce soit. Il est la prise de conscience, il la représente... Et en un sens , il est l'antihéros...).

          Mais reprenons le passage essentiel de ce discours, où Ayn Rand nous fait toucher du doigt le sophisme fondamental à l'origine de toutes les erreurs morales: « Ils (vos professeurs) ont coupé l'homme en deux, dressant chaque moitié l'une contre l'autre. Ils lui ont dit que son corps et sa conscience étaient deux ennemis engagés dans un conflit mortel, etc... » (lire la tirade correspondante dans la traduction de Pierre-Louis Boitel). Ayn Rand conclut: « savez-vous quelle faculté humaine cette doctrine était conçue pour ignorer? C'était la pensée humaine, qu'il fallait nier pour démolir l'homme. [...] Après avoir renoncé à la raison, il s'est retrouvé prisonnier et ravagé dans une bataille entre un robot et un dictaphone... », poursuit-elle plus loin, et il faut encore lire Ayn Rand, et non seulement lire, mais lire entre les lignes pour réellement saisir ce dont il s'agit, ce qu'elle cherche par là à nous faire comprendre.

          Merci encore pour ces excellents rappels de philosophie libérale.

Emmanuel Delgado
 

 

CRISE DE CONFIANCE À LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

 

          La Société générale, mal conseillée sans doute par ses avocats et ses assureurs, a fait le choix du « bouc émissaire » dans la crise qui la frappe. Elle s'est empressée de désigner un coupable « idéal » en la personne d'un jeune trader pour le moins imprudent. Mais, se faisant, dans la plus complète des précipitations et après quatre jours de « réflexions », elle a manqué de discernement et, désormais, l'affaire lui revient en pleine tête, tel un boomerang.

          Le « responsable mais pas coupable » de la Société générale n'a pas convaincu. Même si, au passage, il a complètement et durablement « fusillé » son management intermédiaire et entraîné l'éviction de plusieurs directeurs de salles de marché. Chaque jour qui passe amène des éléments nouveaux. L'on apprend ainsi que les « positions » exorbitantes et frauduleuses du jeune trader étaient, semble-t-il, équilibrées quand elles ont été découvertes. Et ce serait finalement la banque qui, en vendant précipitamment les positions sur un marché flottant à la baisse, aurait entraîné les pertes de près de 5 milliards d'euros. Certes, au regard des autorités de contrôle, elle ne pouvait sans doute faire autrement, mais quel gâchis!

          Le reste est à l'image de cette communication de crise, désastreux. Daniel Bouton se retrouve aujourd'hui sur un siège éjectable pour avoir manqué de la plus élémentaire prudence et de la plus nécessaire humilité. Sa diatribe vengeresse sur un jeune salarié de 31 ans a manqué de mesure et de discrétion. Son désir de vouloir « rassurer » les actionnaires et petits porteurs a tourné à la démonstration enfantine et a entraîné la suspicion sur tout le groupe. Car, finalement, on ne « rassure » que des enfants tandis que les adultes réclament des garanties ou des engagements. Et d'engagements, il n'y eut pas. La lettre de la Société générale, publiée le 24 janvier dernier dès l'officialisation de la crise, ne présente même pas d'excuses. Elle commence par ces mots: « j'ai le devoir », alors qu'il aurait sans doute fallu qu'elle commence par un acte de contrition.

          Les dégâts risquent d'être considérables. Ils le sont déjà pour l'image de la banque française à l'étranger. Ils le seront encore demain pour les actionnaires français ou même pour les salariés actionnaires de cette même banque. Ils ne font ni rire, ni sourire car ils sont la preuve de la faillite des organismes de contrôle interne de la Société générale. Ils sont aussi la démonstration d'une déplorable gestion de crise. Sans parler de la communication qui va avec.

Jean-Paul Busnel
Expert/Enseignant en Communication de crise
 

 

LA TERRE PROMISE DE LA NOUVELLE CIVILISATION

 

          François Furet écrivait dans L’atelier de l’histoire:

          L’État d’Israël nous propose l’exemple d’une nation improbable d’immigrants tardifs, fuyant, deux à trois siècles après les dissenters anglais, la malédiction européenne pour peupler une Terre promise, revêtue de la bénédiction divine. En ce sens, il présente à l’historien français un problème comparable à celui des États-Unis: un modèle de construction nationale et un type de société contradictoires avec ceux dont il a la familiarité, puisque fondés sur le choix récent de ses artisans, à partir d’une religion, d’une idéologie ou simplement du malheur, sans qu’il y ait d’ailleurs incompatibilité entre ces raisons d’inventer. Mais le fait israélien constitue un sujet d’étonnement et de réflexion plus profond encore que le surgissement américain, dans la mesure où il mêle une croyance infiniment plus ancienne et un projet historique beaucoup plus récent…

          Les Français devraient méditer sur les « refondations » modernes, car le débat sur la nécessaire réforme de la société française tourne autour de ce thème, celui du retour à une Terre promise. En effet, bien que les Français se refusent à l’avouer, la France est devenue pour eux une Terre promise, un pays dont ils s’estiment dépossédés, un idéal à ressusciter. Dans leur majorité n’éprouvent-ils pas la nostalgie lancinante d’un paradis perdu où ne coulaient peut-être pas le lait et le miel, mais où il faisait bon vivre? Ils rêvent de le retrouver tel qu’en leur souvenir ou telle qu’en survit la légende chez les vieilles gens. Ils savent cependant que leur retour sera d’autant plus difficile qu’ils sont restés sur place. Non, jurent-ils, ils n’ont pas voulu ça: ni la présence arrogante d’étrangers qui imposent leurs lois ni le joug d’une administration cynique et avide.

          Néanmoins conscients de leur responsabilité dans l’avenue de leur malheur, ils ont naïvement voté pour un « libérateur », comme si le simple jeu des chaises musicales du système politique avait pouvoir de changer profondément leur destin. L’Élu, un ex-ministre de l’Intérieur (tiens, comme en Russie on a choisi un flic), avait pourtant un jour promu la « tolérance zéro » comme la priorité des priorités (automobiles). Cette profession de foi en l’intolérance, il la partageait d’ailleurs avec les fameuses banlieues au sein desquelles il ne parvenait pas à instaurer l’état de droit. Il faut convenir qu’il est nettement plus facile et plus lucratif de verbaliser les contribuables sur fond d’hypocrisie consensuelle.

          Le citoyen ordinaire vit aujourd’hui comme un nouveau persécuté auquel l’État applique la maxime de Sun Tzu (in l’Art de la Guerre) au sujet des ennemis: « tue les en détail » (= ne leur laisse nul répit). Il faut néanmoins rappeler que le même Tzu conseillait: « À un ennemi encerclé vous devez laisser une voie de sortie » ou « s’ils manquent de tout, prévenez leur désespoir » car « si, réduits au désespoir, ils viennent pour vaincre ou pour périr, évitez leur rencontre ». Une telle sagesse politique n’est pas de mise en France où aucune échappatoire n’est ouverte, aucun oxygène libéré et où l’intransigeance piétine les libertés privées des citoyens isolés et humiliés. Ce sont les circonstances choisies pour évoquer en haut lieu la nécessité d’« un nouveau projet de civilisation », rien de moins, mais en haut lieu on n’hésite pas à manier le concept à pleines mains. Même pas drôle.

          Il ne faut donc pas s’étonner si le moral des Français est au plus bas depuis 12 ans. Ils ne croient ni à la reprise économique, ni à l’amélioration de leur pouvoir d’achat (cf. Le Figaro Economie du 30 janvier). Ils ont préféré l’égalité à la liberté et ne peuvent désormais guère qu’envier leurs voisins du fond de leur étouffoir.

          Le « Pauvre France » de Fabri ne fait plus rire. À la vitesse de l’Histoire, l’impensable est en train de se produire. Une vieille et glorieuse nation va disparaître. Non sans une longue et douloureuse agonie.

Daniel Jagodzinski
 

 

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