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					| Le « nous » trompeur: l'imposture démocratique |  
				
					| Notre époque se caractérise par la croyance selon laquelle les décisions 
		collectives doivent être prises par une assemblée politique où toutes 
		les voix sont entendues et débattues. Aux frontières de cet idéal, deux 
		grands dangers nous guettent: la dictature et la jungle des marchés 
		économiques. C'est le rêve démocratique.
 
 Je crois que cette vision déforme radicalement la réalité. Elle est 
		l'étendard que des individus bornés, prétentieux, immatures, démagogues 
		et motivés à vivre aux dépens d'autrui brandissent pour piller, obstruer 
		et commander les gens matures, généreux, travaillants et honnêtes en les 
		dupant. Étendre la démocratie aux quatre coins de la société n'a rien de 
		souhaitable. C'est meilleur que la dictature, mais c'est pire que les 
		échanges économiques librement consentis.
 
 Comment autant de gens de bonne volonté peuvent-ils se tromper avec 
		une telle intensité sans être des imbéciles? Selon moi, l'erreur se 
		produit en usant constamment d'un « nous » déconnectée de la solidarité 
		observable, mais plutôt nourrie par des pièges langagiers et des faits 
		présentés de façon tendancieuse.
 
 Les pièges langagiers
 
 Nos mots pour parler des institutions suggèrent que celles soumises aux 
		principes démocratiques sont sous « notre » contrôle solidaire alors que 
		celles soumises aux échanges économiques sont sous celui d'égoïstes 
		hostiles à la communauté. Ce ne sont pourtant que des trompe-l'oeil 
		contraires aux évidences les plus terre-à-terre.
		Prenons les termes « public » et « privé ».
 
 « Public » est synonyme de « sous notre surveillance » et « privé » de 
		« au-delà de notre surveillance ». Or, qui, parmi nous, voit concrètement 
		ce qui se passe dans les édifices du gouvernement? Les fonctionnaires ne 
		travaillent pas sous le regard d'un million de personnes. Les coûts de 
		leurs opérations sont imperceptibles. Ils n'ont aucun concurrent. Il est 
		donc impossible d'évaluer leur performance en les comparant. Dans un 
		marché, les coûts ainsi que les options nous sont transparentes et des 
		gens se chargent de nous abreuver de reportages effrayants sur ce qui 
		s'y passe. Ce sont les institutions démocratiques qui mériteraient 
		d'être considérées comme des lieux secrets et les marchés comme des 
		scènes visibles à nous tous.
 
 Il y a aussi cette distinction entre « profits » et « salaires ». « Profit » 
		suggère qu'un revenu est obtenu « à nos dépens », alors qu'un salaire 
		l'est « à notre service ». Les institutions démocratiques versent 
		seulement des salaires, elles sont donc entièrement à notre service. Les 
		marchés versent des profits, ils nous sont donc partiellement hostiles. 
		En réalité, le « salaire » est le profit d'un travail effectué grâce à 
		l'investissement de quelqu'un d'autre. Qui profite de qui ne va pas de 
		soi, car c'est un échange dont les bénéfices peuvent être réciproques. 
		Or, dans une institution démocratique, l'investissement est saisi de 
		force aux contribuables.
 
 
  Si le fonctionnaire se verse un salaire et ne produit rien de demandé en 
		retour ou le fait de façon nonchalante, c'est lui qui « profite » de la 
		situation et viole la réciprocité des échanges. Un bon test pour le 
		déterminer, c'est de vérifier si l’échange a été effectué de façon 
		librement consentie. Dans un marché, c'est ainsi que ça marche. Le 
		fonctionnaire, quant à lui, prétend que son salaire a été consenti au 
		moment de voter, mais il interprète seulement à son avantage un vague 
		signe d’une certaine proportion d'électeurs captifs ayant dû choisir 
		entre deux ou trois offres globales confuses. 
 De plus, seulement une partie de la population l'a fait, souvent piégée 
		par la pensée frauduleuse qu'il ne s'agit que de l'argent des autres. Ce 
		sont donc les institutions démocratiques qui mériteraient d'être 
		qualifiées de repères à profiteurs et les marchés comme des organismes 
		oeuvrant à notre bien collectif. La réponse classique à cet argument, 
		c'est d'affirmer qu'en situation de marché, les plus avantagés 
		exploitent la faiblesse des plus vulnérables. Et vous croyez que les 
		choses sont mieux dans une assemblée politique? Elles sont pires. Les 
		gens vulnérables n'y ont pas de voix et ceux qui parlent à leur place en 
		profitent.
 
 Finalement, analysons ce qui sépare un « serviteur public » d'un 
		« vendeur ». Un restaurateur nous vend un repas, alors qu'un enseignant 
		rend bénéfice à la société en nous offrant un service public. Voilà une 
		belle arnaque. Elle suggère que la société se divise entre gens qui se 
		livrent de façon désintéressée à une cause noble nous concernant, alors 
		que d'autres cherchent à obtenir notre argent en jouant les fins 
		renards. Curieusement, cette ligne sépare les institutions supervisées 
		démocratiquement et les marchés. La distinction est fumeuse. Dans les 
		deux cas, des individus cherchent à faire quelque chose qu'ils croient 
		utiles contre de l'argent. La différence, c'est qu'en oeuvrant sous le 
		couvert de la démocratie, une partie d'entre eux peuvent le faire sans 
		concurrence et sans transiger avec nous individuellement. Nous avons 
		donc plus de pouvoir sur les gens qui oeuvrent sur les marchés et donc 
		ce sont eux qui nous représentent réellement. La courbe de l'offre et de 
		la demande constitue notre voix et ils l'écoutent.
 
 Cette méditation peut nous aider à changer notre regard sur la société. 
		Ce qui nous apparaissait avant comme étant sous « notre » contrôle, les 
		institutions démocratiques, nous apparait désormais comme étant sous 
		l'emprise d'un « eux » hostile. Inversement, ce qui avait l'air d'être 
		sous le contrôle d'un « eux » hostile, les marchés, a maintenant l'air 
		d'être sous notre contrôle.
 
 Les faits tendancieux
 
 Nombreux sont ceux qui ont l'impression de nous voir directement sortir 
		de la jungle des échanges économiques grâce à la démocratie. Les 
		institutions commerciales haussent leurs prix, baissent leurs salaires, 
		congédient, offrent à peine de quoi vivre, négligent la sécurité. Des 
		décisions financières provoquent des crises économiques. Dans les 
		époques ou les lieux où nous nous échangeons sans supervision 
		démocratique, ces maux sont pires. Ces faits sont si nombreux que seul 
		un individu mal intentionné peut douter que la démocratie soit à notre 
		service, contrairement aux marchés libres. Ça se voit. Non?
 
 Justement, non. Ces faits sont présentés de façon tendancieuse. Nous y 
		projetons nos désirs de manière à y trouver ce que nous y cherchons, tel 
		un enfant qui voit des formes dans les nuages.
 
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					| « Certains ont suggéré que la 
					protection de nos droits, la poursuite de nos agresseurs et 
					l'arbitrage de nos conflits pourraient être offerts sous la 
					forme d'un service privé d'assurance. Spontanément, nous y 
					voyons la menace d'un chaos terrible. Pourtant... » |  
				
					| Premièrement, la séquence des événements est mal racontée. Il y a 
		d'abord un mal impersonnel et incontournable: la rareté. Travailler 
		fort pour presque rien n'est pas une invention marchande, mais la 
		condition de départ de la plupart des êtres humains et ce, depuis la 
		nuit des temps.
 
 Ensuite, il y a des gens qui prennent des risque à innover, qui font le 
		sale boulot de surveiller et d'organiser la production des autres ou qui 
		développent des compétences hautement en demande dans le but de nous en 
		vendre le résultat. L'attrait du luxe les pousse à le faire. Certains 
		font des erreurs, mais c'est souvent dû à des capacités limitées et non 
		à une perfidie. Après coup, des gérants d'estrade issus d'un processus 
		politique arrivent en sauveurs, exploitent les préjugés sur le monde des 
		affaires et le marché du travail, taxent ceux qui ont du succès, 
		distribuent des cadeaux avec cet argent, blâment ceux qui se trompent, 
		reprochent aux autres de ne pas en faire assez, puis en récoltent les 
		honneurs. Ils finissent par faire fuir ceux qui pourraient avoir des 
		solutions créatives et par récompenser les échecs en jouant ainsi les 
		matamores, mais personne ne fait le lien avec la misère qui nous 
		entoure.
 
 Deuxièmement, les coûts et bénéfices de l'intervention démocratique sont 
		vagues et idéalisés. Prenons cette idée que le gouvernement « fait payer 
		les gens en fonction de leur revenu et offre à tous ses services de 
		façon égale ». D'abord, il y a plusieurs manières de « faire payer » 
		quelqu'un et certaines sont plus frauduleuses que d'autres. Si les plus 
		aptes à répondre à nos demandes sont dissuadés d'utiliser leur plein 
		potentiel, encouragés à le gaspiller dans des tâches secondaires ou 
		doivent se priver d'un investissement, les plus pauvres en paieront le 
		prix en voyant leurs opportunités réduire, mais sans comprendre le lien.
 
 Ensuite, en quoi le gouvernement « offre des services »? Cela n'est pas un 
		fait, mais un jugement de valeur. S'il adopte des politiques coûteuses 
		pour rallonger le temps d'étude nécessaire pour accéder à un marché du 
		travail qualifié, il me nuit et ne me sers pas. Est-ce que verser toutes 
		sortes de cadeaux à des chômeurs constitue vraiment de « l'aide »? Pas si 
		c'est pour les dissuader de se mettre au service de leur communauté en 
		travaillant. Finalement, sommes-nous vraiment « égaux » devant le 
		gouvernement? Si les marchés offrent plus de services à ceux qui ont de 
		l'argent, les assemblées politiques en offrent plus aux foules 
		tapageuses et bruyantes sans considération pour la « justice ».
 
 Troisièmement, lorsque les institutions politiques et commerciales 
		agissent de concert, la responsabilité des secondes est plus facilement 
		prise en compte. Les services de santé aux États-Unis sont offerts en 
		partie par des hôpitaux « privés », mais le marché des assurances est 
		tellement contrôlé politiquement que les consommateurs en sont captifs. 
		La hausse des prix à la consommation apparaît comme une magouille 
		commerciale alors qu'elle résulte d'une dévaluation de la monnaie 
		organisée par une institution étatique. La pauvreté du tiers-monde est 
		attribuée aux multinationales alors que l'insécurité, l'obstruction et 
		la corruption engendrées par les pouvoirs locaux en sont plus 
		vraisemblablement les causes. Nous avons tendance à dire que le monde 
		des affaires corrompt la démocratie, alors que nous pourrions conclure 
		au contraire que la démocratie pourrit le monde des affaires.
 
 Quatrièmement, notre responsabilité concernant ce qui nous dérange dans 
		les marchés est occultée en désignant les chefs comme boucs émissaires. 
		Si des gens perdent leur emploi ou ont de faibles salaires, c'est parce 
		que nous exerçons une pression sur les institutions commerciales pour 
		qu'elles baissent leur coût et libèrent du même coup des ressources qui 
		pourront être réaffectées ensuite à d'autres besoins. Si des chômeurs 
		acceptent de diminuer leur offre salariale, c'est pour se faire une 
		place plus facilement sur un marché de l'emploi restreint. Le profit des 
		hommes d'affaires est un appât que nous leur tendons pour attirer leurs 
		compétences et leurs investissements. Lorsqu'une assemblée politique 
		vote des lois pour empêcher cela, elle va dans le sens contraire de 
		notre volonté concrète exprimée en situation d'échange.
 
 Si nous avons l'impression que « nous » agissons sur les marchés via la 
		démocratie, c'est parce que nous y projetons nos rêves et non parce que 
		ça se passe vraiment ainsi. Avec un peu d'effort, nous voyons que c'est 
		un groupe de gens hostiles à nous qui se rassemblent dans des 
		associations politiques afin de contrôler ce que nous faisons dans les 
		marchés en invoquant un « nous » frauduleux. Nous gagnerions à exiger le 
		divorce.
 
 Le « nous » observable
 
 Le pronom « nous » est censé désigner une communauté d'individus 
		solidaires. Pour identifier le « nous » auquel j'appartiens réellement, la 
		méthode la plus fiable est de regarder autour de moi sans idées 
		préconçues et d'identifier qui me manifeste des signes d'égard. Il 
		m'apparaît alors clairement que je suis plus chez moi à l'intérieur d'un 
		marché économique que dans une assemblée politique.
 
 Les vendeurs m'informent des prix, cohabitent avec des concurrents, se 
		donnent la peine de me séduire avec des publicités et un service à la 
		clientèle décent. Les responsables des magasins et des usines font tout 
		pour organiser efficacement leur production. Ils ne me forcent pas à 
		travailler pour eux et ne pigent pas dans mon portefeuille. Ils me 
		demandent une contribution monétaire en échange d’un bien ou d’un 
		service, mais cela s'appelle la réciprocité.
 
 Les tribuns dans les assemblées, eux, exigent de moi sous la menace de 
		la force que je dépose une somme dans une caisse que je ne contrôle pas, 
		étouffent ma voix dans des millions d’autres voix qui rendent mon 
		individualité inaudible, stimulent mon ressentiment envers d'autres 
		groupes, cherchent à camoufler leurs intérêts sous le couvert d'une 
		rhétorique abstraite de « volonté générale », font voter des lois pour 
		protéger des groupes cibles, commandent et interdisent toutes sortes de 
		comportements qui n'ont aucun rapport avec le respect d'autrui.
 
 En ce sens, le « nous » réel, celui qui s'observe, est présent dans les 
		marchés et absent des assemblées politiques. L'individualisme le plus 
		crasse se manifeste dans la violence démocratique sous la forme d'un 
		égoïsme de foule mu par des démagogues et camouflé sous des airs de 
		civisme.
 
 Certains ont suggéré que la protection de nos droits, la poursuite de 
		nos agresseurs et l'arbitrage de nos conflits pourraient être offerts 
		sous la forme d'un service privé d'assurance. Spontanément, nous y 
		voyons la menace d'un chaos terrible. Pourtant, si c'est nous qui 
		agissons dans les marchés, ce seraient nous qui protégeraient nos 
		droits via nos choix d'assurances et nous ne choisirions pas celles qui 
		font la guerre, mais celles qui rendent justice; ce qui n'est pas le cas 
		actuellement en démocratie.
 
 Cette idée est loin de ce qui est actuellement réalisable et la prudence 
		à son endroit reste une bonne conseillère, mais elle peut aider à 
		prendre radicalement nos distances avec ce qui constitue le dogme 
		fondateur de notre époque. La démocratie n'est peut-être que l'ombre 
		confuse d'une société libre sur le mur d'une caverne dont nous sommes 
		les prisonniers.
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