Quinze années de crise, quinze années de progrès | Version imprimée
par Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15 février 2013, No 308
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Parmi les raisons qui m’avaient poussé à fonder le QL, il y a exactement quinze ans, figurait mon dégoût devant la vacuité intellectuelle des débats au Québec et l’absurdité de la couverture médiatique de ce qui s’y passait. Comme je l’écrivais dans un éditorial du 14 mars 1998,

[L]a lecture d'un quotidien ou l'écoute d'un journal télévisé se résume à peu de choses près, jour après jour, à la même sempiternelle recension des doléances et revendications des uns et des autres (…). Suivre l'actualité, c'est suivre pas à pas la crise de l'industrie porcine qui fait face à une chute des prix, celle des urgences bondées dans les hôpitaux, celle des pêcheurs au chômage, celle des acériculteurs sinistrés, celle des travailleurs de l'auto qui ne veulent pas de compétition, celle des nationalistes dont « l'âme collective » fout le camp, etc.

Les causes profondes de cet état de crise permanent n’étaient toutefois jamais correctement diagnostiquées. Les journalistes et commentateurs faisaient preuve d’une incompréhension fondamentale de la logique économique qui leur aurait permis de le faire.

Crise de l’État

Un gros État interventionniste génère des crises de deux façons.

D’abord, tous les secteurs qu’il contrôle tels que la santé et l’éducation sont constamment en crise. La planification bureaucratique ne permet pas d’ajuster la production avec la demande des consommateurs. Les signaux et mécanismes de marché – prix, profits et pertes, possibilité d’embaucher les employés les plus productifs et de les rémunérer de manière compétitive, innovation constante pour ne pas se laisser distancer par la concurrence, etc. –, qui permettent aux gestionnaires de savoir s’ils répondent adéquatement à cette demande, sont tout simplement absents.

De leur côté, les « consommateurs », c’est-à-dire les contribuables forcés de payer pour ces services publics et à qui on interdit d’en obtenir ailleurs, n’ont aucune raison de les consommer de façon responsable. Ils n’ont également aucune façon de manifester leur mécontentement, à l’exception d’un vote tous les quatre ans qui ne change rien à la situation. L’école des Choix publics a bien expliqué pourquoi le simple citoyen, qui est confronté à des difficultés d’organisation quasi insurmontable, n’a pratiquement aucune chance d’exercer un contrepoids face aux syndicats, corporations professionnelles, et autres lobbies qui ont l’oreille des gouvernements.

L’interventionnisme étatique entretient également les crises dans le secteur privé. Tous les secteurs économiques subissent constamment des hausses ou baisses de prix, des changements technologiques, une évolution des conditions du marché. Dans la très grande majorité des cas, ces transformations ne provoquent que des frictions localisées. Mais il suffit que des pertes d’emplois par exemple soient concentrées dans un secteur jugé « stratégique » ou une région électoralement importante pour que le gouvernement intervienne et retarde ainsi les ajustements nécessaires. La crise devient alors « nationale » et fait les manchettes, alors qu’en réalité elle ne concerne qu’une fraction minuscule de la population.

Quinze ans plus tard, les urgences et l’industrie porcine sont encore en crise. Les garderies publiques, la chanson et le cinéma subventionnés, l’agriculture protégée et cartellisée, sont en crise. L’éducation supérieure est en crise. Le gouvernement va d’ailleurs tenir un « sommet » sur le sujet dans les prochaines semaines avec les « partenaires » habituels, selon le modèle corporatiste bien établi au Québec depuis des décennies, auquel je consacrais mon éditorial du No 1 du QL le 7 mars 1998.

Crises économiques

Une autre crise provoquée par des interventions étatiques se poursuit depuis quinze ans à une plus grande échelle, celle de l’économie mondiale.

Plus personne ne s’en souvient aujourd’hui, mais en 1998, une crise financière importante venait de frapper plusieurs pays asiatiques, la Russie, le Brésil, et menaçait de se répandre à la planète toute entière. Le FMI et la Banque mondiale, deux organisations bureaucratiques aspirant à planifier l’économie de la planète, tenaient des conclaves avec les grands argentiers des pays riches pour trouver des moyens de calmer les fluctuations monétaires et de venir à la rescousse des pays les plus secouées (tout comme ils le feront, pour des raisons similaires, lors d’une rencontre du G20 cette fin de semaine à Moscou).

La première fois que j’ai écrit sur cette question, en juillet 1998, le président Bill Clinton venait de proposer un New Deal à l’échelle mondiale pour contrer la crise. « Just as free nations found a way after the Great Depression to tame the cycles of boom and bust in domestic economies, we must now find ways to tame the cycles of boom and bust that today shake the world economy. » Dans Le Devoir, l’éditorialiste Jean-Robert Sansfaçon proposait de baisser les taux d’intérêt et de stimuler l’investissement et la consommation avec des plans de relance. La Réserve fédérale, dirigée par Alan Greenspan, venait de sauver un important fonds d’investissement de Wall Street, Long-Term Capital Management, et de réduire les taux d’intérêt. Le FMI distribuait quant à lui des dizaines de milliards aux pays touchés par la crise. Plus ça change...

Ces coûteuses interventions ont permis de gagner du temps. Mais elles n’ont fait que repousser la crise à plus tard, en empirant les distorsions financière et économiques déjà présentes, notamment le boom artificiel des « dotcom ».

On connaît la suite. Un krach plus sévère et une récession sont survenus au début des années 2000. Greenspan a réagi de la même façon en pesant sur l’accélérateur monétaire et en réduisant les taux d’intérêt. Une nouvelle frénésie spéculative, centrée cette fois sur l’immobilier, a pris son envol et a duré quelques années. L’effondrement inévitable est survenu en 2007-2008. Depuis, les gouvernements cumulent les plans de relance fiscaux et monétaires. Rien n’y fait. Cinq ans plus tard, plusieurs économies (Japon, Europe) sont en récession, la stagnation ou l’incertitude dominent ailleurs, on parle de guerre internationale de devises, et la quantité gigantesque de « liquidités » créées par les banques centrales alimentent de nouvelles bulles spéculatives…

Pour comprendre les véritables fondements de ces crises, il faudrait évidemment remonter plus loin qu’il y a quinze ans: à 1971, quand Nixon a coupé le dernier lien qui existait entre l’or et le dollar; à 1944, lors de la mise en place des accords de Bretton-Woods, qui ont redessiné le système financier mondial selon la vision keynésienne; ou encore plus loin, durant la Première Guerre mondiale, quand  le régime classique d’étalon-or a été à toutes fins utiles abandonné et que la Fed a été créée. La seule théorie économique qui met en perspective historique et qui offre une explication logique de ces crises est celle de l’école autrichienne.

Des progrès

Lorsque j’ai écrit ces articles en 1998, je le faisais sur mon premier ordinateur, un ACER acheté quelques mois plus tôt, doté d’un écran cathodique gigantesque, et que Gilles et moi avions dénommé Dolly en l’honneur de la première brebis clonée qui faisaient alors les manchettes. Nous avions une connexion 56k et le téléphone ne fonctionnait plus quand nous étions branchés. Les iPad, Blackberry, Facebook, YouTube, Twitter et autres bidules qui font partie de la vie quotidienne en 2013 n’existaient pas encore. Les écrans plats étaient très rares et se vendaient une fortune.

Pratiquement personne au Québec ne savait ce que signifiait le mot « libertarien ». Je ne connaissais personnellement qu’une poignée de gens partageant ces idées, dont quelques-uns avaient accepté d’écrire pour le QL.

Aujourd’hui, les crises provoquées par l’État sont encore bien présentes. Mais le monde a tout de même beaucoup évolué depuis quinze ans, grâce au dynamisme de l’économie de marché. La diffusion des idées libertariennes a connu un essor fulgurant à travers le monde, en bonne partie grâce à Internet. De plus en plus de gens comprennent pourquoi les crises surviennent et persistent.

Et nous sommes toujours là.

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* Martin Masse est directeur du Québécois Libre.