15 mai 2013 • No 311 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
LIBRE EXPRESSION
Cinéma made in Québec (ou l'art de creuser des trous pour les remplir)
par Gilles Guénette


Téléfilm Canada a annoncé au début du mois son appui à cinq projets de longs métrages francophones, soit Autrui de Micheline Lanctôt, Exit de Carole Laure, Forget Me Not de François Delisle, La guerre des tuques 3D de Jean-François Pouliot et François Brisson ainsi que N.O.I.R. d'Yves-Christian Fournier. Le montant total des subventions accompagnant ces projets est de 3,7 millions de dollars.

Le lendemain, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) annonçait le financement de douze projets de longs métrages de fiction, dix en français et deux en anglais, dont les mêmes cinq films. Le montant total des subventions accompagnant ces douze projets n'a toutefois pas été dévoilé.

Deux femmes en or

Lanctôt et Laure sont deux artistes dont les profils se ressemblent. Elles ont presque le même âge (la première est née en 1947 à Frelighsburg, la seconde, en 1948 à Shawinigan) et portent plusieurs chapeaux (Lanctôt est actrice, réalisatrice, scénariste, productrice et monteuse; alors que Laure est chanteuse, actrice, réalisatrice, scénariste et productrice) depuis le début des années 1970. Ce sont ce qu'on pourrait appeler des « monstres sacrées » au Québec.

Le film Autrui, de Micheline Lanctôt, est l'histoire de Lucie, une jeune femme introvertie, fragile, sans ambition ni projet, qui mène une vie discrète et qui est dépassée par les vies effrénées qu'elle observe autour d'elle. Eloi, lui, est un clochard. Elle l'a vu sur le point de mourir de froid dans la ruelle en se rendant au travail. Elle a décidé de le prendre chez elle pour lui permettre de récupérer. Ce sera d'abord un jour, puis deux. Il y restera quelques mois. La cohabitation sera douloureuse et les réactions d'Éloi imprévisibles.

Ah les sans-abri... Du point de vue de ces grands romantiques que sont les artistes, ils seraient des êtres profonds empreints d'une sagesse que notre course effrénée de tous les jours nous a fait perdre. Je gage un 10$ que la Lucie de Lanctôt va comprendre de grandes vérités grâce à Éloi et qu'elle va ressortir « grandie » de cette histoire.

Le film Exit, de Carole Laure, est une histoire qui se déroule dans le milieu artistique de Montréal. Un groupe de personnages se croisent et se débattent avec leur présent, leur entourage, leurs émotions et leurs démons. Les répétitions d'un spectacle à fenêtres multidisciplinaires les réunissent. Et là, leur créativité s'exprime. La beauté qui émane de leur art nous rapproche de l'émotion pure.

Oh boy!, un autre film d'auteur mettant en vedette des vedettes désoeuvrées. Ça rappelle les films de Binamé des années 1990 dans lesquels des personnages se promenaient dans les rues du Plateau Mont-Royal à la recherche d'un but dans la vie, ou de quelque chose à faire pour tuer le temps. Ironie du sort, Pascale Bussières (qui tenait le rôle principal dans Eldorado de Binamé) va jouer dans Exit de Laure. Pas sûr que ça va attirer bien du monde ça...
 

   

« On nous répète dans les milieux intello et culturel que les entrées au box office ne veulent rien dire. Qu'elles ne reflètent en rien la qualité d'une oeuvre ou son importance dans le paysage culturel d'un pays ou d'une province. Je veux bien, mais si personne ne consomme une culture, est-ce que cette culture est vraiment pertinente?! »

   


Popularité restreinte

Selon le site filmsquebec.com, Lanctôt a réussi à attirer 58 521 personnes en salles pour son film Pour l'amour de Dieu en 2011; 4 227 personnes pour son film Suzie en 2009; et 5 595 personnes pour son film Le Piège d'Issoudun en 2003. De son côté, Laure a réussi a attirer 4 495 personnes en salles pour son film La Capture en 2007; 3 289 personnes pour son film CQ2 (Seek you too) en 2004; et 3 138 personnes pour son film Le fils de Marie en 2003.

Ce qui ressort de ces quelques statistiques, c'est que Lanctôt et Laure (malgré un soubresaut pour le dernier long métrage de la première) tournent en gros pour les mêmes 5000 personnes depuis des années. Ces 5000 personnes sont sans doute reliées de près ou de loin aux deux dames – ou bien elles oeuvrent dans le milieu culturel, ou bien elles font parties de leurs familles et relations plus ou moins rapprochées. En fait, vous et moi subventionnons les soirées de cinéma d'un club très restreint de personnes qui auraient sans doute les moyens de financer ces films.

Comment se fait-il qu'année après année des cinéastes qui sont manifestement incapables d'attirer les foules reçoivent du financement pour tourner? Il faut voir le nombre de films québécois sur le site filmsquebec.com qui n'attirent que quelques centaines de personnes par année (voire même, quelques dizaines!).

Mais on nous répète dans les milieux intello et culturel que les entrées au box office ne veulent rien dire. Qu'elles ne reflètent en rien la qualité d'une oeuvre ou son importance dans le paysage culturel d'un pays ou d'une province. Je veux bien, mais si personne ne consomme une culture, est-ce que cette culture est vraiment pertinente?! Tant qu'à cela, pourquoi ne pas donner des fonds aux artistes pour qu'ils se contentent d'exister?!

Le financement public de la culture au Québec me fait souvent penser à un programme de création d'emploi à l'aide duquel on paierait de petits groupes de personnes pour qu'ils creusent des trous pour ensuite les remplir. Personne ne porte vraiment attention à eux, mais année après année, le programme de creusage/remplissage de trous est renouvelé. Et plein d'artistes font des trucs que personne n'écoute, personne ne lit, personne ne regarde.

L'avenir du financement

Il est sans doute trop tard pour Lanctôt et Laure, mais les jeunes cinéastes devraient s'inspirer de leur collègue David La Haye. Le comédien-réalisateur compte travailler sur un projet de film qu'il financera à l'aide du réseau de socio-financement Haricot. « On veut utiliser cette nouvelle dynamique de financement qu'on connaît avec des sites comme touscoprod.com et kickstarter.com aux États-Unis, dit-il. On parle d'une crise du financement au cinéma québécois. À cela, je réponds aux gens de se donner le film qu'ils veulent voir en participant à un effort volontaire. »

Bravo! Vous voulez faire de petits films intimistes qui mettent en vedette des sans-abri ou des artistes paumés du Plateau qui se questionnent sur le sens de leur vie, rien contre ça. J'irai même les voir, s'ils m'intéressent. Mais de grâce, ne me demandez pas de les financer! Faites comme La Haye et autofinancez-vous! Internet vous rend la tâche super facile avec, notamment, les réseaux de socio-financement. De plus, c'est une excellente façon de tâter le terrain et de savoir s'il y a un intérêt pour ce que vous souhaitez faire.

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Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.

   
 

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