Montréal, 15 novembre 2005 • No 160

 

ÉDITORIAL

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 
 

LA DÉMOCRATIE, C'EST LE SOCIALISME

 

par Martin Masse

 

          Depuis les élections municipales du 6 novembre à travers le Québec, politiciens et commentateurs déplorent le faible taux de participation. À Montréal, 39% seulement des électeurs se sont déplacés, soit 10% de moins qu’il y a quatre ans. Les taux de participation baissent également aux niveaux provincial et fédéral. De moins en moins de gens semblent croire que ça vaut la peine de faire un petit détour pour faire une croix sur un bulletin de vote. On devrait s’en réjouir.

 

          La démocratie est un système collectiviste, qui justifie la mainmise de l’État sur des pans entiers de la vie des individus (santé, éducation, relations de travail, culture, etc.) par le fait que les décisions qui sont prises découlent de la volonté d’une majorité. Mais qu’il s’agisse d’une majorité, d’une minorité ou d’un seul individu, ces décisions restent imposées par l’État et briment la liberté individuelle. C’est tout le contraire du libertarianisme. La liberté, c’est de pouvoir décider pour soi-même, sans se faire rien imposer, tout en respectant la personne et la propriété des autres. C’est aussi de faire des choses ensemble, de collaborer avec tous, mais uniquement sur une base volontaire.

          Ce n’est pas une coïncidence si, maintenant que le communisme et le socialisme ne sont plus vendeurs, les gauchistes ne jurent que par la démocratie. Ils savent très bien que plus on glorifie la démocratie, plus on justifie les décisions collectives et la mainmise de l’État sur des aspects de plus en plus étendus de la vie en société. Devant les déficiences des système de santé, d’éducation, et d’autres domaines bureaucratisés, ne nous dit-on pas constamment: si vous n’êtes pas satisfait et que vous voulez changer les choses, impliquez-vous donc dans le processus démocratique!

          Sauf qu’en « s’impliquant dans le processus démocratique », on joue inévitablement un jeu fondamentalement collectiviste. Y a-t-il une logique à s’associer à d’autres personnes et à débattre ensemble pour décider collectivement des vêtements que nous porterons ou du type de maison dans lesquelles nous vivrons? Pourquoi devrait-il en être autrement pour les soins de santé que nous voulons obtenir, ou les produits culturels que nous voulons consommer? Si on privatisait et déréglementait tous ces secteurs contrôlés par l’État, on n’aurait plus besoin de faire des « débats sociaux » pour décider de leur gestion et des ressources qui y sont allouées. Il s’agirait de services disponibles sur un marché privé, comme d’autre services pour lesquels on prend des décisions individuellement.
 

Faites une croix ici

          La nouvelle façon de promouvoir l’étatisme par la bande, c’est donc de « renforcer le fonctionnement de la démocratie » en réformant par exemple le mode de scrutin. Le mouvement Démocratie nouvelle fait campagne à cette fin depuis plusieurs années, et le gouvernement péquiste avait mis sur pied en 2002 des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques, sous la présidence de l’ex-dirigeant du Mouvement Desjardins Claude Béland. Une commission parlementaire étudie en ce moment le sujet à Québec. L’objectif d’une réforme est de susciter plus d’intérêt de la part des citoyens pour la chose publique et de leur donner l’impression que leur opinion est mieux représentée, d’impliquer plus directement tous les groupes minoritaires et d’accroître bien sûr le taux de participation.
 

« Ce n’est pas une coïncidence si, maintenant que le communisme et le socialisme ne sont plus vendeurs, les gauchistes ne jurent que par la démocratie. Ils savent très bien que plus on glorifie la démocratie, plus on justifie les décisions collectives et la mainmise de l’État sur des aspects de plus en plus étendus de la vie en société. »


          Il y a trois ans (voir « La démocratie contre la liberté »), je citais le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques à l’époque, Jean-Pierre Charbonneau, qui exprimait très bien ce point de vue collectiviste: « L’aventure humaine n’est pas une aventure solitaire. C’est une aventure collective, et la démocratie constitue une façon à la fois exigeante et valorisante de faire participer tous les membres de la collectivité au gouvernement de l’ensemble. »

          C’est cette même logique que met de l’avant depuis des années l’un des principaux militants du « démocratisme » au Québec, le politicologue socialiste Henry Milner. La chroniqueuse Rima Elkouri paraphrasait les conclusions de deux de ses études dans La Presse il y a quelques jours: « La participation électorale [] est l’expression d’une compétence civique essentielle au bon fonctionnement d’une démocratie []. Elle contribue à instaurer des sociétés plus égalitaires. En effet, alors que dans les communautés à faible culture politique, les segments les plus pauvres de la population ont du mal à faire valoir leurs intérêts, on observe exactement le contraire dans les sociétés où les compétences civiques sont fortes, comme en Suède. Plus les gens sont informés, plus leur culture politique est forte, plus ils appuient des politiques progressistes et égalitaires qui contribuent à leur tour à favoriser la participation politique… Ainsi, la roue démocratique tourne vraiment. »

          La logique est on ne peut plus claire: plus on est démocrate, plus on devient socialiste, et plus on est socialiste, plus on veut de démocratie. Le professeur Milner a d’ailleurs une solution pour lutter contre le « décrochage » des électeurs, en plus de l’adoption d’un scrutin à la proportionnelle: des cours d’« éducation civique » pour les jeunes dès l’âge de 15 ou 16 ans, comme cela se fait en Suède. Ils sont tellement plus civilisés que nous en Suède! Si on conscientisait nos jeunes suffisamment tôt à la nécessité de s’impliquer dans le processus démocratique, on pourrait en faire l’équivalent de gentils Suédois sociaux-démocrates, qui voteraient plus tard pour des politiques plus « progressistes et égalitaires ».
 

Un piège à éviter

          Voilà pourquoi il faut se réjouir de cette indifférence grandissante de la population envers la politique. La chose la plus naïve et inutile que pourraient d’ailleurs faire les libertariens, c’est bien de tomber dans ce piège et de travailler eux aussi à renforcer la démocratie en s’impliquant dans le processus politique pour faire avancer leurs idées.

          La logique démocratique mène nécessairement à plus d'État, puisque les politiciens sont incités à accroître leur pouvoir et à acheter des votes en se servant du magot à leur disposition (voir « La politique n’est pas la solution »). C'est la structure même de ce système qui est viciée et la constitution la plus étanche (si on réussissait par miracle à la faire adopter) n’y changerait rien. Les politiciens trouveront toujours un moyen de contourner les chartes des droits si ça fait leur affaire.

          Les États-unis ont une constitution qui prescrit un État minimal où les libertés individuelles sont censées être fortement protégées. Et pourtant, l'État américain n'a pas arrêté de grossir depuis deux siècles, malgré l'influence profonde de la pensée libertarienne dans la vie politique américaine. Il est devenu un empire qui intervient partout, qui torture des prisonniers, un État-providence interventionniste qui gère une bureaucratie et un budget gigantesques.

          Un Parti libertarien qui deviendrait populaire serait tout aussi porté à faire des compromis pour se faire élire ou rester au pouvoir. Pour un libertarien, jouer ce jeu signifie nécessairement contredire ses principes. Ne pas voter ne permettra évidemment pas plus d’avoir des libertariens cohérents au pouvoir. Mais cela correspond tout de même à une stratégie à plus long terme: celle de discréditer la politique. Si la politique n’est pas la solution, alors il faut cesser d’y investir ses énergies. Il faut cesser de croire que le salut viendra par la politique et chercher des solutions ailleurs, (voir « Des raisons d’être optimistes pour l’avenir de la liberté »).

          Ce n’est pas en perdant leur temps à obtenir quelques votes dans une partie perdue d’avance que les libertariens auront une influence, mais plutôt en diffusant leurs idées, en gagnant des esprits. Aussi, et surtout, en développant partout où c’est possible un réseau parallèle d’institutions fondées sur des principes de coopération volontaire, qui feront concurrence aux organisations étatiques fondées sur la coercition. Ce qu’il nous faut, c’est plus d’entrepreneurs libertariens, pas plus de politiciens libertariens.
 

 

SOMMAIRE NO 160QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHEAUTRES ARTICLES DE M. MASSE

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? LE BLOGUE DU QL POLITIQUE DE REPRODUCTION ÉCRIVEZ-NOUS