| Supposons qu'il 
		n'y ait qu'une charrue dans le monde et que deux laboureurs y 
		prétendent.
 
 Pierre est possesseur de 
		la seule charrue qui soit disponible en France. Jean et Jacques désirent 
		l'emprunter. Jean, par sa probité, par ses propriétés, par sa bonne 
		renommée offre des garanties. On croit en lui; il a du crédit. 
		Jacques n'inspire pas de confiance ou en inspire moins. Naturellement 
		arrive que Pierre prête sa charrue à Jean.
 
 Mais voici que, sous 
		l'inspiration socialiste, l'État intervient et dit à Pierre: Prêtez 
		votre charrue à Jacques, je vous garantis le remboursement, et cette 
		garantie vaut mieux que celle de Jean, car il n'a que lui pour répondre 
		de lui-même, et moi, je n'ai rien, il est vrai, mais je dispose de la 
		fortune de tous les contribuables; c'est avec leurs deniers qu'au besoin 
		je vous payerai le principal et l'intérêt.
 
 En conséquence, Pierre 
		prête sa charrue à Jacques: c'est ce qu'on voit.
 
 Et les socialistes se 
		frottent les mains, disant: Voyez comme notre plan a réussi. Grâce à 
		l'intervention de l'État, le pauvre Jacques a une charrue. Il ne sera 
		plus obligé à bêcher la terre; le voilà sur la route de la fortune. 
		C'est un bien pour lui et un profit pour la nation prise en masse.
 
 Eh non! messieurs, ce 
		n'est pas un profit pour la nation, car voici ce qu'on ne voit pas.
 
 On ne voit pas que 
		la charrue n'a été à Jacques que parce qu'elle n'a pas été à Jean.
 
 On ne voit pas 
		que, si Jacques laboure au lieu de bêcher, Jean sera réduit à bêcher au 
		lieu de labourer.
 
 Que, par conséquent, ce 
		qu'on considérait comme un accroissement de prêt n'est qu'un 
		déplacement de prêt.
 
 En outre, on ne voit 
		pas que ce déplacement implique deux profondes injustices.
 
 Injustice envers Jean 
		qui, après avoir mérité et conquis le crédit par sa probité et 
		son activité s'en voit dépouillé.
 
 Injustice envers les 
		contribuables, exposés à payer une dette qui ne les regarde pas.
 
 Dira-t-on que le 
		gouvernement offre à Jean les mêmes facilités qu'à Jacques? Mais 
		puisqu'il n'y a qu'une charrue disponible, deux ne peuvent être prêtées. 
		L'argument revient toujours à ce que, grâce à l'intervention de l'État, 
		il se fera plus d'emprunts qu'il ne peut se faire de prêts, car la 
		charrue représente ici la masse des capitaux disponibles.
 
 J'ai réduit, il est vrai, 
		l'opération à son expression la plus simple; mais, éprouvez à la même 
		pierre de touche les institutions gouvernementales de crédit les plus 
		compliquées, vous vous convaincrez qu'elles ne peuvent avoir que ce 
		résultat: déplacer le crédit, non l'accroître. Dans un 
		pays et dans un temps donné, il n'y a qu'une certaine somme de capitaux 
		en disponibilité et tous se placent. En garantissant des insolvables, 
		l'État peut bien augmenter le nombre des emprunteurs, faire hausser 
		ainsi le taux de l'intérêt (toujours au préjudice du contribuable), 
		mais, ce qu'il ne peut faire, c'est augmenter le nombre des prêteurs et 
		l'importance du total des prêts.
 
 Qu'on ne m'impute point, 
		cependant, une conclusion dont Dieu me préserve. Je dis que la Loi ne 
		doit point favoriser artificiellement les emprunts; mais je ne dis pas 
		qu'elle doive artificiellement les entraver. S'il se trouve, dans notre 
		régime hypothécaire ou ailleurs, des obstacles à la diffusion et à 
		l'application du crédit, qu'on les fasse disparaître; rien de mieux, 
		rien de plus juste. Mais c'est là, avec la liberté, tout ce que doivent 
		demander à la Loi des Réformateurs dignes de ce nom.
 
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