Montréal, 17 février 2001  /  No 77
 
 
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François Tremblay étudie en programmation à l'UQAM. 
 
OPINION
  
LA PRODUCTION DE MALADES
  
 par François Tremblay
  
 
          De nos jours, on dirait que les systèmes de santé se justifient en se basant sur leur production de personnes malades. 
  
          Nos deux paliers de gouvernements continuent d'injecter de notre argent dans un système à trous. Le trou de la bureaucratie effrénée, le trou des schick-a-schick frauduleux, le trou pour financer des hôpitaux déficitaires. Notre système de santé ressemble à un gruyère mangé par les rats de bureaux.
 
À votre santé! 
 
          En fait, 20% de nos impôts vont au système de santé, et d'ici l'an 2020 ce pourcentage devrait augmenter à 25% (Institut Fraser, 1996). Quel est le résultat de ce gaspillage? Les touristes et même les chiens ont plus de services que nous, à cause du manque d'argent et de ressources. Le rationnement par le temps d'attente est devenu tellement répandu qu'un patient moyen attend cinq semaines pour passer d'un médecin généraliste à un spécialiste. Et pourtant, malgré les patients qui attendent dans les corridors, environ un lit sur cinq est inoccupé, gracieuseté de notre belle bureaucratie (Société du Mont Pèlerin, 1999). Les hôpitaux américains, évidemment, se paient la traite, grâce à leur plus grande liberté de soins médicaux, et en profitent pour prendre une part du marché canadien. 
  
          Selon l'OCDE, l'espérance de vie sans handicaps des femmes a diminué de 66.1 ans (en 1978) à 63.8 ans (en 1991). Parmi les pays de l'OCDE, le Canada est classé 5ième en terme d'argent public dépensé en soins de santé, mais se classe 19ième en approvisionnement de machines de résonance magnétique et 21ième en scanners CT. Le récent rapport annuel de l'Institut Fraser démontre que les temps d'attente ont grimpé de 51% depuis 1993, avec un temps médian de 14 semaines. 
  
          La situation du Québec n'est pas plus reluisante que dans le reste du pays. Le Québec se situe dans la moyenne pour les files d'attente, mais l'Ontario, traditionnellement plus libre, est plus efficace que le modèle québécois dans virtuellement tous les types de traitements, avec des files d'attente même trois fois moins longues en ophtalmologie (Institut Fraser, 1999). 
  
          Au Québec, combien de personnes meurent sur les listes d'attente, et combien de personnes meurent chaque année des délais dans l'acceptation de nouveaux médicaments? Bonne chance pour essayer de le savoir, le gouvernement garde ses études pour lui. En feriez-vous autrement si vous étiez un meurtrier en série bureaucratique? 
  
          Et pourtant nous entendons la même rengaine partout en Amérique du Nord. Quelle est la « solution » au problème de soins de santé? Plus d'étatisme et plus d'impôts. 
  
Planification ratée 
  
          Force est d'admettre que les résultats concrets de notre mentalité de sociaux-démocrates sont évidents. La soi-disant planification de nos rats de bureaux est un échec. Comparativement aux États-Unis, qui dans le domaine de la santé ont un système mixte (et assez minable, dans l'absolu), le Canada et le Québec se révèlent moins efficaces, offrent moins de traitements et une qualité inférieure de soins.  
  
          Le gouvernement ne se révèle pas capable d'autant de dynamisme qu'un libre marché, ce qui n'est pas une surprise pour les libertariens. Comme l'expliquait l'excellent article de Martin Masse (voir LA SANTÉ POLITIQUE DE NOS GOUVERNANTS, le QL, no 58), seul un système basé sur les vraies valeurs de marché et une véritable démocratie de choix donne des résultats optimaux, parce qu'il est basé sur la volonté des individus et non sur une planification centrale arbitraire. Les profits ou les pertes d'une firme reflètent la demande des gens pour son produit. Une compagnie qui opère en déficit est un signe que les ressources qu'elle prend seraient mieux allouées ailleurs, ou d'une autre manière. 
  
          Les hôpitaux aujourd'hui n'ont aucune indication de leur valeur réelle, car ils ont la main dans notre poche – leur valeur se mesure en valeur politique et non en valeur sociale. Pour un politicien, contrairement à un administrateur, la valeur d'un hôpital, qu'il soit efficace ou pas, qu'il donne de bons services ou pas, est sa valeur en votes, et en futures taxes. 
  
  
     « Pendant que nos bons fonctionnaires s'indignent d'une hypothétique "santé à deux vitesses", ils vont se faire soigner aux États-Unis, et nos docteurs les plus compétents les suivent. » 
 
  
          Malgré la compréhensible réticence philosophique des défenseurs du capitalisme à parler d'« allocation des ressources », il reste toujours vrai que, dans la pratique, seul un système capitaliste permet une allocation optimale des ressources disponibles. Un administrateur d'hôpital est beaucoup plus à même de comprendre les besoins de son marché et territoire qu'un fonctionnaire public qui non seulement a peu de raisons de s'adapter à son marché, mais est trop déconnecté de la réalité quotidienne que vivent les docteurs et administrateurs, ainsi que de la demande. L'ex-URSS a rendu la notion même d'administration centrale risible, mais il semblerait que certaines personnes n'ont pas encore compris le message (Hello, Madame Marois?). 
  
Constat d'échec 
  
          Dans la pratique, le constat politique qu'il faut écrire sur le problème de la santé est un constat d'échec. Le gouvernement Bush poursuit une réforme du système de santé américain qui augmentera encore plus le rôle de l'État, avec un programme d'assurance-médicaments et une augmentation des fonds publics gaspillés dans le système. Déjà, le gouvernement américain paie plus de la moitié de tous les frais médicaux (National Center for Public Policy Research).  
  
          De même, nos deux paliers de gouvernement crient d'effroi à l'idée même d'impliquer le secteur privé dans l'éducation. « On ne veut pas de système à deux vitesses! » de s'exclamer les pundits socialistes (ça fait des beaux sound bytes pour les médias). Je dis qu'il est trop tard pour ça: on a maintenant un système à zéro vitesse. Encore une fois, le désir de tout niveler par le bas entraîne la conséquence évidente de tout écraser par terre. 
  
          Pendant que nos bons fonctionnaires s'indignent d'une hypothétique « santé à deux vitesses », ils vont se faire soigner aux États-Unis, et nos docteurs les plus compétents les suivent. Comme le rapportait le Québécois Libre en décembre, notre système fonctionne tellement bien qu'on envoie de plus en plus de cancéreux se faire traiter aux États-Unis. Neuf fois plus de docteurs canadiens émigrent aux États-Unis qu'il en arrive (Canadian Medical Association, 1999). Les gens qui sont les plus proches du milieu s'aperçoivent vite qu'ils pourraient faire beaucoup mieux. Comme dans tout pays répressif, ce qui est bon – ou supposé être bon – pour pitou, devient rapidement insuffisant pour minou. 
  
          D'où vient cette dichotomie? Personne ne se fait d'illusion sur l'état de notre système de santé en pratique. Cependant, il semble que les idées étatistes et les vieilles étiquettes de « droite » et de « gauche » soient encore puissantes dans nos sociétés nord-américaines. La clameur de la population pour un système de santé socialisé reflète bien la dichotomie entre ce qu'on perçoit comme étant « théorie » et « pratique » (illustrant de façon éclatante la résultat de la dichotomie kantienne entre le « synthétique » et l'« analytique »).  
  
          En réalité, la théorie et la pratique désignent deux aspects de la même chose, mais pour la plupart des gens, les deux sont complètement dissociés. Les belles idées largement répandues qui font appel à l'étatisation et au contrôle n'ont aucune valeur pratique et ne sont pas basées sur des prémisses rigoureuses, mais plutôt sur notre désir de soumission à un État-providence et notre instinct naturel de vouloir contrôler pour résoudre des problèmes. Cependant, ces idées, quelles que soient leurs motivations, ne sont pas vues comme ayant des répercussions dans la vie de tous les jours: elles sont un « idéal » à atteindre (toujours dans la pensée dichotomique), indépendamment du coût en argent ou en vies humaines. Pour l'étatiste, les files d'attente dans les hôpitaux et le nombre de morts qu'il a sur la conscience sont simplement la « preuve » que son idéal n'est pas encore complètement réalisé. 
  
          Une mauvaise compréhension des marchés est aussi à blâmer pour ce triste état de faits. Le problème des HMOs (Health Management Organizations) aux États-Unis relève plus du surplus de règles inutiles, du manque de responsabilité des consommateurs, et de la nature inhérente de toute assurance (où l'utilisateur paie avant le fait). Si l'État se voit obligé de prendre en charge les frais les gens qui ne sont pas prêts à prendre leur responsabilité en tant que consommateurs-payeurs, on ne devrait quand même pas avoir à faire les frais de la paresse humaine. Malheureusement le latin est passé de mode, ce qui explique que nous ayons oublié caveat emptor (l'habitude des monopoles gouvernementaux, je suppose). 
  
          Le rôle de l'État n'est pas de prendre des responsabilités pour ceux qui n'en ressentent pas le besoin. Sans parler de l'abus de pouvoir qui en résulte, le rôle propre du gouvernement est de protéger les droits de tout individu de vendre ou acheter des services médicaux dans un système libre, et non de voler sa propre assurance pour la donner en grignotine à des rats de bureaux. Ainsi nous aurions un système progressif à deux vitesses au lieu d'un système régressif à zéro vitesse. 
  
          Il est entendu que personne n'est contre la vertu, et personne, ne clamerait qu'il faut plus de personnes malades. De dire cependant que les gouvernements peuvent tout régler – ou même régler quoi que ce soit de plus que les personnes directement concernées – relève plus de la pensée magique que de la vertu. 
  
 
 
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