15 novembre 2013 • No 316 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
LIBRE EXPRESSION
Protectionnisme capillaire - Ne coupe pas les cheveux qui veut (la suite)
par Gilles Guénette


La Loi sur les décrets de convention collective permet au gouvernement québécois de rendre obligatoires certaines conditions de travail généralement accordées par les employeurs aux salariés travaillant dans un secteur d'activité et un territoire déterminés. J'en ai déjà traité dans les pages du QL, plus particulièrement dans le cas de la règlementation qui touche le domaine de la coiffure dans certaines régions du Québec. Je croyais que le Québec était le seul endroit au pays où de telles lois débiles existaient encore. Eh bien je me trompais. On apprenait au début du mois qu'il en existe aussi en Ontario. Décidément, il y a trop de fonctionnaires qui ont trop de temps à tuer.

Couper les cheveux en quatre

En effet, les barbiers ontariens pourraient être forcés de retourner sur les bancs d'école pour apprendre à faire des mèches et des permanentes ‒ même si, pour certains d'entre eux, ils coupent les cheveux depuis des décennies et qu'ils n'offrent même pas ces services! C'est qu'une réglementation provinciale force environ 300 000 commerçants à être certifiés dans leur domaine.

En 1998, le ministère ontarien de la Formation et des Collèges et Universités a regroupé tous les métiers liés à la coiffure ‒ y compris les barbiers ‒ sous une appellation officielle et commune de « coiffeur ». Quinze ans plus tard, soit en avril dernier, l'Ordre des métiers de l'Ontario a pris en charge la gestion des licences pour barbiers et autres corps de métier, et a commencé à en appliquer les règles. Ces dernières étaient en vigueur avant le mois d'avril, mais n'étaient que rarement, voire jamais, appliquées ‒ ce qui a fait que plusieurs barbiers ont exploité leur commerce dans l'illégalité depuis tout ce temps.

Dorénavant, pour une première infraction, il en coûtera 195 $ d'amende aux barbiers employés « illégaux », tandis que leurs patrons, eux, font face à des amendes de 295 $. Et pour obtenir une licence, tout ce beau monde devra suivre le nouveau programme combiné pour coiffeurs et apprendre, entre autres, comment faire les permanentes, les mises en plis et les colorations.

On croit rêver. C'est comme si on forçait tous les chefs de restaurants à suivre des cours pour maîtriser toutes les cuisines du monde (française, italienne, japonaise, vietnamienne, etc.) même s'ils ne se spécialisent que dans une cuisine bien particulière. Comme si on forçait tous les automobilistes à apprendre à conduire toutes les sortes de véhicules (motocyclette, autobus, dix-roues, etc.) pour obtenir un permis de conduire une voiture. À quoi sert, dans le cadre d'un travail, d'apprendre à faire des choses qui ne font même pas partie de votre offre de services?! Quelle perte de temps et de ressources!

Protectionnisme 101

Sur le site du ministère ontarien de la Formation et des Collèges et Universités, on apprend que « l'accréditation obligatoire exige qu'une personne soit titulaire d'un certificat de qualification professionnelle en bonne et due forme ou inscrite en tant qu'apprentie ou apprenti dans un métier spécialisé donné pour pouvoir exercer ce métier ou y être employé ».

En 1944, à la demande des représentants patronaux et syndicaux du secteur de la réparation d'automobiles, et pour protéger le public contre les malfaçons, l'accréditation obligatoire a été adoptée pour le métier de réparateur de véhicules automobiles. En 1958, l'accréditation obligatoire pour le métier de coiffeur a été adoptée alors que l'entrée en vigueur de celle pour le métier de barbier remonte à 1963. Un an plus tard, ce sont des métiers d'apprentissage propres à la construction qui sont désignés comme des métiers pour lesquels l'accréditation est obligatoire.
 

   

« À quoi sert, dans le cadre d'un travail, d'apprendre à faire des choses qui ne font même pas partie de votre offre de services?! Quelle perte de temps et de ressources! »

   


En tout, il y a en tout 22 métiers à accréditation obligatoire en Ontario qui se retrouvent principalement dans deux grands secteurs: la construction et l'automobile. Dans le secteur des services, on en retrouve un seul, celui de coiffeur. Pas de différence entre la construction d'un gratte-ciel, l'assemblage d'un moteur de voiture et... la coupe de cheveux.

Pour des élus qui discourent constamment de l'importance de la création d'emplois, qui la subventionnent à grands coups de millions pour ensuite s'approprier les « retombées » (lorsqu'elles vont dans le sens désiré), le fait de fermer des secteurs comme celui de la coiffure de cette façon (car c'est bien de cela qu'il s'agit, ils rendent l'entrée dans un secteur donné plus difficile en instaurant des barrières) est pour le moins... contradictoire.

A-t-on réellement besoin en 2013 d'une réglementation qui tire ses origines du temps de la Seconde Guerre mondiale pour protéger un secteur comme celui de la coiffure? Houston, nous avons a un problème! La fille qui bousille les têtes de ses clients ne fera pas carrière en coiffure. Cela va se savoir qu'elle n'est pas suffisamment qualifiée et elle va perdre son emploi. Pas besoin de réglementation pour ça, le marché s'en charge.

Contrairement aux employés de la fonction publique, les travailleurs du secteur privé font face à la concurrence. Peut-être que les fonctionnaires de l'Ordre des métiers ont de la difficulté à faire la part des choses et qu'ils croient qu'un mauvais barbier qui bousille les têtes de ses clients va sévir tant et aussi longtemps qu'ils n'interviendront pas... Eh bien non. De la même façon que les restaurants qui servent une bouffe infecte ne gardent pas leurs portes ouvertes bien longtemps, un mauvais barbier ne se bâtit pas de réputation (et de clientèle).

La riposte

Vous trouvez qu'il y a trop de compétiteurs dans votre domaine? L'accréditation obligatoire est une excellente façon de réduire leur nombre! Et l'Ordre des métiers de l'Ontario, sur son site Internet, donne même la marche à suivre pour ceux qui souhaiteraient que leur métier y soit soumis. On rigole, mais ce n'est pas drôle. Cette forme complètement anachronique de protectionnisme empêche des gens de travailler et de gagner leur vie. Elle doit être abolie.

En attendant, des voix s'élèvent pour dénoncer la situation. « Nous sommes barbiers, pas des neurochirurgiens!, de déclarer Frank Olszynko, qui coupe les cheveux depuis les années 1960. Pourquoi devons-nous passer par là? Maintenant, il faut se taper 2000 heures d'école, payer 5000 $, pour apprendre à faire des permanentes, des mises en plis, des colorations et Dieu sait quoi! Je ne connais rien de tout ça et je ne veux pas l'apprendre. »

« Je suis très fâché! », s'est exclamé pour sa part Sam Lou. Même s'il coupe les cheveux depuis une quinzaine d'année, il a ouvert son propre salon de barbier le mois dernier. Des inspecteurs de l'Ordre des métiers de l'Ontario lui ont rendu visite et ont découvert qu'il n'était pas en règle. Ils l'ont sommé de cesser ses opérations. « Le gouvernement veut qu'on réussisse, qu'on ouvre des entreprises et qu'on crée de l'emploi. J'ai créé un emploi, ils sont venus m'arrêter », déplore-t-il avant d'ajouter avoir perdu environ 6000 $ dans cette affaire.

Qui a dit que les politiciens étaient à l'emploi des citoyens?! Heureusement qu'il y a encore des gens comme M. Olszynko, qui n'entend pas céder: « Je vais prendre le chemin des tribunaux, c'est sûr. Je ne vais pas payer d'amende. Et je ne suivrai pas cette loi stupide. » Heureusement aussi que Monsieur et Madame Tout-le-monde sont encore capables de gros bon sens. À la question de la CBC: Croyez-vous que les barbiers devraient avoir à apprendre les techniques de coiffure des femmes pour obtenir une licence? 97,69% ont répondu « Non ».

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Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.

   
 

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