15 avril 2015 • No 331 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
Entretien
Entretien avec François-René Rideau sur l'égalitarisme, le socialisme et la démocratie - Quatrième partie
propos recueillis par Grégoire Canlorbe (troisième partie)


François-René Rideau est un informaticien français. Parmi les sites qu'il anime, Bastiat.org est consacré à l'oeuvre de l'économiste libéral Frédéric Bastiat, Le Libéralisme, le vrai contient ses essais, et Cybernéthique est son blog apériodique.

10. On entend souvent dire que la division du travail, au fur et à mesure qu’elle gagne du terrain, implique l’accroissement des inégalités sociales. Les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, au point qu’une nouvelle aristocratie voit le jour: l’aristocratie des capitaines d’industrie, des actionnaires et des banquiers.

Ce point de vue était notamment défendu par Tocqueville. Je lui laisse la parole:

« À mesure que le principe de la division du travail reçoit une application plus complète, l'ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant. L'art fait des progrès, l'artisan rétrograde. D'un autre côté, à mesure qu'il se découvre plus manifestement que les produits d'une industrie sont d'autant plus parfaits et d'autant moins chers que la manufacture est plus vaste et le capital plus grand, des hommes très riches et très éclairés se présentent pour exploiter des industries qui, jusque-là, avaient été livrées à des artisans ignorants ou malaisés. Ainsi donc, dans le même temps que la science industrielle abaisse sans cesse la classe des ouvriers, elle élève celle des maîtres. Qu'est-ce ceci, sinon de l'aristocratie? L’aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir appauvri et abruti les hommes dont elle se sert, les livre en temps de crise à la charité publique pour les nourrir. » (De la Démocratie en Amérique, Tome II, deuxième partie, chapitre 20.)

Que vous inspirent ces propos de Tocqueville?

La première remarque que ces propos m'inspirent est que le culte que certains libéraux font à Tocqueville est tout à fait exagéré. Si Tocqueville avait effectivement le goût de la liberté, et si sa finesse d'esprit lui a permis à la fois de voir et d'exprimer certaines choses que d'autres n'ont pas su voir et dire avant lui, il n'était décidément pas un libéral très conséquent ni très érudit. C'est donc un auteur sympathique et éclairant, mais certes pas une autorité d'aucune sorte ni un modèle à suivre, et surtout pas pour ses théories, qui ne valent pas grand-chose, contrairement à ses observations, qui elles valent beaucoup. Il n'en est donc pas un porte-parole des idées libérales, qu'il n'a d'ailleurs jamais prétendu être. Que d'aucuns ne trouvent pas d'étendard meilleur que lui en dit plus sur la pauvreté d'esprit de ceux-là que rien sur Tocqueville, auteur méritant d'être lu, même si avec une pincée de sel. S'il faut un porte-parole du libéralisme en France à la moitié du XIXème siècle, prenons plutôt Bastiat à la place, homme à la fois de plume et d'action, qui a non seulement une compréhension profonde des principes mais aussi un verbe clair agrémenté d'un brin d'humour.

Quant à la substance du débat, il en reste trois points: d'une part une exhortation à l'égalité, revendication socialiste par excellence, et aussi absurde que tout le socialisme; d'autre part l'affirmation socialiste non moins typique et absurde que la liberté économique aboutirait à rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres; enfin, une dénonciation d'une soi-disant « aristocratie » économique par analogie avec le pouvoir effectivement néfaste de la ci-devant aristocratie politique.

Réglons son compte à l'égalitarisme

J'ai écrit plusieurs articles sur le sujet de l'égalité, ce miroir aux alouettes absurde, corruption de la justice par un émotionnalisme envieux: dans « Universalité et non pas "égalité" », je démonte le faux concept de soi-disant égalité des droits, qui n'est qu'un prétexte pour justifier le pouvoir arbitraire des puissants, et je le remplace par le vrai concept d'universalité du Droit naturel; dans « John Rawls, ou le socialisme diabolique », je démonte les escroqueries intellectuelles du soi-disant plus brillant philosophe égalitariste du XXème siècle, en fait filou soviétoïde tendance NEP, un socialiste cupide; et dans « Socialist Fable » (en anglais), je dénonce son successeur nobélisé le tout aussi totalitaire bon teint Amartya Sen. Il est décidément facile de faire de la propagande socialiste quand on est riche à millions dans une tour d'ivoire.

Sauvons d'abord ce qui peut et doit être sauvé. François Guillaumat a systématisé cette idée de sauver les concepts: identifier ce qui, dans une escroquerie intellectuelle, est l'hameçon de vérité, par lequel les victimes se laissent attraper, et par lequel elles peuvent être rescapées; le bébé à ne pas jeter avec l'eau du bain – ou plutôt, avec l'eau du marais et ses alligators. En effet, si vous n'offrez pas de planche de salut à ceux dont vous dénoncez les idées criminelles, si en acceptant vos explications, ils n'avaient d'autre recours que de s'identifier soi-même à des criminels ou à des idiots, alors, ils ne feront que s'attacher davantage à leurs idées délétères; ils préféreront ignorer vos arguments, se réfugier dans l'identification tribale à leur Nous, supposé camp du bien, et vous rejeter par un anathème dans l'Autre, maudit camp du mal. Si au contraire, vous expliquez quel est ce point de départ positif que vous reconnaissez à l'autre, ce fond honnête sur lequel reposent leurs opinions, et expliquez comment ce fond a été corrompu, travesti, parasité par une idéologie criminelle; si vous accordez à votre interlocuteur le statut de victime honnête plutôt que d'escroc malhonnête; si vous leur permettez de conserver et respecter tout l'engagement émotionnel qu'ils ont eu en l'ancrant dans ce cœur conceptuel valide; si vous leur permettez de rediriger cette énergie positive, du piège mortel où l'a détourné le parasite mental du socialisme vers la vie que leur offre le libéralisme; alors ils pourront, plus facilement, vous écouter, et rentrer dans le droit chemin. François Guillaumat préfixera donc systématiquement du mot pseudo- le concept faussé par le socialisme; et il utilise le mot sans préfixe, ou parfois qualifié de vrai, pour préciser le concept sauvé. On pourrait même parler de pseudo-socialisme, si on voulait prendre la peine de sauver ce qu'il y a à sauver dans le socialisme; mais vu que le mot n'est jamais employé que dans un sens déjà corrompu, dont il n'y a pas grand-chose à sauver, nous laisserons (pour l'instant) cette tâche à d'autres.

Ainsi, derrière le pseudo-concept d'égalité, il y a un cœur de concept valide; je peux même identifier deux concepts valables, tous deux effectivement rattachés à la notion de justice, qui sont confondus et dénaturés dans le pseudo-concept d'égalité. Il y a d'une part le concept d'universalité du droit, et d'autre part le concept d'équité dans la distribution de gains ou de pertes.

Je ne m'attarderai pas longtemps sur le concept généralement accepté quoique rarement bien compris d'universalité du droit. Je l'ai déjà discuté dans mon article « Universalité et non pas "égalité" ». Mais dirai quelques mots sur la façon dont il est dénaturé. L'universalité du droit, c'est le méta-principe selon lequel le droit se fonde sur des principes universels qui s'appliquent en tout temps, en tout lieu et pour toute personnes. En fait, ce n'est rien d'autre que le principe selon lequel la justice se fonde sur la raison et la reconnaissance que les arguments ad hoc sont fallacieux. La justice c'est la paix. Dans une discussion pour déterminer un accommodement qui satisfera les parties en présence (ou du moins qui ralliera derrière lui ceux qui sinon s'allieraient à l'une des parties en conflit) seuls les arguments rationnels sont des outils pacifiques à même de ramener la paix. En dehors de la raison, il ne reste que la force et la tromperie, qui sont la guerre, donc le contraire même de la paix qui est l'objet de la justice.

La soi-disant « égalité en droit » est un faux concept, car le droit consiste précisément à arbitrer des différends entre deux parties différentes qui ne sont par hypothèse jamais égales et surtout pas interchangeables; si les deux parties étaient égales, le sort du procès serait indifférent et on le réglerait plus vite aux dés que devant une cour. Les hommes sont partout différents, mais la raison, et donc le droit, est partout la même – c'est le droit qui est égal à lui-même. L'expression « égalité en droit » est une façon au mieux fort maladroite, et trop souvent délibérément trompeuse, d'invoquer le principe d'universalité du droit, et de le subvertir comme faux prétexte à l'égalitarisme.

L'autre concept dénaturé par les égalitaristes est celui d'équité: dans une négociation, dans l'arbitrage d'un différend, quand il s'agit de distribuer de gains ou autres biens disputés entre plusieurs parties, la solution juste est de les répartir en proportion des titres légitimement revendiqués, mesurés et reconnus de part et d'autre. Or, en l'absence partielle ou totale de tels titres, ou d'autre aulne mutuellement accepté proportionnellement auquel établir les parts, on pourra arbitrairement décréter comme égales les parts du résidu. Cette égalité des parts peut alors se justifier comme point de Schelling sur lequel fonder un équilibre pacifique; et celui qui voudrait sans justification s'écarter de cet équilibre se frotterait à la résistance légitime des autres parties.

Grégoire CanlorbeMais notons bien qu'alors cette égalité des parts n'est pas un principe qui s'impose par-dessus toute autre considération; c'est au contraire une position de repli, un principe par défaut, qui ne se substitue pas aux autres critères de partage, et ne les éclipse pas, mais fournit un ultime moyen de départage en leur absence. Elle ne vaut que quand toutes les autres revendications ont été prises en compte, qu'après avoir épuisé tout autre principe, que dans l'ignorance de facteurs supplémentaires, que dans la présomption d'invalidité des revendications ou accusations qui n'auront pas été établies. C'est pourquoi dans un différend entre un voleur et sa victime, il ne viendrait pas l'idée d'accorder la moitié du butin au voleur, et ne rendre que la moitié à la victime. Entre le propriétaire innocent et le plaintif malveillant qui voudrait utiliser la force publique pour le dépouiller à coup d'accusations frauduleuses, on ne récompense pas systématiquement le calomniateur à chaque fois à hauteur de la moitié des sommes qu'il revendique. Dans la répartition de gains entre associés, il ne viendrait pas l'idée de donner autant à chacun, quand certains ont contribué beaucoup et d'autres presque rien. Dans une transaction commerciale déjà conclue, il ne viendrait pas l'idée de revenir sur le prix mutuellement accepté pour déterminer le profit (ou la perte) que chacun aurait fait dans la transaction et partager ce profit (ou cette perte) en deux.

Dans son œuvre empoisonnée dont j'ai analysé les grandes lignes, le pseudo-libéral Rawls invoque fameusement un « voile d'ignorance » comme un tour de passe-passe pour renverser l'ordre de priorité entre critères de justice: il invite le lecteur à s'imaginer en philosophe-dieu devant choisir la répartition des biens et des jouissances entre membres d'une société, avant de s'y incarner « au hasard », mais avec une distribution de hasard que Rawls focalise autour du sort plus mal loti. Acceptons un instant comme exercice la prémisse contrefactuelle que Rawls ou ses lecteurs aient des pouvoirs divins ou puissent sérieusement se l'imaginer; mettons momentanément de côté le tour proprement diabolique (que j'ai examiné ailleurs) par lequel tous sont projetés sur le cas le pire, permettant au diable de gagner à tous les coups plutôt que de ne jouer qu'une seule fois. Oublions l'arbitraire total par lequel l'intellectuel aux bottes du pouvoir définit à son gré qui fera ou ne fera pas partie de l'ensemble des plus mal lotis, et quelles interventions justifier en leur nom. Il reste encore l'escroquerie intellectuelle de vouloir forcer un choix dans des décisions de justice dans l'ignorance volontaire de toutes les circonstances particulières qui sont censées informer la décision! Pour autant que le philosophe-dieu dusse choisir à l'avance d'une règle de décision, la solution évidente est que cette règle consistera à examiner les faits particuliers disponibles au moment du choix final plutôt que d'en faire abstraction. (Un informaticien dira que la décision sera calculée dynamiquement au moment de l'exécution, plutôt que d'être une constante décidée statiquement au moment de la compilation. Un logicien prendra soin de ne pas inverser l'ordre de quanteurs existentiels et universels du moins sans remplacer les symboles existentiels par des fonctions de Skolemisation.)

S'il fallait prendre l'argument général de Rawls au sérieux – que le premier philosophe venu peut décider arbitrairement quelle information est ou n'est pas utilisable par un juge dans une décision d'importance vitale –, on pourrait tout autant exiger d'un docteur qu'ils recommande un traitement sans rien savoir du patient, ou d'un guide qu'il choisisse le chemin à prendre sans savoir ni où il est ni où il va. Et en choisissant d'avance de façon toute aussi arbitraire quelle autre information un philosophe-dieu pourrait ou ne pourrait pas utiliser pour prendre des décisions, on pourrait éliminer toute information cruciale que l'on voudra; mais notons que cela ne pourra jamais favoriser que les coupables et imméritants au détriment des innocents et des méritants. Rawls veut rendre interchangeable le coupable et l'innocent, l'agresseur et la victime, le travailleur et le paresseux, le chercheur (ou chasseur) qui trouve et celui qui rentre bredouille, etc. Derrière les tours de prestidigitation intellectuelle, tout cela n'est en fin de compte qu'un prétexte pour subvertir les principes de toute justice, et draper l'injustice du nom de justice. Ayn Rand écrit « il n'y a rien de si injuste que de donner ce qui n'est pas mérité » – c'est d'ailleurs la définition même de l'injustice.

J'ajouterai que le pseudo-concept d'égalité est typique de la pré-pensée statique: échec à se projeter dans le temps, ce pseudo-concept d'égalité est en fait d'une iniquité grotesque quand on examine ses effets intergénérationnels. Considérer à chaque instant que tous les humains vivants sont égaux, malgré la diversité flagrante de leurs comportements et de leurs résultats, c'est donner un poids disproportionné aux familles de ceux qui se reproduisent de façon irresponsable et que d'autres devront nourrir, aux dépens de ceux qui travaillent et ne se reproduisent qu'ayant assuré l'avenir de leur progéniture. Sans que les prudents aient rien fait pour démériter, et sans que les imprudents et impudents aient rien fait pour rien mériter, voilà que les plus responsables se retrouvent à devoir travailler à jamais pour les plus irresponsables. Outre l'injustice flagrante, on voit aussi l'effet dysgénique délétère d'une telle politique qui, de génération en génération, favorise chaque fois les plus irresponsables. En termes techniques, le socialisme promeut la r-stratégie de ceux qui se reproduisent le plus vite possible comme des lapins, qui plus est aux frais d'autrui comme des coucous, et pénalise la K-stratégie de ceux qui visent pour leur progéniture et pour l'humanité la qualité plutôt que la quantité. Ainsi, là où règne le socialisme, les producteurs effectifs se retrouvent proprement cocus, au profit d'une nouvelle caste de parasites.

Notons que même en niant l'évidence que tous ne sont pas aussi productifs que les autres, ou la justice de ne pas leur voler les fruits de leur travail, il reste que ceux qui sont plus frugaux ou plus prévoyants, qui consomment moins aujourd'hui, se voient dénier le droit de consommer plus tard les fruits de leur travail, que d'autres consomment aujourd'hui et font des enfants pour consommer demain. Dans la logique socialiste, les frugaux forfont leurs droits à consommer au nom de les empêcher de posséder individuellement quel capital que ce soit. Or, bien sûr, il faut un aveuglement volontaire singulier pour ignorer que tous ne sont pas aussi productifs. Ceux qui ont individuellement ou collectivement inventé, construit et utilisé des machines ou des techniques d'organisation qui permettent à un homme seul ou un groupe d'hommes de faire ce que des centaines de fois plus d'hommes faisaient auparavant (ou étaient incapables de faire) sont évidemment des centaines de fois plus productifs que ceux qui, par paresse, abrutissement, manque de vision, ou à cause de l'oppression qui leur est imposée, n'ont pas su ou pas pu créer ces machines, et continuent d'œuvrer à l'ancienne. Les créateurs de ces outils manuels mêmes sont plus productifs que ceux utilisant des outils plus primitifs voire pas d'outil. Les machines, les techniques d'organisation, sont un capital, qui a dû être créé par des individus plus prévoyants et meilleurs dans leurs prédictions que ceux qui ont failli à les créer, voire ont consommé tout ce qu'ils possédaient; et le travail sauvé par ce capital est libéré pour être mieux employé ailleurs, enrichissant ainsi l'humanité. Mais les socialistes veulent dépouiller les créateurs et les prévoyants de tout capital, par haine de tout capital individuel, par rage de tout collectiviser.

Les socialistes veulent ignorer que leur monopolisation « nationale » du capital (tout socialiste est un socialiste national) non seulement détruira l'incitation à innover de façon productive (tandis qu'elle créera une incitation à l'innovation dans le parasitisme) mais aussi détruira les moyens de comparer les diverses innovations pour déterminer objectivement lesquelles sont bonnes (il n'y en aura dans les activités officielles au plus qu'une innovation, celle imposée par l'état, et elle sera le fruit de l'arbitraire subjectif des puissants). Même au niveau « collectif », les socialistes internationaux voudront punir ces nations qui sont les plus productives et innovantes pour les sacrifier à celles qui se vautrent dans des comportements improductifs, dans l'arriération, la superstition, et surtout dans la tyrannie – en un mot, dans la barbarie. Ils auront aussi la haine des entreprises multinationales qui apportent leurs capitaux matériels et leurs comportements productifs aux pays pauvres, au nom de la préservation des techniques productives arriérées de ces pays ou au nom d'interdire à tout autre qu'à l'état (d'ordures) corrompu de ces pays l'initiative d'améliorer quoi que ce soit dans les méthodes de production. Les socialistes sacrifient donc tout progrès matériel et moral à leur culte religieux de l'égalité – culte que le fondateur du socialisme moderne, Pierre Leroux, revendiquait d'ailleurs ouvertement et fièrement.
 

   

« Selon un mensonge sans cesse répété, la liberté rendrait les riches toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Apparemment, le matraquage intellectuel marche, puisque cette affirmation fait figure de poncif jamais mis en cause, alors même que la moindre examination honnête suffit à en déterminer l'absurdité. »

   


Le socialisme mène donc directement à la fois au sacrifice inique des plus travailleurs, des plus productifs, des plus responsables, des plus moraux, des plus frugaux, mais aussi à la promotion d'une idiocratie, peuplée de dépravés, de parasites, d'irresponsables, des plus vicieux, des plus dépensiers – jusqu'à ce que la société ou la planète s'écroule du fait de sa déchéance morale, les successeurs dégénérés étant incapables de faire fonctionner les institutions de la société que leur a légué leurs aînés. Or, pour reprendre le mot de Margaret Thatcher, « le problème avec le socialisme c'est qu'il vient inévitablement à bout d'argent des autres »; ne pouvant alors continuer leur parasitisme effréné, les parasites socialistes bientôt s'entre-déchirent violemment pour se partager les lambeaux de la civilisation léguée par leurs meilleurs qu'ils contribuent chaque jour à détruire.

Bien sûr, les socialistes nieront que la théorie de l'évolution s'applique à l'espèce humaine. L'évolution selon eux ce serait magiquement arrêtée il y a quelques milliers d'années, simultanément sur toute la planète, pour la seule espèce humaine, du moins pour tout ce qui influence la cognition, le sens moral et la valeur personnelle. Ils nieront d'ailleurs cette évolution pour tout caractère héritable, qu'il soit d'origine génétique, ou reproduit et transmis après la naissance, ou une combinaison des deux: tout capital humain est pour eux une injure à l'Égalité, leur idole assoiffée de sang. Ainsi d'aucuns comme Bourdieu dénonceront-ils comme un scandale la « reproduction des élites », le fait qu'une famille puisse léguer d'une génération, la soif du travail et des études, la connaissance de matières étudiées ou les ficelles de divers métiers, la discipline sur soi-même ou les bonnes habitudes commerciales, un carnet d'adresses renseignant sur quelles sont les bonnes personnes fiables, ou le capital confiance que ces personnes auront envers vous, etc. Leur haine de possession personnelle de capital s'étend donc non seulement au capital matériel, mais aussi à tout capital humain.

Les socialistes nieront donc contre toute évidence la moindre différence existant entre êtres humains et, s'ils sont obligés de la reconnaître, la dénonceront comme un scandale qu'il faut abolir par la force suprême de l'état. Leur hypothèse aussi bien que leur idéal est que les humains sont ou doivent être des unités interchangeables, dénuées de valeur morale individuelle, simples machines à obéir et à jouir; et ils sont toujours prompts à sacrifier la jouissance à l'obéissance, l'individu devant s'effacer devant un collectif sans cesse glorifié, qui n'est que la marionnette à travers laquelle s'expriment les désirs des puissants auxquels les socialistes s'identifient à raison ou à tort (selon qu'ils soient caves ou Affranchis). Les socialistes sont incapables de supporter le poids de la morale individuelle qui s'étend à toute action humaine; ils veulent diviser cette action entre des actes de « production » et de « consommation » qui, pour eux, sont ou doivent être matériels et mécaniques, sans décision aucune, sans implication morale ni conséquence morale, et sans relation les premiers aux seconds. Au contraire, pour un libéral, la charge morale n'est que l'autre face inséparable de la liberté, et les choix individuels que chacun fait dans cette liberté sont la vie même; « production » et « consommation » ne sont pas des activités séparées ni séparables, mais participent de la même action humaine, se disputent les mêmes ressources à commencer par le temps de vie humain, partagent les mêmes satisfactions à commencer par le sens que l'homme donne à sa vie, et sont nécessairement liées les unes aux autres.

Les socialistes endurcis, s'ils n'arrivent plus à nier l'existence du dysgénisme inhérent à leur système, opteront pour toujours davantage de totalitarisme comme « solution » aux problèmes posés par leurs interventions oppressives précédentes; en l'occurrence, ils proposeront d'établir un totalitarisme reproductif (comme ils en ont établi un en Chine depuis les années 1970): non seulement leur état devra rationner strictement toutes les consommations pour donner ou bien strictement « les mêmes » à tous (malgré leurs besoins différents), ou des paquets strictement « égaux » selon quelques critères mystérieux (les membres du parti restant bien sûr « plus égaux que les autres »); mais encore leur état devra aussi décider qui aura combien d'enfants. Si on les laisse imposer sérieusement l'égalitarisme intergénérationnel, ils décideront aussi qui aura ces enfants avec qui et à quel âge; les bureaucrates devront décider quels gènes devront être transmis et quels gènes éteints. Ce totalitarisme se fera ou bien au nom de l'eugénisme (qui a mauvaise presse ces temps-ci, après la défaite du socialisme raciste allemand), ou bien au nom de la préservation d'un statu quo supposé magiquement optimal, à préserver à jamais, en tout cas au nom d'une « égalité » mystique et d'un « progrès » non moins mythique vers un « avenir radieux ».

Enfin, les socialistes les plus fanatiques présenteront ouvertement l'irresponsabilité comme un idéal à revendiquer, dans leur renversement habituel de toute valeur morale; ils nieront l'existence même de ressources économiques limitées, ce qui ne les empêchera pas de prétendre simultanément que les ressources de la nature sont taboues et qu'il faut en prohiber l'usage par l'homme; certains se diront même fiers d'êtres des parasites et mépriseront ouvertement tout travail productif, tout en exigeant du reste de la société qu'elle continue d'alimenter leur train de vie. Si des socialistes osent jamais reconnaître des différences entre individus quant aux valeurs morales et à la valeur morale, ce sera tantôt pour se prétendre eux-mêmes dignes de régner car supérieurs, tantôt comme une injustice qu'il faut extirper par la force, en faisant rentrer tous les hommes dans un carcan qui gommera toute individualité entre eux en toute matière morale.

Alors, les socialistes vont-ils réglementer la reproduction pour figer les gênes dans leur répartition actuelle? Devront-ils cloner ceux qui seraient morts prématurément pour préserver l'équilibre sacré du statu quo? Vont-ils instaurer un contrôle totalitaire des naissances, de qui épouse qui et se reproduit quand, pour « égaliser » de force le « taux de fécondité » entre tous les individus et/ou tous les gènes? Notons que le fameux taux de fécondité, dont les statisticiens étatistes raffolent, est une statistique imbécile qui ne renseigne aucunement sur l'évolution de la population; en effet, la croissance de la population dépend tout aussi crucialement de la vitesse de reproduction: comparez donc la croissance de la population à un même taux de fécondité de trois enfants par femme, dans un cas où elles se reproduisent en moyenne tous les trente ans ou dans celui où elles se reproduisent en moyenne tous les vingt ans. Entre les membres productifs de la société qui ne se reproduisent pas, et les parasites professionnels qui font des dizaines d'enfants, le dysgénisme socialiste programmé dans les pays occidentaux les transformeront bientôt en Idiocratie. Notons que contrairement à ce que croient certains socialistes « nationaux » dans leur conception tribale, ce parasitisme n'est pas un problème d'immigration en soi: l'immigration ne fait qu'amplifier le phénomène dysgénique inhérent au socialisme; les migrants étant tous à la marge et particulièrement sensibles aux incitations seront en moyenne plus parasites que les locaux dans un pays socialiste; dans un pays libéral, au contraire, ils tendront à être plus productifs en moyenne que les locaux. Chaque pays a l'immigration qu'il mérite. « Lutter contre l'immigration » ne fera donc que laisser les coudées franches au socialisme pour qu'il continue à détruire le pays, peut-être plus lentement, cependant que seul « guérir du socialisme » pourra non seulement arrêter la ruine, mais aussi l'inverser, auquel cas l'immigration devient un atout.

D'un point de vue de la dynamique multigénérationnelle, l'égalitarisme est donc un concept absurde, qui n'est prétexte qu'au génocide statistique des populations et gènes portant la civilisation, et leur remplacement en quelques générations par des populations et gènes portant la barbarie. Notons qu'un « génocide statistique », en tant que tel, n'est pas un mal que l'on peut reprocher au socialisme: le remplacement de populations relativement inadaptées par des populations plus adaptées est l'essence même de tout phénomène d'évolution par sélection, tel que mis en évidence par Darwin. La sélection existe de toute façon, c'est un fait de la nature que rien ne changera. Non, le reproche à faire au socialisme n'est pas l'existence de la sélection, mais l'effet proprement diabolique du socialisme sur le critère de sélection: c'est le jeu à somme négative généralisé qui gangrène toute la société, la polarisation de toute interaction sociale en terme de « lutte », la guerre de tous contre tous, la violence permanente et universelle, la récompense aux comportements proprement antisociaux, la négation systématique du seul principe à même d'arrêter les conflits, le droit de propriété. Les conséquences statistiques à long terme ne sont qu'une façon d'appréhender clairement le mal déversé sur le monde, en terme de ses conséquences nécessaires prévisibles à grande échelle. Le socialisme n'empêche pas magiquement la sélection darwinienne, mais ne fait que l'orienter vers la sélection d'une population de parasites éhontés et d'esclaves sans espoir, de brutes dénuées d'âme et de pleutres sans initiative, de petits chefs mesquins et de moutons tantôt obéissants tantôt tricheurs, d'inquisiteurs démoniaques de la pensée unique et de menteurs hypocrites de la double-pensée, de pseudo-idéalistes insouciants des conséquences de leurs idées et de calculateurs sans scrupules incapables de compassion. La vision d'un monde sans pitié que les socialistes projettent sur le capitalisme, n'est en fait que la noirceur du monde intérieur de ces socialistes – et cette noirceur, ils la réalisent et la propagent partout autour d'eux dès qu'ils ont la moindre once de pouvoir.

Une fois que l'on a pris conscience de la monstruosité au cœur du socialisme, on se rend compte que l'oppression voire l'extermination pure et simple des opposants par les très nombreux socialistes qui sont arrivés au pouvoir n'est pas une aberration contre-nature, mais le prolongement naturel de cette philosophie. Les socialistes pressés de trouver des résultats plus rapides que via un génocide seulement « statistique » par déni systématique de reproduction, en arrivent au génocide violent. L'extermination a ainsi été prônée aussi bien par Marx pour les juifs, par Engels pour les slaves, ou par George Bernard Shaw (avec un gaz « humanitaire ») pour tous les « impropres » aux socialisme, etc. Quand ces exterminations sont effectivement réalisées par les terroristes jacobins, par leurs émules Lénine, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot, et autres grands chefs socialistes, ce n'est pas une trahison du socialisme, mais sa forme la plus pure et la plus directe – du premier jour où ils ont eu le pouvoir. Les socialistes conséquents vouent une haine tenace à la civilisation et à ses vertus pacifiques qu'ils accusent d'être « bourgeoises », voire « racistes » ou « patriarchiques » ou des symptômes d'un privilège. Il veulent sans cesse les éradiquer et créer par la terreur et par la propagande un « homme nouveau », un homo sovieticus, plus « pur », dénué de tout individualisme ou toute individualité, et qui sera ainsi adapté à leurs utopies collectivistes. Mais c'est la nature humaine même qu'ils veulent extirper et, en fait, ils ne peuvent pas l'éliminer, seulement la corrompre; le socialisme n'est pas fait pour l'homme réel, ni d'ailleurs pour aucun homme digne de ce nom.

Fort heureusement, la plupart des socialistes ne sont pas conséquents et n'osent pas aller jusqu'à cette conclusion logique du socialisme – ils se contentent de promouvoir les aspects qui sont dans leur intérêt personnel ou tribal, tel qu'ils le perçoivent; le collectivisme et l'anti-individualisme ne sont que des prétextes pour écraser autrui et se faire mousser soi-même – hypocrisie continuelle des socialistes « modérés ». Ainsi, ils sont prompts à demander impôts, contrôle bureaucratique et oppression policière pour les autres, ceux qui sont loin de leur cercle de connaissance ou de leur affiliation tribale; et ils sont prompts à demander subventions, liberté d'action et protection policière pour eux-mêmes. Mais c'est un jeu de dupes, à somme négative où ils sont tous perdants ou presque: seule la classe dirigeante s'en sort, et elle s'en sort très très bien – elle dupe ses victimes en leur faisant croire qu'ils sont exploiteurs, alors qu'ils sont doublement exploités, une fois matériellement, en les dépouillant et les opprimant, et une fois spirituellement, en leur faisant croire qu'ils sont élevés par l'état (de socialauds) alors qu'en fait ils sont corrompus jusque dans leur âme, en cultivant leurs penchants les plus vils. L'égoïsme dont ces socialistes font preuve à l'intérieur de leur cercle égoïste élargi est en général proportionnel à la violence qu'ils proposent d'infliger à ceux au-delà: plus l'image qu'ils ont d'eux-mêmes est noire, celle d'un profiteur mesquin et partial, plus celle qu'ils ont d'autrui l'est, et réciproquement. C'est en fin de compte de l'image dans leur propre miroir qu'ils ont peur. Ainsi, les faux bons sentiments théoriques du socialisme ne sont en pratique que la peur névrotique de l'Autre, autant que celle de Soi-Même: une peur de la liberté, un refus de la responsabilité, une envie de la propriété, un manque dans la confiance en soi, une faille dans l'intégrité du caractère, en un mot: un trouble du sens de sa propre personnalité.

L'égalitarisme n'est que la ratiocination de ces névroses; en tant que projet utopique, il ne veut rien dire, son contenu précis étant indéfinissable et changeant au gré des jalousies infinies de ses zélateurs; en tant que mouvement politique, c'est un phénomène historique qui n'échappe pas aux conséquences logiques nécessaires et immanquablement néfastes de ses actions; en tant que mantra religieuse, il n'est qu'une excuse au pouvoir sans cesse plus étendu des puissants, un prétexte pour tous les candidats à davantage de parasitisme, un leurre pour les esprits énervés, une idole pour les masses subjuguées, qui préfèrent se croire maîtres, quand elles sont esclaves.

Tous toujours plus riches!

Venons-en maintenant au mensonge sans cesse répété selon lequel la liberté rendrait les riches toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Apparemment, le matraquage intellectuel marche, puisque cette affirmation fait figure de poncif jamais mis en cause, alors même que la moindre examination honnête suffit à en déterminer l'absurdité: en effet on s'aperçoit bien vite qu'aucun fait historique ni aucun argument logique ne saurait appuyer cette allégation, ni n'est d'ailleurs jamais invoqué pour la justifier; la seule « justification » jamais apportée est que ce serait une « évidence ». En fin de compte, ce sophisme repose entièrement sur une vision émotionnelle statique comme faille psychologique pour parasiter ses hôtes: le « penseur » statique, appelons-le statipenseur, incapable d'appréhender la dynamique économique, préfère se replier sur une vision mécanique qui reproduit à jamais ses perceptions instantanées. Le mensonge n'est « évidence » que parce que le public a été inlassablement conditionné pour ne pas penser, mais à confortablement se sentir intelligents si, et seulement si, ils répètent la réponse voulue par les autorités, à commencer par les enseignants de l'éducation nationale socialiste.

Le progrès humain fantastique des trois derniers siècles, qui dans le temps comme dans l'espace coïncide largement avec le capitalisme, alors qu'ailleurs règnent stagnation et cycles de famines, devrait pourtant suffire à montrer l'absurdité de cette thèse fantaisiste. Comment? Les pauvres s'appauvrirait? Ils devraient donc être plus pauvre qu'il y a dix, vingt, cinquante, cent ou deux cents ans. Et par récurrence, ils devraient être plus pauvres que les hommes préhistoriques vivant dans des cavernes, ou des singes vivant nus dans des arbres. Or, c'est tout le contraire! Jamais les pauvres n'ont été aussi riches; un « pauvre » dans un pays africain un tant soit peu capitaliste (i.e. qui n'est pas massacré dans des guerres et famines organisées par l'état (de dictateurs)), non seulement ne meurt plus de faim, mais a souvent accès à un téléphone sans fil, aux bases de la médecine moderne, à des spectacles sur une radio ou une télévision, et un train de vie qui rendrait jaloux un roi dans son pays il y a quelques siècles; un « pauvre » dans un pays riche vit dans un luxe inimaginable pour la plupart des riches d'il y a à peine quelques décennies. Non seulement manger à sa faim, non seulement ne pas avoir un travail physiquement exténuant, mais de plus risquer de souffrir d'obésité parce qu'il est si facile de manger trop sans faire d'effort physique? L'eau courante? l'électricité? un ascenseur? des bus, trains, voitures? Ne pas avoir à marcher plusieurs heures par jour? Une machine à laver le linge ou la vaisselle, des aspirateurs et lave-sols? Des jouets – électroniques – pour les enfants? Non seulement ne pas marcher pieds nus, mieux que des sabots, des chaussures, et pas qu'une seule paire? Des vêtements propres et beaux, tous les jours et pas que le dimanche (pour les moins pauvres qui possédaient des vêtements du dimanche!)? De la viande tous les jours, si l'on veut? Voire pouvoir s'offrir un repas dans un restaurant? Une semaine de travail de moins de 70 heures? Ceux de ces concepts qui avaient un sens à l'époque étaient des luxes pour nos grands-parents quand ils étaient enfants, même au sein de familles aisés – sans parler des pauvres. Partout où le capitalisme a pu tant bien que mal s'exprimer, les conditions humaines ont progressé de manière phénoménale, cependant que les pays tombant dans le socialisme les ont vues stagner voire régresser (comme l'ont montré Cuba, le Zimbabwe, le Venezuela, et maintenant la Grèce, sans parler du contraste entre les deux Allemagnes ou les deux Corées). Non seulement les conditions d'existence, mais l'existence elle-même d'une population décuplée en trois siècles est un luxe inestimable; comme le constatait Jean Fourastié: Les prolétaires des années 1800 en Europe et des années 1950 en Asie et en Afrique, ne sont pas d'anciens riches ruinés par le capitalisme. On pourrait dire que ce sont d'anciens morts qui ne meurent plus. Leur existence vient de la suppression des famines par le progrès des techniques de production.

Pour cacher toutes ces évidences criantes, les socialistes jettent parfois une statistique soigneusement choisie pour être interprétée à tort et à travers. Par exemple, ils compareront d'une décade à l'autre des statistiques sur les part de richesses possédées par « les pauvres » ou « les riches » dans un pays donné – alors même que l'identité de ces « pauvres » et de ces « riches » a changé du tout au tout: ceux qui étaient pauvres ou riches il y a dix ans souvent ne le sont plus; les étudiants, les immigrés, les débutants, ont trouvé un bon travail depuis; une nouvelle vague d'immigrés partis de riens, venus de leurs pays pauvres car anticapitalistes, forme une nouvelle classe de « plus pauvres » qui ne va pas le rester; à eux s'ajoute une nouvelle génération d'étudiants, apprentis et débutants qui partent d'à peine plus; ceux qui étaient au firmament de la liste des plus riches l'ont quittée, remplacés par des entrepreneurs aussi talentueux que pour l'instant chanceux, dont les entreprises leur rapportent aujourd'hui des milliards, et qui perdront une bonne partie de ces milliards au prochain changement de conjoncture (bizarrement, les socialistes ne crient jamais « oh, ceux qui ont perdu le plus d'argent étaient des milliardaires (avant de perdre cet argent)! »). Entre biais de sélection, regard aussi partial que partiel et grille de lecture collectiviste qui ignore l'identité des individus pour ne regarder que des agrégats ne correspondant à rien et surtout à personne, les socialistes n'ont jamais que des statistiques bidons à offrir en support de leurs affirmations d'une absurdité patente. Encore et toujours, leurs croyances ne se fondent jamais sur la réalité; mais au contraire, est l'affaire d'une religion démoniaque qui nie la réalité et a juré de la détruire. Lequel de l'étatisme ou du capitalisme explique comment Bébé Doc s'est enrichi, et lequel explique comment il s'est ruiné?

Les fortunes varient; les identités des gagnants et des perdants fluctuent; de nouvelles entreprises naissent, deviennent grandes, fusionnent, cependant que d'autres encore se divisent, rapetissent, meurent. L'identité des actionnaires elle-même varie. Ceux qui travaillent d'arrache-pied à produire toujours mieux, ceux qui anticipent correctement le changement et font des choix positifs, s'enrichissent; ceux qui dorment sur leurs lauriers, qui refusent de s'adapter au changement, qui furent simplement chanceux une fois, qui font de mauvais choix, s'appauvrissent. Ceux qui n'osent pas prendre leurs chances restent salariés peinards; certes ils ne deviennent jamais riches, mais jamais pauvres non plus, et peuvent jouir en paix et profiter de leur vie de famille, grâce à ceux qui eux prennent tous les risques pour rendre cela possible, et gagnent (parfois). Et si d'aucuns en venaient à prétendre que c'est grâce aux « corrections » de l'état (de sociopathes) que les variations de richesse et les changements de destin apparaissent, il faut alors se demander quel genre de favoritisme l'état (de corrompus) fait pour les uns au détriment des autres et avec quelle contrepartie; on verrait que le lobbyisme pour davantage de privilège non seulement n'est pas un bienfait que dispense cet état, mais qu'il est une calamité qui pourrit l'ordre économique apporté par le capitalisme, et favorise les plus parasites là où l'absence d'intervention d'état (de pourritures) favorise les plus productifs.

Déjà dans l'introduction à ses Harmonies Économiques, Frédéric Bastiat expliquait bien (en 1850!) comme les riches et les pauvres pouvaient très bien s'enrichir ensemble, voire même de façon que les pauvres s'enrichissent en proportion plus vite que les riches quand bien même les riches s'enrichiraient davantage en absolu. La raison en est même d'évidente stupéfiante: la loi de l'offre et la demande s'applique aux capitaux! Ainsi, plus les capitaux sont abondants et se font librement concurrence, plus leur prix diminue relativement à celui du travail ou de toute autre denrée ou service. Au contraire, plus les capitaux sont monopolisés par l'état (de politiciens voleurs) et leur emploi entravé par l'état (de bureaucrates irresponsables), plus leur prix relatif augmente. La concurrence entre capitalistes est donc le meilleur allié des travailleurs, cependant que la monopolisation du capital par l'état est leur pire ennemi. Après avoir été mis de côté par Staline, Trotski a d'ailleurs bien décrit la monstruosité du système qu'il avait aidé à mettre en place: « Dans un pays où le seul employeur est l'État, toute opposition signifie une lente mort de faim. L'ancien principe: "qui ne travaille pas, ne mange pas" a été remplacé par un nouveau: "qui n'obéit pas ne mangera pas." » Le socialisme, loin d'aider les travailleurs, loin d'alléger les imperfections de l'existence que le capitalisme lui-même ne peut éliminer, rend les travailleurs plus pauvres, et, quand il atteint son but, esclaves.
 

   

« Tout pouvoir politique institue nécessairement une cheiristocratie, pouvoir détenu par les pires éléments de la sociétés, les plus parasites, les plus manipulateurs, les plus dénués de scrupules, etc. Pour autant qu'on pourra appeler les membres de la classe dominante une “aristocratie”, ce sera donc une aristocratie du parasitisme politique. »

   


Avant de clore cette discussion sur pauvreté et richesse durable, il faut bien noter qu'il existe en effet des facteurs qui font que dans une société capitaliste certains pauvres restent pauvres, et certains riches restent riches – d'ailleurs, dans toute société, il y aura de tels critères, à moins que cette société soit basée entièrement sur le tirage au sort – et même là on verra que d'aucuns savent mieux que d'autres tirer parti de leur sort désigné. La nature est plus forte que les fantasmes des control-freaks ayant la phobie du changement. Il y aura toujours sélection – il ne s'agit que de déterminer selon quels critères. Or, quels sont les traits favorisés dans une société capitalistes, par contraste avec ceux qui sont relativement punis? Sont récompensées les « vertus bourgeoises »: l'honnêteté, le débat pacifique, la négociation (qui comprend l'assertion individuelle autant que la (re)connaissance et le respect de l'autre), l'usage de la raison, l'honneur de garder la parole donnée, la prévoyance (y compris la frugalité), la compétence, la sagesse, la bénévolence, la bonne conduite en société, et bien sûr l'esprit d'entreprendre – tout ce qui contribue à jouer ensemble des jeux à somme positive plutôt que négative. Il y a donc bien des vertus qui sont promues par le capitalisme, et ceux qui les cultivent et les maîtrisent auront tendance à s'enrichir, et riches, à s'enrichir davantage. A contrario, ceux qui cultivent les vices opposés: malhonnêteté, agressivité, incapacité à négocier, irrationalité, manque de fiabilité, impéritie, incompétence, ineptitude, malveillance, mépris d'autrui, manque d'initiative – ceux-là s'appauvriront, et pauvres, s'appauvriront encore. Ainsi, ceux qui se feront une carrière de vivre d'aide sociale plutôt que de rebondir vers un emploi productif, ceux qui se contenteront indéfiniment d'emplois sans qualification et sans initiative, ceux qui ne voudront pas rechercher et cultiver le talent d'être utile à soi-même et autrui, ne feront que s'enfoncer, et leur progéniture avec eux, dans la pauvreté permanente, malgré toutes les « aides » reçues, tandis que d'autres, fraichement immigrés, partis de rien, ne connaissant pas la langue, sans amis ni famille ni structure de support, sans compétence vendable sur le marché, trop vieux et trop chargés d'enfants pour avoir le temps d'en acquérir, bûcheront tous les jours pour offrir à leurs enfants les meilleures études qui les propulseront dans les classes moyennes supérieures, même sans avoir reçu aucune « aide ». Voilà la différence, dans une société capitaliste, entre les pauvres, qui restent à jamais pauvres, et les pauvres qui sortent de la pauvreté en dix à vingt ans: non pas que les uns sont plus ou moins opprimés que les autres, mais que les uns ont une bonne hygiène de vie tandis que les autres en ont une mauvaise. Déjà Périclès disait: Quant à la pauvreté, il n'y a aucune honte à avouer être pauvre; la vraie honte est de ne pas faire ce qu'il faut pour échapper à cette pauvreté.

Nous avions déjà discuté dans les questions 4 et 5 les vertus bourgeoises et leur effet eugénique – et par contraste l'effet dysgénique du socialisme qui promeut les vices opposés. Le socialisme n'est pas seulement un retour à des temps barbares, il est le culte même de la barbarie. En effet, les sociétés d'ancien régime, en général, et à l'exception de rares sociétés capitalistes (comme certaines cités grecques antiques et autres républiques romaine, vénitienne ou hollandaise), faisaient peu de cas de ces vertus bourgeoises, mettant le commerce et ses vertus au rang le plus bas de la société; à la place, les régimes guerriers glorifiaient la force et la ruse, l'honneur tribal du respect de règles socialement imposées plutôt que d'engagements individuels librement consentis, la dépense effrénée comme signe de statut social, la discipline de groupe, l'esprit de corps, la Haine de l'Autre, l'obéissance sans question et sans scrupules aux chefs et aux prêtres, etc. En France, la fierté de vivre du travail d'autrui allait jusqu'à considérer toute activité productrice comme dérogeant à la noblesse: seule était noble l'exploitation sans vergogne des ressources naturelles et du bétail humain. C'est cette même morale guerrière qui règne dans tous les partis politiques – car elle accompagne nécessairement leur mode de vie guerrier, celui de groupes organisés pour la raison d'être de s'emparer du pouvoir sur autrui, pour parasiter ces victimes par la force et la ruse. Dans leur vision du monde où tout n'est que lutte, il n'est pas étonnant que les socialistes cohérents adoptent et appliquent entre eux la morale guerrière de ceux qui sont à la conquête du pouvoir (et/ou disparaissent dans la non-pertinence s'ils n'appliquent pas cette morale et se retrouvent incapables de conquérir ce pouvoir qui reste leur obsession). Pour eux, le mot « bourgeois », et tout ce qui s'y rattache, est une insulte; ils haïssent de tout leur cœur ces vertus bourgeoises qu'ils vouent à la destruction, par le formatage des nouvelles générations à leur idéologie via l'« éducation » nationale socialiste, voire par la « rééducation » des adultes et le massacre des irrécupérables.

Aristocratie ou Cheiristocratie

Venons-en enfin à cette calomnie selon laquelle les riches dans une société capitaliste formeraient une « aristocratie » économique. Là encore, un tel concentré de mensonges qu'il faut plusieurs pages pour tous les démêler. D'abord, il y a comme toujours l'aveuglement à toute la dynamique toxique de l'état, et à celle vitale de la liberté. Ensuite, il y a le deux poids deux mesures et pétition de principe par lequel, comme d'habitude, les sectateurs de l'état présentent comme « solution » ce qui est en mille fois pire que tous les « problèmes » qu'ils reprochent à la liberté – faire passer un mal pour un bien. Puis, il y a l'implication fallacieuse qu'une inégalité signifierait pouvoir. Enfin, il y a cette équivoque entre le pouvoir économique de faire du bien contre contrepartie et le pouvoir politique de nuire impunément – faire passer un bien pour un mal.

L'égalité est un leurre; les hommes ne sont pas interchangeables, leurs situations individuelles seront toujours non seulement différentes l'une de l'autre, mais encore irréductibles l'une à l'autre: il n'y a pas d'échelle unique sur laquelle les comparer objectivement. Comme nous l'avons vu ci-dessus, l'égalitarisme est un tissu d'absurdité, et non seulement l'étatisme ne peut pas éliminer les inégalités, mais il ne fait que contribuer pour le pire à quel genre d'inégalités prévaudront. En effet, l'idée que le pouvoir politique pourrait possiblement servir à effacer les inégalités est d'autant plus absurde que le pouvoir politique lui-même est une relation intrinsèquement dissymétrique, plus polarisante que toute autre relation. Entre celui qui commande et celui qui obéit, celui qui dirige et celui qui suit, celui qui décrète les lois et celui qui les subit, celui qui reçoit les impôts et celui qui les paie, celui qui décide de l'allocation des fonds publics et celui qui doit les quémander, celui qui prend les décisions politiques ou administratives et celui qui les subit, celui qui surveille et celui qui est surveillé, celui qui punit et celui qui est puni, celui qui emprisonne et celui qui est mis en cage, celui qui tue et celui qui est tué, celui qui gagne au jeu à somme négative ou nulle et celui qui perd davantage que l'autre reçoit, la situation est pire qu'inégale. Quand les uns ont le pouvoir sur les autres, c'est non seulement une inégalité, mais c'est une relation de contrôle.

Si un voisin possède plus que l'autre, chacun reste indépendant de l'autre; si chaque voisin possède nominalement « autant » que l'autre, mais décide comment l'autre peut employer son bien, alors ni l'un ni l'autre n'est libre, chacun dépend du bon vouloir de l'autre, et celui des deux qui par le jeu de la politique et des alliances avec des tiers possèdera le pouvoir effectif sur l'autre sera non seulement inégal, mais bien plus, maître. Pire encore, alors que comparer les bonnes et mauvaises fortunes (au sens large!) de deux personnes est largement et irréductiblement subjectif et qu'en déduire une « inégalité » hiérarchique tient de l'escroquerie intellectuelle, l'inégalité qui découle de la relation de contrôle politique est elle totalement objective. Le pouvoir politique non seulement ne peut donc aucunement éliminer les inégalités, mais tout au contraire, il constitue la pire de toutes les inégalités imaginables.

En fin de compte, le pouvoir politique est tautologiquement le pouvoir des puissants sur les faibles. Quel que soit l'arrangement par lequel le régime désigne les dirigeants, il y a forcément une machin-cratie: il y aura forcément une rétroaction positive tautologique par laquelle les personnes et institutions qui utiliseront le pouvoir pour se promouvoir elles-mêmes au détriment des moins agressives seront promues au détriment des autres. La conséquence nécessaire de cette pression évolutionnaire est qu'aussi « noble » soit la distribution initiale de pouvoir, l'évolution naturelle de tout régime politique est vers un Establishment stable de sociopathes égoïstes hiérarchisés selon leur capacité à capturer le pouvoir et l'utiliser pour leur propre profit, par tous les moyens malhonnêtes et violents, au détriment de ceux qui ne voudraient pas jouer leur jeu.

Ainsi, tout pouvoir politique, tout « égalitariste » qu'il puisse prétendre être, crée de toute nécessité une classe d'individus « plus égaux que les autres »: ceux qui contrôlent plutôt qu'ils ne sont contrôlés. Les maîtres. Leurs chantres. Leurs clercs. Leurs surveillants. Leurs espions. Leurs sicaires. Ce n'est pas là une aristocratie, pouvoir détenu par les meilleurs éléments de la société, les plus productifs, les plus talentueux, les plus honnêtes, etc. Au contraire, tout pouvoir politique institue nécessairement une cheiristocratie, pouvoir détenu par les pires éléments de la sociétés, les plus parasites, les plus manipulateurs, les plus dénués de scrupules, etc. Pour autant qu'on pourra appeler les membres de la classe dominante une « aristocratie », ce sera donc une aristocratie du parasitisme politique. Elle pourra être composée d'une multitude de petits parasites « pauvres », membres de classes protégées, vandales destructeurs et animaux sauvages vivant de subsides de l'état, et d'une petite minorités de grands parasites riches, qu'ils soient « politiciens », « fonctionnaires » ou qu'ils possèdent des positions privilégiées soi-disant « privées ». Peu importe, ce qui les caractérise, c'est qu'ils sont du bon côté du fusil, tandis que la majorité des citoyens opprimés sont du mauvais côté (il est possible d'opprimer une minorité de citoyens, mais cela ne peut pas suffire à soutenir très longtemps les consommations d'une majorité des citoyens – puis la société entière se désintègre, les parasites mangeant leur capital, puis se dévorant entre eux). Les étatistes qui se plaignent du soi-disant pouvoir des capitalistes pour promouvoir le pouvoir des politiciens, c'est vraiment la paille et la poutre.

Plus ils sont socialistes, plus les étatistes aiment cultiver le mythe selon lequel ils sont une avant-garde du prolétariat, une élite populaire, qui représentent le peuple par quelque force mystique qui préside aux élections (et s'ils perdent c'est forcément que les élections ont été empêchées de fonctionner proprement). Ils prétendent posséder une prêtrise par laquelle l'entité collective « peuple » parle toujours à travers leur bouche et jamais à travers celle de leurs dissidents. Mais toute cette soi-disant « démocratie » de façade, moins prononcée mais tout aussi fausse en Occident que dans les pays ouvertement communistes anciens ou survivants, est toujours la même escroquerie intellectuelle: elle cache aux victimes crédules que l'Establishment politique, bureaucratique, « public » et para-« public », constitue une caste qui écrase et exploite la majorité productive via réglementations et taxes.

Comme disait bien Tom Paine, qui ne faisait que populariser une théorie plus longuement développée par Adam Ferguson: « Il y a deux classes distinctes d'hommes dans la Nation, ceux qui paient l'impôt et ceux qui le reçoivent et en vivent. » On pourra aussi reprendre la formulation d'Achille Tournier: « Grâce à la bureaucratie et au socialisme, il n'y aura bientôt que deux partis en France: ceux qui vivent de l'impôt et ceux qui en meurent. » Le concept d'une classe d'oppresseurs et une classe d'opprimés a été popularisé par Karl Marx; mais Marx n'a fait que reprendre en la dénaturant la théorie bien antérieure développée par les philosophes libéraux. Sa contribution consiste en au moins deux corruptions majeures: d'une part il a fait de cette « lutte des classes » le centre de la théorie sociale, lui qui comme tout socialiste ne veut voire partout que des jeux à somme négative – alors même que ces jeux ne pouvant détruire que ce que d'autres ont construit, ils constituent nécessairement un phénomène parasite secondaire; et, d'autre part, il a substitué au critère correct de l'exploitation (qui impose à l'autre par la force taxes et réglementations) un faux critère lui permettant d'accuser les producteurs capitalistes innocents au profit d'une nouvelle classe de parasites socialistes dont il justifie les crimes. Or derrière tous ses mensonges, le socialisme ne sert pas à justifier une caste exploitrice comme les autres. Les régimes exploiteurs d'antan, s'ils valorisaient à outrance la force guerrière, du moins ne méprisaient pas systématiquement le commerce pacifique – en tout cas pas tous. Le socialisme lui s'en prend explicitement aux capitalistes précisément parce qu'ils sont les hommes s'enrichissant par des moyens moraux, réussissant au commerce pacifique. Le socialisme, c'est le mal incarné.

Comme contre-exemple à l'idée de cheiristocratie, d'aucuns assommés par la propagande d'état voudront montrer quelques « grands hommes » qui auraient fait tant de grandes choses. Mais si on examine cette « grandeur », on s'aperçoit que le plus souvent, il s'agit du nombre des victimes innocentes qu'ils ont laissées derrière eux, et de la puissance écrasante par laquelle ils régnaient en maîtres sur autrui; qu'ils n'ont pas créé le talent des artistes qu'ils ont mis à leur service avec leur richesse volée, et que ces artistes auraient été tout aussi talentueux en oeuvrant au service de ceux dont les richesses ont été volées (richesses qui n'auraient été que plus abondantes sans le vol). Toutefois, on peut reconnaître que souvent, aux détours d'une révolution ou d'une guerre, la première génération à diriger un nouveau régime du moins fait montre de valeurs positives: leur génie militaire, leur talent d'organisateurs, leur assise intellectuelle, leur opposition à l'oppression d'un régime précédent pire que le leur, en faillite car incapable d'inspirer parmi le peuple assez de soutiens pour se maintenir en place, etc. Ceux qui conquièrent initialement le pouvoir sont rarement des anges, mais du moins ce sont des quelqu'uns: ils possèdent de la substance, qui leur a permis de se distinguer avant d'accéder au pouvoir, qui ne se résume pas à leur habileté dans l'exploitation politique après leur accession au pouvoir (ce dont il faut faire attention à ne pas les disculper pour autant).

Cependant, bien vite cette première génération laisse place aux apparatchiks, les hommes de l'appareil d'état, bureaucrates imbus de leur pouvoir, politiciens professionnels, etc. – des zéros en tout, sauf pour les intrigues du pouvoir, qu'ils maîtrisent parfaitement. Assoiffés du pouvoir en soi, adorateurs de l'état, lèche-bottes et démagogues, sociopathes, ils grimpent quatre à quatre les échelons du pouvoir, en se marchant sur la tête les uns des autres dans leur sélection des pires, tous écrasant le public; et pour asseoir leur pouvoir, ils s'entourent d'une masse de parasites minables qui leur vendent leur soutien en échange d'une part du butin volé aux producteurs opprimés. Un nouveau régime politique ne commence donc pas toujours cheiristocratique, mais le devient toujours très vite.

Même s'il est établi que l'état (d'ordures) est tout le contraire d'une solution, d'aucuns socialistes continueront à propager la haine du riche, au prétexte que la richesse même serait injuste. Désamorçons cette haine, ce sentiment d'injustice injustifié qui n'est que la ratiocination de l'envie et de la jalousie, la culture de l'insécurité et de l'aliénation.

Notons d'abord l'absurdité de la notion selon laquelle une inégalité en soi serait automatiquement une relation de pouvoir du riche sur le pauvre, et/ou serait une injustice qui ouvrirait une dette de la part du riche envers le pauvre. Cette notion va à l'encontre de tous les principes reconnus de justice, entre autres: la présomption d'innocence, la non-rétroactivité du droit, et le fait que l'on ne peut être coupable que de ses propres actions. Comme le dit Hayek, « la Justice ne s'intéresse pas aux résultats des diverses transactions mais seulement au fait que ces transactions elles-mêmes soient justes ».

En effet, les situations économiques seront forcément différentes, mais ces différences n'impliquent pas en soi un pouvoir de l'un sur l'autre; si les pêcheurs d'une île tropicale se trouvent être plus ou moins aisés que les pasteurs de steppes lointaines, les tisserands de montagnes éloignées, ou les habitants inconnus des confins de la galaxie, seuls les socialistes les plus irrémédiablement tordus prétendront que les plus riches le sont aux dépens des moins riches, selon la comptabilité arbitraire par laquelle sont mesurées tous les coûts et bénéfices divers de leurs situations respectives. La différence de richesse entre ces contrées lointaines n'implique évidemment ni relation de pouvoir ni injustice.

Or, cette différence ne devient pas magiquement l'une ou l'autre si l'on considère des villages plus proches, ou si des villageois se rencontrent au gré d'un voyage. Et si la population d'un des deux villages augmente ou diminue par naissance, mort ou migration, cela ne multiplie ni ne divise automatiquement la part que les plus riches devraient aux plus pauvres. Si on découvrait soudain un village perdu dans la jungle, dont les habitants ne possèdent rien, cela ne créerait pas soudain de dette pour quiconque. Et si on découvrait demain mille milliards d'extra-terrestres dénués de tout à l'autre bout de la galaxie ou qu'après création d'une intelligence artificielle il y avait bientôt mille milliards d'êtres sensibles miniaturisés et tout aussi dénués de tout, cela n'impliquerait nullement que soudain, les humains dussent partager leurs biens à égalité avec ces entités, ce qui d'ailleurs reviendrait pour eux à mourir.

Si les pêcheurs d'une île, pratiquant des techniques plus avancées, ont un train de vie supérieur à ceux d'une île voisine, cela n'est pas au détriment de ces derniers. Si les premiers viennent offrir aux derniers leur savoir faire et leurs bateaux déjà construits en échange de travail volontaire, ce serait au bénéfice mutuel, et ne serait aucunement une injustice ni une relation de pouvoir. Ou alors, il faut bien distinguer le « pouvoir économique » du « pouvoir politique », comme notion complètement opposée. Le « pouvoir économique », c'est le pouvoir de créer: le pouvoir de jouer des jeux à somme positive, et de bénéficier à autrui s'il coopère volontairement. Le « pouvoir politique », c'est le pouvoir de détruire: le pouvoir de jouer des jeux à somme négative et de nuire à autrui s'il ne se soumet pas de force. J'ai longuement élaboré l'opposition entre ces deux notions dans mon essai « L'état, règne de la magie noire ». L'exercice du « pouvoir économique », c'est la justice même. L'exercice du « pouvoir politique », c'est l'injustice même.

De plus, dans un régime de liberté, non seulement la soi-disant « aristocratie » économique s'enrichit en produisant, en coopérant avec autrui pour un bénéfice mutuel dans un jeu à somme positive; mais encore il n'y a pas qu'un critère de succès qui l'emporte sur l'autre: chacun est libre de choisir ses propres critères de succès, d'exceller à ses propres buts, de trouver son propre public; nul n'est forcé de mettre l'argent devant le reste. Il est donc faux de ne compter que « les riches » comme étant « les » gagnants de la société, quand tout le monde gagne aux jeux à somme positive, et qu'il y a une infinité de critères par lesquels les uns ou les autres peuvent se retrouver au sommet des critères qui importent pour eux. C'est tout le contraire d'une société complètement politisée, où les jeux à somme négative ou nulle aboutissent nécessairement à un classement des gagnants selon une unique l'échelle d'influence sociale, qui devient tout-importante. Notons ici que ceux qui s'enrichissent par la collusion avec l'état sont l'opposé de l'élite économique dont il est question: ils ont au contraire des exemples infâmes de l'aristocratie politique, ceux qui s'enrichissent par la violence politique de l'état. Ce n'est donc pas le seul fait d'être riche qui compte – mais comment on s'est enrichi.

Alors, oui, dans un régime de liberté il y aura une « aristocratie naturelle », une « élite naturelle », composée des gens ayant le mieux réussi et étant les plus accomplis dans leurs domaines respectifs. Est-ce un dommage pour quiconque quand un pâtissier, un chanteur, un avocat, un médecin, un inventeur, un chef d'entreprise, excelle à son métier? Tout au contraire! C'est un bien pour tous. Et tous gagnent à ce que chaque poste soit occupé par la personne la plus accomplie pour la profession donnée, et non pas le contraire. Non seulement l'élite naturelle n'usurpe pas son autorité par la force, mais elle gagne et renouvelle à chaque action la confiance de ses semblables par sa compétence. Et aux socialistes qui oseront prétendre que ce libre choix constitue un « pouvoir » (politique), j'opposerai Bakounine lui-même, anarchiste s'il en est un, qui dans « Dieu et l'État » paie hommage à l'autorité naturelle des hommes dont la compétence est mieux reconnue – tous ceux que les socialistes accusent ici de former une aristocratie (Bakounine malheureusement dans d'autres pages moins inspirée adopte lui-même la plupart des idées socialistes). Pour citer Henry Ford: « La question "Qui devrait être le patron?" est la même que "Qui devrait être le ténor dans le quatuor?" Évidemment, celui qui peut chanter ténor. » Ou encore, pour citer Renan: « [...] le préjugé français, qui voit dans la fonction une rente à distribuer au fonctionnaire bien plus qu'un devoir public. Ce préjugé est l'inverse du vrai principe de gouvernement, lequel ordonne de ne considérer dans le choix du fonctionnaire que le bien de l'État ou, en d'autres termes, la bonne exécution de la fonction. Nul n'a droit à une place; tous ont droit que les places soient bien remplies. »

En fin de compte, accuser cette élite naturelle, forte de son « pouvoir » économique de créer, de sa compétence reconnue par un large public qui s'en fait volontairement les acheteurs, de former une « aristocratie » – c'est une équivoque avec le pouvoir politique de détruire. Et les socialistes de proposer le pouvoir politique absolu comme « solution » à l'existence de cette élite. Le socialisme est une idéologie diabolique qui fait passer le bien pour le mal et le mal pour le bien.

À suivre...

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Grégoire Canlorbe se définit comme un libéral classique, avec des sympathies libertariennes.

   
 

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(no 330 – March 15, 2015)

Entretien avec François-René Rideau sur la concurrence et l'harmonie spontanée des intérêts – Troisième partie
(no 329 – 15 février 2015)

Entretien avec François-René Rideau sur l'État-providence, Hans Hermann Hoppe, et les dictatures – Seconde partie
(no 328 – 15 janvier 2015)

Entretien avec François-René Rideau sur l'État, les monopoles et le profit – Première partie
(no 327 – 15 décembre 2014)

Entretien avec Jacques de Guenin sur Bastiat, l'ATTAC, l'assistance aux plus démunis, l'anarchisme libéral et La Fayette
(no 325 - 15 octobre 2014)

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Ama-gi

Première représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie, environ 2300 av. J.-C.

   


Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de marché et de la coopération volontaire depuis 1998.

   
 

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