15 novembre 2015 • No 336 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
OPINION
Le premier ministre, spécialiste de l'art dramatique
par Gabriel Lacoste


Le 19 octobre dernier, les Canadiens ont élu un nouveau premier ministre: Justin Trudeau. Il est jeune. Il sourit devant les caméras. Il salut les gens dans le métro. Il est souvent accompagné de sa femme et de ses enfants, formant une famille modèle. Manifestement, il y a des gens qui votent pour ça. Ils ne comprennent rien à l’effet multiplicateur que les nouvelles dépenses des libéraux en « infrastructures » sont censées engendrer. Ces électeurs ne s’inquiètent pas des déficits majeurs prévus. Ce qu’ils veulent, c’est l’image d’un chef rassurant et attendrissant à la télé.

Ce fait en choque plusieurs. Ignorants de la théorie des choix publics, ces penseurs nous sermonnent sur l’importance de réfléchir avant de faire un « choix de société ». Ils blâment la société de consommation, la technologie, Facebook, la perte de repères identitaires, la culture de l’enfant-roi et autres boucs émissaires de vieux radoteurs, pour cette attitude face à la politique. Dans leur temps, ils étaient de meilleurs citoyens. Ils bâtissaient l’État-nation. Ce qui trouble ces critiques? Le premier ministre du Canada est un ancien professeur d’art dramatique qui n’a aucune expérience de gestion.

Toutes ces remarques ne sont pas pertinentes. Le vrai problème, c’est la naïveté de nos commentateurs, dont la science n’est guère plus avancée que celle d’un analyste de sport à RDS. Ces bien-pensants voudraient nous voir évaluer rigoureusement des programmes électoraux avant d’élire un chef. Ils espèrent de lui qu’il dirige avec clairvoyance notre destin, qu’il soit brillant comme administrateur.

Foutaise! Justin Trudeau a été professeur d’art dramatique? Il a le profil de l’emploi! La politique, c’est du théâtre. Les programmes, les directives, l’allocation des ressources sont pensées par des hauts fonctionnaires dans des comités. Les députés, les ministres et le premier ministre n’existent que pour donner à ce processus l’allure d’une décision publique. Ils jouent le rôle de donneurs de direction. Ils acceptent ou refusent certains rôles, puis demandent à leurs experts de leur concocter des plans pour mieux paraître. Notre nouveau premier ministre est la personne parfaite pour occuper ce poste.

La meilleure analogie serait la salle des commandes d’un vaisseau de Star Trek. Nous y voyons des machines savantes faire du bruit devant des gens qui formulent des phrases compliquées. Au centre, il y a un capitaine qui prend un air inspiré en donnant des ordres invraisemblables. Tout fonctionne comme par magie. La vérité, c’est que cela se passe sur un plateau de tournage.

Papineau, Duplessis, Lesage, Lévesque, Bouchard, Trudeau, Chrétien, Charest, Parizeau et compagnie sont tous d’excellents dramaturges et n’ont jamais vraiment été des administrateurs. D’autres faisaient ce travail pour eux.
 

   

« Pensez-vous qu’un être humain, qu’un conseil de vieux sages ou qu’une assemblée possède la faculté de mouvoir intelligemment une société? Sérieusement? Pensez-y deux minutes. »

   


Cette affirmation n’est pas une théorie de la conspiration. Personne n’est conscient de cette tragi-comédie, eux les premiers. C’est une question de gros bon sens. Pensez-vous qu’un être humain, qu’un conseil de vieux sages ou qu’une assemblée possède la faculté de mouvoir intelligemment une société? Sérieusement? Pensez-y deux minutes. Non. Pour le faire, elles doivent avoir des pouvoirs surnaturels comme lire une boule de cristal, sonder télépathiquement nos esprits et sentir nos cœurs à la manière d’un chevalier Jedi. Ce ne sont pas des coïncidences entre des séries de chiffres fournies par Statistique Canada qui vont les informer de nos besoins, ainsi que de la chaîne d’actions et de réactions requises pour y répondre (pensez aux théories de Mises et de Hayek sur l’impossibilité du calcul économique dans un cadre socialiste).

Le mieux que ces gens puissent faire, c’est d’entendre les propositions qui viennent des fonctionnaires de l’État et des groupes d’intérêt, puis leur dire oui ou non. Leur compétence consiste à justifier (théâtraliser) ce choix devant un public et non à en évaluer l’utilité. Quel impact ces décisions ont sur le reste des gens? Ils ne le savent pas.

Et les électeurs n’ont pas les aptitudes pour évaluer ce processus. Ce n’est pas un accident lié à un manque de vertu civique. C’est une caractéristique essentielle de l’entendement humain: il est limité. Ce que le citoyen veut (élite incluse), fondamentalement, c’est un théâtre d’illusions. Il y aura des méchants (les riches) qui garderont une princesse (la classe moyenne) captive, et un preux chevalier (Justin Trudeau) viendra la délivrer. La jeunesse, la bonhommie et l’image d’un père attendrissant de celui qui joue ce rôle inspirent confiance.

Cette vérité montre comment notre compréhension de la société est fondée sur des superstitions. La réalité est brutale. L’État n’est pas une confrérie solidaire, mais un monopole fondé sur la violence. Il se finance en nous prenant de l’argent de force, puis nous interdit de rivaliser avec ses protégés. Il se maintient en vie en nourrissant les groupes aptes à lui fournir une aura de légitimité au frais de la majorité. Nous élisons des acteurs qui nous font croire que tout cela est sous notre contrôle. Justin Trudeau a bel et bien le profil de l’emploi, mais nous sommes simplement naïfs quant à la véritable nature de son travail.

Cette manière d’organiser la société n’est pas inévitable. Nous n’avons pas besoin de mettre en commun nos ressources et nos décisions pour nous soigner, pour envoyer nos enfants à l’école, pour construire des routes et pour protéger nos droits. Il y a des tas d’organisations qui ont la capacité de le faire. Elles sont certifiées fiables si elles ont surmonté avec succès l’épreuve d’un marché relativement libre. Elles ont le nom « d’entreprises privées ». Si nous payions moins de taxes, nous aurions alors le pouvoir de choisir nous-mêmes lesquelles nous offriraient ces services. Nous pourrions nous concentrer à étudier seulement les décisions qui nous concernent. Nous en connaîtrions les prix. Nous aurions davantage d’influence. De plus, la concurrence entre ces entreprises nous donnerait une meilleure idée de ce qui fonctionne ou non.

Ce système alternatif n’est peut-être pas parfait, mais il l’est pas mal plus que l’actuel qui consiste à nous raconter des histoires fabuleuses sur le pouvoir en votant pour un professeur d’art dramatique habile à se montrer en public. Ce gars-là est un charlatan capable de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Plus précisément, il nous fait croire que des milliards de dollars de dépenses dans des infrastructures sont des investissements. En réalité, c’est un moyen de financer l’industrie de la construction sans la soumettre aux préférences des consommateurs.

Canadiens, réveillez-vous!

PartagerPartagerPartagerImprimerCommentaires

Gabriel Lacoste travaille dans le secteur des services sociaux et a complété une maîtrise en philosophie à l'UQAM.

   
 

Du même auteur


Faut-il imposer davantage les riches?
(no 335 – 15 octobre 2015)

Bien-pensants contre Royalmount: la phobie des grands espaces commerciaux
(no 333 – 15 juin 2015)

Fête des Patriotes: l'art de confondre des fouteurs de trouble avec des héros
(no 332 – 15 mai 2015)

La confusion des autorités face à la jeunesse militante
(no 331 – 15 avril 2015)

Les employés du secteur public sont-ils mal payés?
(no 330 – 15 mars 2015)

Plus...

   
 
Ama-gi

Première représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie, environ 2300 av. J.-C.

   


Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de marché et de la coopération volontaire depuis 1998.

   
 

Présent numéro | Autres articles par Gabriel Lacoste | Commentaires? Questions? | Index no 336 | Le QL sur Facebook
Archives | Faites une recherche | Newsletter | Qu'est-ce que le libertarianisme? | Qui sommes-nous? | Politique de reproduction