15 septembre 2014 • No 324 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
ENTRETIEN
Pourquoi la démocratie ça ne marche pas - Entretien avec Damien Theillier pour 24hGold
 


Quel problème y a-t-il avec la démocratie? Pourquoi chercher une alternative à la démocratie?

L’un des plus grands mythes au sujet de notre démocratie actuelle est qu’elle serait synonyme de liberté. Or, l’idéal démocratique, c’est avant tout que chacun puisse décider de tout et l’imposer aux autres. L’idée de la liberté, au contraire, c’est que chacun puisse décider pour lui-même, sans rien imposer aux autres.

En réalité la démocratie est une forme de collectivisme: «  une seule taille pour tous ». Dans une démocratie, chacun de nous peut prescrire aux autres comment vivre leur vie, faire fonctionner leurs entreprises, qui ils peuvent embaucher, quel salaire ils peuvent payer, où, quand, et comment ils peuvent acheter ou vendre, ce qu’ils peuvent enseigner, fumer, boire et manger, quels médicaments ils peuvent prendre, quelles maisons ils peuvent construire et où ils peuvent construire, ce qu’ils peuvent dire et écrire, comment et où ils peuvent pratiquer leur religion, avec qui ils peuvent se marier, avec qui ils peuvent s’associer…

Est-ce l’échec de la démocratie ou l’incompétence et l’indifférence politique du peuple?

Si la démocratie échoue ce n’est pas tant par désintérêt des citoyens que du fait des idées erronées qui circulent à son sujet. La démocratie souffre des mêmes maux que le socialisme parce que dans les deux cas l’individu est subordonné au collectif. Chaque décision est une décision collective et cette décision devient la norme pour tous. Fondamentalement, aucune liberté individuelle n’est en sécurité dans une démocratie. Aucune propriété n’est réellement privée. Des groupes minoritaires bien organisés peuvent piller ou asservir les autres à travers les urnes.

L’argument décisif en démocratie est la supériorité numérique. Il s’agit de maximiser l’armée des électeurs pour l’emporter à tous les coups. Par ailleurs, elle conduit à une politique de court terme. Un élu n’a aucune incitation à penser à l’avenir de la nation. Il n’est que locataire pendant un terme électoral fixé à l’avance, et son objectif est de maximiser les bénéfices qu’il retire (lui ou son entourage) de son passage au pouvoir. C’est pourquoi les politiciens se soucient peu des dettes qu’ils laissent à leurs successeurs. Pratiquement tous les pays démocratiques souffrent d’énormes dettes. Dans l’ensemble des pays démocratiques, les impôts sont passée de 10% du PIB en 1910 à environ 50% en 2010. L’homme politique dans une démocratie doit promettre toutes sortes de choses irréalistes pour arriver au pouvoir, tout en restant très discret sur leurs coûts réels et les conséquences à long terme de telles dépenses. Les décisions difficiles qu’il faut ensuite prendre pour remédier à tous les effets pervers d’un tel système sont toujours laissées aux successeurs.

Cela conduit à la servitude, à la bureaucratie, aux monopoles, à la médiocrité, au parasitisme, à la centralisation et à la stagnation économique. La démocratie, c’est cette grande fiction dans laquelle les gens peuvent vivre aux dépens des autres, pour paraphraser Frédéric Bastiat.

Il existe différentes formes de démocraties. Y a-t-il une forme démocratique souhaitable, ou préférez-vous la disparition pure et simple de la démocratie?

L’usage de la démocratie pour la prise de décision est utile dans certains contextes, par exemple dans les petites communautés ou au sein d’associations. Mais la démocratie parlementaire nationale, telle qu’elle existe dans quasiment tous les pays occidentaux a largement fait la preuve de son échec. Le Liechtenstein (160 km2), Monaco (2 km2), Dubaï, Hong Kong (1100 km2) et Singapour (710 km2) ne sont pas des démocraties parlementaires. Pourtant, ces pays prospèrent.

En fait, les gens devraient être libres de déterminer sous quelle forme de gouvernement ils veulent vivre: la démocratie, le capitalisme, le socialisme, la dictature ou la monarchie. La règle principale est de ne commettre ni fraude, ni violence, ni vol. Tant que les gens s’en tiennent à cette règle, ils peuvent offrir tous les services, y compris ceux qui sont aujourd’hui considérés comme des « services publics ». Ils peuvent également créer comme ils l’entendent leurs propres communautés – monarchiste, communiste, conservatrice, religieuse ou même autoritaire, pour peu que leurs « clients » adhérent volontairement et pour peu qu’ils laissent les autres communautés tranquilles.
 

   

« Ce que veulent les gens, c’est reprendre le contrôle de leur propre existence. Ce chemin de la liberté passe par l’autonomie maximale et l’autogouvernement, c’est-à-dire par la décentralisation et la multiplication de petites unités administratives, conçues par les gens eux-mêmes. »

   


Cela dit, il est certain que la Suisse avec sa démocratie décentralisée est une meilleure forme de gouvernement que la démocratie parlementaire française. Car il y est possible de voter avec ses pieds et d’aller voir ailleurs. L’alternative est de mettre un bulletin dans l’urne tous les cinq ans et de rester esclave. En Suisse, il y a concurrence entre les unités administratives, il y a un vrai marché de la gouvernance. Puisque les communautés et les cantons suisses sont petits, les gens peuvent non seulement voter, mais ils peuvent aussi se déplacer facilement s’ils sont mécontents du mode de gouvernement. De cette façon, les mauvaises mesures politiques sont chassées par les bonnes.

À quoi ressemblerait l’alternative à la démocratie?

Les grandes organisations gouvernementales seraient démantelées. Il n’y aurait plus de ministères de l’Éducation, de la Santé, des Affaires sociales, des Affaires économiques, de l’Agriculture, des Affaires étrangères, des Finances et de l’Aide au développement. Seuls des services publics essentiels pour assurer l’ordre public et pour faire face aux enjeux environnementaux seraient tolérés.

L’État-providence serait converti en un régime d’assurance privé. Cela offrirait liberté et sécurité aux citoyens. Ils seraient en mesure de prendre une assurance individuellement ou collectivement par les syndicats ou les entreprises pour lesquelles ils travaillent.

Le contrôle de l’État sur notre système financier serait aboli afin que les gouvernements ne puissent plus éroder la valeur de notre monnaie et provoquer des cycles économiques. De cette façon, un marché financier international équitable serait créé, ayant cessé d’être manipulé par les États et les institutions financières reliées aux gouvernements.

Enfin, les citoyens qui voudraient des gouvernements forts, paternalistes et coûteux (qu’ils soient de gauche ou de droite) pourraient les avoir sans les imposer à tout le monde. Il est parfaitement vain d’essayer de convaincre ces gens-là qu’ils ont tort. Encore une fois, la seule solution c’est de multiplier les unités administratives. Les citoyens pourront ainsi se détourner eux-mêmes des gouvernements autoritaires et mal gérés et rejoindre ceux qui produisent les meilleurs services au plus bas coût. De même, chaque politicien et chaque haut fonctionnaire sera incité par la concurrence à rendre son gouvernement aussi efficace et utile que possible.

Comment passer de la démocratie centralisée à davantage d’autonomie sans provoquer le chaos?

Ce que veulent les gens, c’est reprendre le contrôle de leur propre existence. Ce chemin de la liberté passe par l’autonomie maximale et l’autogouvernement, c’est-à-dire par la décentralisation et la multiplication de petites unités administratives, conçues par les gens eux-mêmes. Bien sûr, la sécession ne peut pas nécessairement conduire immédiatement à l’autonomie administrative complète. Mais, ce qui y conduit, c’est de privilégier toute forme de décentralisation qui transfère certaines responsabilités du gouvernement central vers un gouvernement local. Les décisions doivent être prises localement, au niveau administratif le plus bas possible, jusqu’au quartier. Cela pourrait être une forme réaliste de transition entre la situation actuelle et la sécession complète..

Si la démocratie est si nocive, pourquoi tant de gens croient en elle?

La foi en la démocratie nous est inculquée dès l’enfance par l’éducation, les médias et la politique. Il y a une véritable foi dans le dieu de la démocratie parlementaire. Comme toute religion, la démocratie a son ensemble de croyances – des dogmes qui semblent être des faits indiscutables pour tout le monde.

De plus, les gens pensent que la seule alternative à la démocratie est la dictature ou la monarchie absolue. Ils ne se rendent pas compte qu’ils vivent dans une semi-dictature car ils ont tendance à ne voir que les avantages offerts par la démocratie, et non les coûts.

Une des raisons pour lesquelles il en est ainsi est que l’État collecte les impôts par de nombreuses voies indirectes et détournées. Il exige ainsi que les entreprises collectent les impôts sur les ventes ou que les employeurs collectent les charges de sécurité sociale. Il emprunte de l’argent sur les marchés financiers (un argent qui finira un jour ou l’autre par être remboursé par les contribuables) ou fait gonfler la masse monétaire – de façon à ce que les gens ne se rendent pas compte de ce que l’État leur confisque en réalité.

Une autre raison à cela est le fait que les actions de l’État sont visibles et tangibles. Toutes ces choses qui auraient pu être réalisées si le gouvernement n’avait pas commencé par confisquer l’argent du peuple restent au contraire invisibles. C’était la grande leçon de Bastiat entre « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ».

*Entretien publié le 17 juin 2013 sur 24hGold, à l’occasion du séminaire animé par Frank Karsten, de l’Institut Ludwig von Mises néerlandais, le 28 juin de la même année à Paris.

PartagerPartagerPartagerImprimerCommentaires

Damien Theillier est président de l'Institut Coppet et professeur de philosophie à Paris.

   
 

Du même auteur


Jean-François Revel ou la démocratie libérale à l'épreuve du XXe siècle
(no 323 - 15 juin 2014)

Helvétius, Henri de Saint-Simon et Joseph de Maistre: trois grands ennemis de la liberté
(no 322 - 15 mai 2014)

Les origines intellectuelles de l'antisémitisme, selon Ludwig von Mises
(no 321 - 15 avril 2014)

Le libertarianisme est-il une philosophie éthique ou politique?
(no 320 - 15 mars 2014)

Qu'est-ce que l'individualisme?
(no 319 - 15 février 2014)

Plus...

   
 
Ama-gi

Première représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie, environ 2300 av. J.-C.

   


Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de marché et de la coopération volontaire depuis 1998.

   
 

Présent numéro | Autres articles par Damien Theillier | Commentaires? Questions? | Index no 324 | Le QL sur Facebook
Archives | Faites une recherche | Newsletter | Qu'est-ce que le libertarianisme? | Qui sommes-nous? | Politique de reproduction