15 décembre 2015 • No 337 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
Entretien
Entretien avec Cécile Philippe sur le keynésianisme, le modèle social français et le principe de précaution
propos recueillis par Grégoire Canlorbe


Cécile Philippe détient un doctorat ès sciences économiques de l’Université Paris-IX Dauphine et un Desup en gestion des entreprises dans les pays en développement. C’est au sein d’un think tank américain qu’elle a terminé sa thèse portant sur les théories de l’information et l’émergence d’un marché de l’information sur Internet. De retour en Europe, elle a créé en 2003 l’Institut économique Molinari, dont elle assure depuis la direction. Auteure d’un grand nombre d’articles publiés dans des journaux aussi bien francophones qu’anglophones, elle a publié en 2007 son premier livre aux Éditions JC Lattès intitulé « C’est trop tard pour la terre », puis, en 2014, Trop tard pour la France? Osons remettre l’État à sa place, aux Éditions Manitoba/Les Belles Lettres. Alors que le premier s’intéresse aux questions d’environnement et cherche à mettre fin à un certain nombre de mythes, en particulier celui qui consiste à croire que réglementation et taxation vont de pair avec amélioration de l’environnement, le second s’intéresse à la crise financière et au rôle que joue l’État dans nos vies. Début 2015, elle publie 50 matinales pour réveiller la France, aux Éditions Manitoba/Les Belles Lettres. Il s’agit d’un recueil de chroniques réalisées pour Radio classique par différents auteurs autour du thème « Idées neuves ».

Pourriez-vous commencer par nous rappeler votre parcours intellectuel, universitaire et professionnel? En particulier pourriez-vous revenir sur les raisons qui vous ont successivement poussée à fonder l’Institut économique Molinari, à mettre en place l’Université d’automne en économie autrichienne et à écrire vos deux essais respectifs sur le développement durable et sur le modèle français?

Après un bac B d’économie, j’ai intégré l’université Paris-Dauphine afin d’y faire ce qu’on appelait à l’époque une maîtrise de sciences de gestion. Je n’y ai pas trouvé mon bonheur. Entre le modèle IS-LM, la théorie néoclassique et la théorie de la valeur travail chez Marx, je n’arrivais pas à trouver de réponse à ma grande question: comment fonctionnent le monde et nos institutions. Du coup, j’ai multiplié les démarches entrepreneuriales en suivant le cursus création d’entreprise, en participant à un raid humanitaire en Afrique et en voyageant en Asie. C’est alors que j’ai eu l’idée de suivre, toujours à Dauphine, un Desup de gestion des entreprises dans les pays en développement. Grand bien m’en a pris. Car outre le fait d’être entourée dans le cadre de ce diplôme d’élèves de différentes nationalités – notamment africains et asiatiques, aussi intéressants que sympathiques –, j’ai eu aussi la chance cette année-là (en 1998) de découvrir l’école d’économie autrichienne.

En effet, le professeur Pascal Salin enseignait alors un cours d’économie internationale et il nous mentionna des auteurs comme Friedrich A. Hayek, Ludwig von Mises, etc. Ce fut comme un déclic. Moi qui n’avais qu’une chose en tête depuis mon entrée à l’université – la quitter pour trouver un job –, je ne pouvais plus envisager de m’arrêter en si bon chemin. Il fallait que j’en sache plus maintenant que j’avais trouvé ce qui faisait sens pour moi.

Du coup, j’ai enchaîné avec un DEA au Centre d’analyse économique de l’Université Aix-Marseille III. J’y ai passé une année passionnante avec des professeurs comme Gérard Bramoullé, Jacques Garello, Jean-Pierre Centi et cela m’a décidé à faire une thèse à Paris sous la direction de Pascal Salin. En toute dernière année de thèse, je me suis vu offrir une bourse privée (la Rowley Fellowship) par le Mises Institute et il n’en fallu pas plus pour que je m'envole vers les États-Unis. Je suis restée à Auburn (Alabama) environ un an et demi et cette expérience au sein d’un think tank a été très marquante pour moi. En effet, cet Institut fêtait en 2002 ses 20 ans et je restais ébahie devant le travail accompli. Ayant moi-même une fibre intellectuelle et entrepreneuriale, je me suis alors dit que l’idéal serait de conjuguer les deux en créant à mon retour en Europe un think tank qui serait dédié aux questions d’analyse des politiques publiques. C’est ce que j’ai fait en 2003: en même temps que je soutenais ma thèse, je créais l’Institut économique Molinari.

Après, tout est question d’opportunité et de rencontres. Au Mises Institute, j’ai eu la chance de rencontrer Guido Hülsmann qui depuis est devenu professeur à l’Université d’Angers. Dès la création de l’IEM, j’ai par ailleurs créé un séminaire « Action humaine » qui consistait à décortiquer et analyser l’ouvrage de Ludwig von Mises. Il rassemblait des personnes comme Marian Eabrasu, Gabriel Gimenez-Roche, Nikolay Gertchev, etc., avec lesquels j’ai noué des liens amicaux et intellectuels durables. Ensemble, avec le soutien du créateur du site Internet 24hGold, tout aussi féru que nous d’économie autrichienne, nous avons pu réaliser un rêve: mettre sur pied une Université d’automne visant à initier les jeunes et les moins jeunes à ce courant de pensée économique sans doute trop méconnu et que je crois néanmoins fondamental à la compréhension du monde qui nous entoure.

En panne depuis trente ans, le marché du travail français fait l’objet d’une attention particulière de votre part dans votre récent ouvrage Trop tard pour la France? De nos jours, il semble être communément admis que le chômage, d’une manière générale, doit sa raison d’être à deux phénomènes bien distincts. Le chômage dit classique résulte de la décision prise par les entreprises de limiter les embauches, au motif qu’elles jugent le coût du travail trop élevé ou les rigidités sur le marché du travail trop importantes; et ce, malgré la demande potentiellement soutenue qui leur est adressée.

Coexistant avec ce premier type de chômage, le chômage dit « keynésien » provient quant à lui de débouchés anticipés insuffisants. Dans les limites imposées par les capacités de production disponibles, le volume de la production s’adapte en effet au volume de la demande qui est anticipé par les entreprises. Il n’est pas garanti que ce volume anticipé par les entreprises soit suffisant pour embaucher tous ceux qui souhaiteraient trouver du travail au taux de salaire en vigueur.

À cet égard, le remède qui s’impose pour résorber le chômage (notamment en France) est de relancer la demande – via la manipulation des taux d’intérêt, la hausse des dépenses publiques ou la redistribution des revenus; et non point simplement d’assouplir les contraintes juridiques pesant sur le marché du travail.

Comment résumeriez-vous votre position sur cette vision des choses mainstream?


Effectivement, je consacre un chapitre entier au marché du travail français dans Trop tard pour la France? Je suis d’ailleurs convaincue que s’il est une réforme à faire en premier, c’est bien de s’attaquer à ses trop nombreuses rigidités. Il n’est pas surprenant que la France soit classée en la matière en 113ème position sur 142 pays par le Forum économique mondial. Notre marché du travail cumule tous les handicaps: un Smic élevé, une durée légale du travail stricte, un monopole de l’assurance chômage, un niveau de protection de l’emploi extrême sans oublier des charges sociales et des aides élevées.

Ma position concernant la vision que vous exposez est de rappeler qu’il y a en fait une certaine compatibilité entre ce que Keynes écrivait et ce que vous appelez la vision classique. En effet, les keynésiens partent du principe qu’il y a une certaine rigidité des salaires à la baisse. Par conséquent, il faut en quelque sorte leurrer les travailleurs en leur offrant des salaires nominaux plus élevés mais qui, au final, se révèlent des salaires réels plus faibles, permettant aux entreprises de « sauver les meubles. » Sauf que ce n’est qu’une façon d’avouer que le marché du travail ne fonctionne justement pas comme un marché.

Les offres et les demandes ne se rencontrent pas librement, ce qui empêche l’émergence de contrats satisfaisant les attentes des employeurs comme des demandeurs d’emploi. La liste des atteintes portées par l’actuel droit du travail à la liberté contractuelle et à la liberté d’association est extrêmement longue: « La liberté du travail est supprimée avant seize ans et après un âge variable selon les catégories mais autoritairement fixé; les clauses du contrat de travail sont définies à l’avance; le travailleur est obligé subséquemment de cotiser à un régime d’assurance vieillesse dont les termes lui sont imposés et de participer à un système de protection contre le chômage; les heures de travail sont définies par le législateur […]; le contrat individuel n’a pas force obligatoire si ses clauses diffèrent de celles du contrat type des conventions collectives, qui, de plus, peuvent être étendues par décision administrative à des entreprises qui ne sont initialement pourtant pas parties – l’existence même de ces conventions constituant en soi une atteinte à la liberté du travail puisqu’elles imposent des ententes horizontales obligatoires entre travailleurs et firmes. »(1)

Si on arrivait à faire fonctionner le marché du travail normalement, on parviendrait sans doute à diminuer fortement le chômage, au point de l’amener à ce qu’on appelle son niveau naturel, comprenant le chômage dit volontaire.

De plus, les remèdes préconisés par Keynes créent sans doute beaucoup plus de problèmes qu’ils n’en résolvent puisque la manipulation des taux d’intérêt est à l’origine des cycles économiques et des graves crises financières qui secouent nos sociétés. Nous y reviendrons.

Il existe encore un troisième facteur auquel on impute couramment (à l’instar du prix Nobel Maurice Allais) la responsabilité du chômage: à savoir la mondialisation des échanges marchands.

Le raisonnement qui sous-tend cette assertion peut se formuler comme suit: Dans le contexte de la mondialisation des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires différents, plus le salaire minimal (déterminé par les forces du marché ou fixé par la loi) est élevé dans les pays développés, et plus les importations en provenance des pays à bas salaires sont favorisées. Ces importations sont certes compensées en valeur par des exportations. Cependant, la compétition des travailleurs dans les pays développés avec les pays à bas salaires détruit nécessairement des emplois – à moins que le patronat ne réussisse à procéder à une baisse du coût du travail.

Dès lors, la mondialisation des échanges mène soit à une hausse du chômage, s’il y a rigidité des salaires, soit au nivellement vers le bas des salaires (et à une explosion des inégalités de revenu), s’il y a flexibilité des salaires. Grâce aux délocalisations et aux importations en provenance des pays à bas salaires, les consommateurs peuvent cela dit acheter des produits meilleur marché. En contrepartie de cette baisse des prix, les consommateurs doivent cependant subir la perte de leur emploi ou la baisse de leurs salaires. Ce sont tout à fait ces conséquences qu’on peut observer en France depuis trente ans.

Que rétorqueriez-vous à cette analyse en vogue?


Pour répondre à votre question, je crois qu’il faut d’abord bien comprendre que l’échange dans nos sociétés est à la fois indispensable et source de grande richesse. Comme je l’explique dans mon livre, les capacités de l’homme isolé sont limitées, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Il lui est impossible de produire tout ce dont il a besoin. En effet, il lui est indispensable d’échanger avec les autres pour satisfaire ses besoins.

Ce phénomène nous est devenu tellement familier et habituel que nous ne nous réjouissons plus de trouver sans difficulté de quoi manger, lire ou s’habiller. Nous en sommes même rendus à un point où nous pouvons nous permettre d’être très exigeants en la matière. De même que nous ne nous étonnons pas de pouvoir respirer, nous restons de marbre devant le miracle qui s’accomplit sous nos yeux, à savoir que des milliers d’individus œuvrent chaque jour à notre confort matériel et à notre bien-être psychique.

Or, force est de constater que si nous devions aujourd’hui tenter de nous procurer par nous-mêmes ce que nous utilisons et consommons chaque jour, nous nous rendrions compte que ce serait tout simplement mission impossible.

Songeons simplement à ce qu’il nous faudrait pour confectionner, par excellence, une pizza à partir de nos seules ressources. La pizza est un produit simple. Elle se compose d’une pâte (un mélange d’eau et de farine), de fromage et de tomates. Il faut aussi la faire cuire. Or, pour disposer de farine, il faut posséder une terre et y avoir fait pousser du blé. Il faut avoir au préalable sélectionné des semences, les avoir plantées et attendre qu’elles poussent pour ensuite les récolter. Le processus est identique pour les tomates. Le fromage, quant à lui, suppose d’avoir du lait et donc des vaches. Celles-ci doivent naître puis grandir pour donner le lait qui permettra alors de faire un fromage. Le four à pain nécessite aussi des matières premières et des compétences pour le confectionner au même titre que le fromage ou la pâte à pain.

On l’aura compris, celui qui ne peut pas obtenir d’autres personnes ce qu’il veut consommer, devra attendre des mois avant de pouvoir déguster une pizza. Pendant ce laps de temps, il lui faudra subvenir à ses besoins autrement et surmonter toutes sortes d’obstacles.

Ce miracle qui permet d’avoir envie d’une pizza et d’en dévorer une dans l’heure a une explication: la division du travail. Chacun, en se spécialisant, peut augmenter sa productivité et ainsi produire ce qui lui permettra d’acquérir ce que d’autres développent.

Donc pour revenir à la mondialisation des échanges, si on reconnaît qu’ils sont seulement une extension de nos échanges locaux et proches, on ne peut que se réjouir de leur extension à une zone géographique plus large, qui plus est si cela nous donne accès à des produits moins chers et plus variés.

Car cela libère du pouvoir d’achat qui permet d’acquérir d’autres biens. Mais encore faut-il que ceux-ci soient produits et donc qu’on laisse les entreprises s’adapter aux nouvelles demandes. Le fonctionnement d’une économie de marché repose intrinsèquement sur la création et la destruction simultanées d’emplois. Ce processus est indispensable pour permettre aux entreprises de s’adapter à l’évolution des préférences des consommateurs et aux changements technologiques. Ce faisant, l’économie prospère et le niveau d’emplois peut augmenter et compenser les destructions qui ont nécessairement lieu.

Dans un pays comme la France qui cherche avant tout à bloquer les destructions d’emplois, ce processus d’adaptation des entreprises est fortement retardé. On maintient trop longtemps des personnes dans des emplois sans avenir si bien que lorsque l’inéluctable arrive, il leur est parfois extrêmement difficile de s’adapter aux nouvelles offres d’emplois.

Vous mentionnez la baisse des salaires provoquée par la concurrence des bas salaires dans les pays émergents, par exemple. C’est vrai pour toute une catégorie d’emplois mais pas pour tous les emplois et la baisse des salaires dans les secteurs concernés ne devrait pas inéluctablement conduire à une baisse de pouvoir d’achat. En effet, si la monnaie conserve sa valeur (à savoir n’est pas inflationniste) et que par ailleurs, nombre de biens et services voient leur valeur baisser, alors les travailleurs moins payés ne s’en trouvent pas forcément moins bien.

Divers problèmes viennent de ce que la monnaie (dans tous les pays du monde) est fortement manipulée et perd de sa valeur en alimentant des bulles qui font augmenter les prix comme ceux de logement, de l’énergie (au moins en Europe), etc. L’augmentation du prix de ces biens et services – cruciaux pour le bien-être – fait plus que compenser les baisses d’autres biens et services dont nous pouvons profiter par ailleurs. D’où le malaise.

Incriminer la mondialisation et souhaiter le repli nationaliste et protectionniste est cependant très dangereux car cela nous conduirait au pire des mondes, à savoir un monde dans lequel nous subirions les hausses des prix, sans avoir accès à des produits bon marché et plus variés, un monde dans lequel le marché du travail continuerait de dysfonctionner et de générer du chômage, bref une société dans laquelle nous en aurions tous moins pour notre argent.

Les pertes d’emplois et le baisses de salaire sont des choses inéluctables car elles sont liées aux changements technologiques, aux changements des préférences des consommateurs, etc. Vouloir les empêcher est un gaspillage d’énergie et de ressources. On peut, par contre, en limiter les effets, en adoptant des structures flexibles et en cessant de manipuler comme on le fait aujourd’hui nos monnaies.

La crise de 2007 a été pour de nombreux commentateurs l’occasion de clamer que l’actualité donnait raison à Keynes et que celui-ci faisait son retour en grandes pompes sur le devant de la scène. Le modèle keynésien soutient que les crises de l’économie de marché trouvent pour origine l’effondrement de l’investissement et, en amont, l’intensité anormale du désir de liquidité (par motif de précaution dans un contexte d’incertitude radicale). L’investissement est un compartiment de la demande globale anticipée par les entreprises, le volume de la demande anticipée déterminant le volume de la production et donc le volume de l’emploi.

Les anticipations d’investissement et de consommation par les entreprises déterminent donc le niveau de la production et le niveau de l’emploi. La consommation est une fonction stable et croissante du revenu des agents. L’incitation à investir dépend de la différence positive entre l’efficacité marginale du capital et le taux d’intérêt en vigueur. La fonction de l’intérêt offert aux épargnants est de rémunérer leur placement, c'est-à-dire leur renonciation à la liquidité (et non point leur épargne, c'est-à-dire leur renonciation à la consommation immédiate); en sorte que tout accroissement de la préférence pour la liquidité implique une hausse du taux d’intérêt pour une quantité donnée de monnaie en circulation. Lorsque le désir de liquidité est anormalement élevé, il tend à faire monter si haut le taux d’intérêt que cela provoque la baisse foudroyante des projets d’investissement et donc la chute de la demande anticipée.

Via l’effet dit du multiplicateur keynésien, il s’ensuit l’effondrement de la production ainsi que de l’emploi, qui engendre à son tour la chute de la consommation et donc de la demande anticipée, et donc de la production, et ainsi de suite. Une situation de sous-emploi durable s’instaure: elle résulte des mécanismes spontanés du marché et ces mêmes mécanismes sont impuissants à sortir l’économie de cette situation.

Quelles seraient selon vous les forces et les lacunes du raisonnement keynésien sur la monnaie, l’investissement et l’effet multiplicateur?


Vous avez raison de mentionner la résurgence des idées keynésiennes lors de la crise de 2008 car, sans avoir jamais disparu, elles sont revenues sur le devant de la scène au cours des dernières années sous des formes certes un peu différentes de ce que Keynes aurait pu en dire lui-même mais en en gardant l’esprit.

Reste qu’il est effectivement intéressant de revenir sur les idées de Keynes lui-même qu’il exprime principalement dans son ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie où les concepts de monnaie, d’investissement et de multiplicateur jouent un rôle essentiel.

Ce qu’il faut comprendre à propos de Keynes, c’est qu’il était convaincu que l’économie de marché est en état de dépression chronique ou permanent. Pourquoi? Parce qu’il y a trop d’épargne et pas assez d’investissement et de consommation. C’est le fameux paradoxe de l’épargne de Keynes: si le revenu dépasse largement la consommation – à savoir qu’il y a « trop d’épargne » –, alors l’investissement ne sera pas suffisant pour absorber toute cette épargne. On observera alors une baisse de la demande, une hausse du chômage et in fine une baisse des revenus.

Or, dans une économie de marché, il serait, selon lui, très difficile de maintenir le niveau d’investissement adéquat car le capital est trop abondant et provoque une pression à la baisse du profit rendant les nouveaux investissements peu opportuns. “If there is an increased investment in any given type of capital during any period of time, the marginal efficiency of that type of capital will diminish as the investment in it is increased (…) the prospective yield will fall as the supply of that type of capital is increased, and partly because, as a rule, pressure on the facilities for producing that type of capital will cause its supply price to increase (…) ”

Pour sortir l’économie de son marasme, il faut donc augmenter la consommation. Or, on ne peut pas compter sur les consommateurs qui ont tendance à trop épargner, d’où le rôle donné à la dépense publique pour atteindre le plein emploi.

Les idées de Keynes ont été critiquées par un grand nombre d’auteurs, à commencer par Friedrich A. Hayek dans son livre Prix et production. D’autres se sont également attelés à cette tache comme Henry Hazlitt, Georges Reisman, James Ahiakpor, etc.

On trouve donc au cœur de la théorie keynésienne les notions d’investissement et de consommation ainsi que d’épargne qu’il me semble absolument crucial de discuter. John Maynard Keynes fait le raisonnement que si la consommation baisse, alors les dépenses dans l’économie baisseront elles aussi, entraînant la spirale dépressionniste qu’il décrit. Cependant, l’un n’entraîne pas forcément l’autre puisque la consommation ne décrit qu’une faible partie des dépenses réalisées au sein d’une économie. En effet, la majeure partie des dépenses faites dans une économie ne concerne pas les biens et services finaux (tels que mesurée par des agrégats comme le PIB) mais plutôt les biens et services intermédiaires. Chaque euro dépensé pour ces biens et services génère un revenu pour une entreprise. Quand on réalise cela, on prend conscience que dans une économie, les dépenses pour des biens de consommations en tant que telles ne représentent en proportion qu’une faible partie des dépenses totales.

Quand on se focalise – comme Keynes – sur ces dépenses, on peut in fine avoir une image tronquée de ce qui se passe au sein de l’économie. De façon plus générale, on peut sans doute reprocher à Keynes de se focaliser sur des valeurs nettes du revenu, de l’investissement, de l’épargne plutôt que sur des valeurs brutes. Si bien sûr le revenu net a son importance, il n’empêche que la notion de revenu brut est cruciale si on veut comprendre la dynamique de la production et comprendre ce qui se passe lors d’une dépression. En effet, Keynes examine un revenu net, c’est-à-dire un revenu dont il déduit certains coûts dont notamment les coûts d’amortissement (dépréciation). Ces coûts correspondent cependant à des achats à des entreprises pour justement renouveler le capital et permettre la poursuite au moins à l’identique des opérations. C’est à partir de ce revenu net qu’il déduit le montant qui pourra être consacré à l’épargne et à l’investissement. Ce montant se focalise sur l’épargne et l’investissement qui vont permettre d’ajouter du capital à celui déjà existant mais pas le capital qui permet de le remplacer. Or, cette partie est certainement beaucoup plus importante que l’autre et essentielle à la poursuite des activités au sein d’une économie. Cette vison des choses conduit à ignorer la majeure partie des revenus, de l’épargne et des investissements qui sont réalisés et donc à sous-estimer leur valeur.

Keynes fait aussi l’erreur de confondre épargne et thésaurisation. Cette dernière est certainement la partie la plus insignifiante de l’épargne. Elle n’est qu’une façon parmi d’autre d’épargner. L’épargne n’est rien d’autre qu’une façon d’utiliser ses revenus à autre chose que consommer. Elle peut passer par l’achat d’actions, d’obligations, de comptes d’épargne, d’un logement, etc. La thésaurisation est une façon d’accroître son épargne sous forme monétaire. Cette recomposition suppose souvent la vente d’actifs qui a un effet dépréciatif sur leur valeur. Elle est souvent le fait d’individus qui cherchent à restaurer leur liquidité parce que justement ils étaient arrivés à des situations d’illiquidité, typiques du haut du cycle économique. Quand les acteurs réalisent que les choses commencent à tanguer, ils recherchent la liquidité. Ce n’est pas la cause de la crise, mais seulement la conséquence et, à vrai dire, cela va avoir un effet bénéfique pour l’économie puisque les acteurs en question présentent alors moins de risque de se retrouver en situation d’illiquidité et de faillite. De plus, cette recherche de la liquidité va diminuer les dépenses dans l’économie. Cela va diminuer la valeur des actifs dans l’économie (prix des maisons et des biens de capital) et donc augmenter le rendement potentiel des biens de capital. Cela crée l’incitation nécessaire à investir de nouveau et crée les conditions du retour à la croissance.

Il n’est pas possible de revenir sur toutes les erreurs commises par l’analyse de Keynes du fonctionnement de nos économies. On aurait aussi pu parler de sa ferme conviction que la baisse des salaires ne va pas permettre un retour au plein emploi (les nouveaux keynésiens parlent plutôt de rigidité des salaires à la baisse). Reste que la critique principale qu’on peut faire à l’auteur est de passer à côté d’une grande partie des variables qu’il cherche à expliquer et finalement de proposer des solutions qui sont la cause des problèmes.

Vous prenez explicitement parti pour la théorie dite autrichienne du cycle des affaires dans votre dernier ouvrage. Essentiellement élaborée par Mises et Hayek, sous sa forme primitive, cette analyse voit en l’excès de l’offre de monnaie la cause ultime des phénomènes de boom et de récession. La nationalisation de la monnaie est présentée comme la source de ce déséquilibre entre offre et demande monétaires.

Pourriez-vous nous rappeler les grandes lignes du raisonnement qui sous-tend cette affirmation? En quoi la crise des subprimes constitue-t-elle l’illustration parfaite de la théorie autrichienne du cycle?


Effectivement, à l’inverse de Keynes, les économistes de l’école d’économie autrichienne voient dans les manipulations monétaires la cause des cycles économiques. Loin d’être inhérent à nos systèmes dits capitalistes, ils sont la conséquence d’un trop grand laxisme dans la création de monnaie.
 

   

« Je pense être une optimiste réaliste et surtout je suis consciente de ne pas forcément cerner tous les mécanismes à l’œuvre dans notre Grande société. Nous vivons dans des économies complexes qu’il n’est pas simple d’analyser et il faut se méfier des diagnostics trop hâtifs. »

   


Selon eux, un excès de monnaie – créé en multipliant les crédits offerts – va financer des projets d’investissement qui ne pourront pas tous être terminés, faute de ressources réelles. Au fur et à mesure que les acteurs vont s’en rendre compte, ils vont dans un premier temps chercher par tous les moyens des ressources pour finir leurs projets. Faute de les trouver, ils devront mettre la clé sous la porte. Ils se verront donc dans l’incapacité de rembourser les emprunts qui leur ont permis de se lancer dans ces aventures, menaçant ainsi la solvabilité des banques qui leur ont fait ces prêts.

La faillite d’un entrepreneur n’est pas un drame majeur pour la collectivité dans son ensemble. Elle peut être gérée assez facilement, en accompagnant l’entrepreneur concerné, ses salariés et ses créanciers.

En revanche, le problème est dû au fait qu’il arrive qu’un très grand nombre d’entrepreneurs fassent faillite au même moment. Il n’est plus question de la faillite d’un seul entrepreneur, mais d’un grand nombre d’entre eux qui font ensemble des malinvestissements. L’ampleur des erreurs ainsi commises rend impossible un atterrissage en douceur.

Le problème vient de ce que la création monétaire, qui s’exprime à travers une politique généreuse de crédit, suscite de véritable « cycles d’erreurs ». Elle trompe de nombreux acteurs, en leur permettant de se lancer dans des projets qui se révéleront impossibles à terminer et qui seront donc générateurs de pertes.

Car ces nouveaux crédits émis de façon excessive trouveront acquéreur à des taux d’intérêt artificiellement bas. Or, les taux d’intérêt sont une référence pour évaluer la profitabilité d’un projet. Lorsqu’on les manipule, on brouille la vision de l’entrepreneur et sa capacité à anticiper correctement ses profits et ses pertes potentiels. Le calcul économique, dont nous avons vu qu’il était nécessaire à un développement rationnel et durable, s’en trouve faussé.

Sur un marché libre, les taux d’intérêt résultent de la préférence temporelle des individus pour le présent. Vous comme moi préférons bénéficier immédiatement des services d’un bien plutôt que de devoir en profiter plus tard. Il est ainsi préférable d’avoir 100 euros aujourd’hui plutôt que demain. Pour se séparer de l’usage de ces 100 euros aujourd’hui, il faut espérer en avoir non pas 100 demain mais, par exemple, 105. Dans un tel cas, le taux d’intérêt est de 5%. Ce taux reflète la préférence pour le présent. Plus ce taux est élevé, plus la préférence pour le présent est forte, et plus il est faible, plus la préférence pour le présent est réduite.

Les taux d’intérêt sont donc normalement des prix supposés refléter la quantité d’épargne que les individus sont prêts à mettre à la disposition d’investisseurs, leur permettant ainsi de mener à bien leurs projets. Quand on manipule à la baisse ces taux, on laisse penser qu’il existe un stock d’épargne plus important et surtout que la volonté de consommer est moindre que ce qu’elle n’est en réalité. Ce point est fondamental pour comprendre que tous les projets lancés sur la base de taux d’intérêt faussés ne pourront pas tous être menés à bien.

En effet, la pression à la baisse des taux d’intérêt va inciter des entrepreneurs à se lancer dans des projets de durée de plus en plus longue, puisque les taux en vigueur indiquent – au moins sur le papier – qu’il est maintenant rentable de les lancer. Or, des projets de plus longue durée, c’est-à-dire plus capitalistiques, nécessitent une immobilisation plus longue de nombreuses ressources, dont il va falloir s’assurer la disponibilité pendant tout le processus de production.

Or, c’est justement là que les choses s’enveniment. En effet, puisque la préférence pour le présent des individus n’a pas changé, aucune ressource réelle n’a été libérée des processus de production visant la consommation immédiate où la demande reste inchangée.

Par conséquent, pour obtenir les ressources en travail, matières premières, etc., indispensables à la réalisation de ces projets plus capitalistiques, il va devenir nécessaire d’enchérir sur le prix des biens en question, ce qui alimente des bulles sur les marchés concernés. Ce faisant, la marge de profitabilité des projets va diminuer par rapport aux projets qui satisfont plus rapidement les besoins des consommateurs.

Ce renchérissement du prix des matières premières va aussi susciter des besoins de liquidités supplémentaires auprès des banques. Si celles-ci sentent leur solvabilité menacée, elles peuvent décider de ne plus octroyer de nouveaux crédits provoquant ainsi la faillite des entrepreneurs en question. C’est d’autant plus probable que le renchérissement des prix peut être à l’origine de tensions à la hausse du niveau général des prix, incitant les banques centrales à remonter leurs taux directeurs rendant le refinancement des banques commerciales plus difficile.

C’est alors que la bulle éclate avec fracas et entraîne l’arrêt de nombre de projets, la faillite en cascade d’entreprises et l’augmentation du taux de chômage. Ces phénomènes sont la preuve que de nombreux malinvestissements ont été produits. Ils montrent aussi que des ajustements au sein de la structure de production sont nécessaires.

La spécificité de l’école d’économie autrichienne est ainsi de montrer les effets de la création monétaire sur la structure de production, à savoir qu’elle est augmentée de façon artificielle et insoutenable et doit être diminuée pour se réadapter aux préférences des consommateurs.

Enfin, la crise des subprimes me semble être le parfait exemple du cycle économique et j’y consacre d’ailleurs un chapitre dans mon dernier livre. Plus encore, on ne peut vraiment pas accuser cette crise d’être le symbole d’un capitalisme débridé quand on analyse les faits d’un peu plus près. Car que constate-t-on à ce sujet? Qu’elle est le pur produit de l’interventionnisme, et ce:

  • dans le domaine monétaire, avec une politique monétaire accommodante de la part de la Fed, la monnaie rappelons-le restant un bien public;

  • dans le domaine bancaire, le Community Reinvestment Act visant à favoriser les crédits auprès des minorités défavorisées;

  • et enfin dans le domaine foncier, l’explosion des prix s’étant concentrée là où dès les années 1970, les politiques dites de « développement intelligent » ont limité l’usage du foncier. Le tout s’est accompagné d’un marché immobilier « distordu » où des entités que je qualifierais de faussement privées comme Fannie Mae et Freddie Mac ont permis et facilité l’accumulation de crédits de qualité de plus en plus faible.

Dans un tel contexte, ceux qui ont accusé les fameuses déréglementations bancaires – qui ont effectivement permis aux quelque 9 000 banques américaines de se développer sur l’ensemble du territoire plutôt que de rester confiner à des activités dans leur État de création – ne voient que la toute petite partie émergée de l’iceberg.

Bien loin de la vision, trop souvent répandue, d’un marché américain qui aurait pâti d’une déréglementation à outrance, l’histoire montre au contraire que les subprimes sont une coproduction des pouvoirs publics et d’acteurs privés chargés d’exécuter leurs souhaits.

Il n’est pas rare dans les débats d’expert de brandir la notion de développement durable comme prétexte automatique pour toutes sortes d’interventions et de dépenses publiques. Vous écrivez que « l’austérité est au service du développement durable » et non point en contradiction avec celui-ci. Pourriez-vous expliciter et justifier cette affirmation iconoclaste?

Il n’est pas simple de se faire une idée précise de la question, car les mesures d’austérité recouvrent des situations très différentes aux effets économiques parfois diamétralement opposés. Les politiques de rigueur ou d’austérité sont des politiques publiques visant à rétablir l’équilibre des comptes publics. Or, cet équilibre peut être atteint par des moyens différents. Le premier consiste à augmenter les recettes fiscales, alors que le second vise à réduire les dépenses publiques. Souvent, les politiques mises en place sont un mélange des deux types de mesures, puisque les comptes publics peuvent être rétablis si les recettes augmentent plus vite que les dépenses.

En fait, les politiques visant à rééquilibrer les comptes publics peuvent s’inspirer de deux philosophies diamétralement opposées. Celle qui voit dans l’État la source de la croissance et se traduit pas une hausse des impôts et celle qui, au contraire, juge que la croissance de l’État nuit à la croissance économique et qu’il faut inverser la tendance en diminuant les dépenses. Dans le débat actuel, la faillite des mesures d’austérité est jugée à l’aune de la baisse des dépenses publiques qui serait sans précédent. Cette situation ne décrit pas la réalité européenne et encore moins française: « La France se situe d’ailleurs dans le peloton de tête des pays où les dépenses et les impôts ont le plus augmenté. »

En effet, pendant toute la période durant laquelle les mesures d’austérité ont été mises en place, les gouvernements ont continué à augmenter les dépenses. Les diminutions de déficits observées dans plusieurs pays ont été réalisées grâce à une augmentation plus rapide des recettes fiscales par rapport aux dépenses. C’est précisément ce que les données d’Eurostat montrent, avec une augmentation des recettes de 1,6 point de PIB entre 2009 et 2013, soit une hausse de 14,6%.

Si les dépenses publiques ont baissé de 2 points de PIB de 2009 à 2012, elles sont restées supérieures de 3,5 points au niveau d’avant-crise (49% en 2013 contre 45,5% en 2007).

Plus encore, les dépenses des gouvernements n’ont jamais cessé de croître pour l’Union européenne dans son ensemble depuis le début de la crise financière, sauf en 2011 où elles sont restées constantes. Elles ont crû de 6,5% entre 2009 et 2013, période pendant laquelle les politiques d’« austérité » sont censées avoir été mises en œuvre. La France, quant à elle, a vu ses dépenses augmenter de 9,8%.

L’austérité fiscale est donc une réalité pour les contribuables qui ont vu leur pouvoir d’achat diminuer sous l’effet de l’augmentation de la pression fiscale, mais pas pour les États qui tardent à se mettre au régime.

On voit donc bien la forme que prend la rigueur en France. Elle touche les ménages, en limitant leur pouvoir d’achat, alors que la baisse des dépenses publiques se fait attendre. Dans ce contexte, il n’y a plus grand-chose à espérer de nouvelles augmentations de la fiscalité, alors qu’il y aurait beaucoup à attendre d’un retour à l’initiative privée, l’entrepreneuriat, l’innovation, la créativité.

À l’inverse, le Canada est sans doute le cas le plus emblématique d’une austérité réussie ayant permis un retour à une croissance durable.

Au milieu des années 1990, le Canada subit une grave crise de ses finances publiques. Confrontés à une dette publique qui atteint 67% du PIB, en hausse de 11 points par rapport à 1974-1975 et à un déficit de 5,3%, les pouvoirs publics décident d’entamer un vaste programme de baisse des dépenses afin de supprimer le plus rapidement possible le déficit. Ce sera mission accomplie en un temps record puisqu’en 1997-1998, le gouvernement du Canada enregistre son premier surplus budgétaire depuis 28 ans. Il sera suivi de 11 autres et surtout d’une croissance économique qui fera envie aux autres pays de l’OCDE.

En effet, de 1997 à 2003, l’emploi au Canada augmente en moyenne de 2,3% par an et le taux de croissance est de 2,8%. C’est le taux le plus élevé des pays du G7. Le revenu réel des Canadiens, mesuré en termes de pourcentage du PIB/habitant, va augmenter de 20% pendant cette période. Alors que le Canada était le deuxième pays le plus endetté en 1993, il se trouve être le meilleur élève en la matière en 2007.

Il est tentant de rapprocher ces bons résultats économiques d’un classement réalisé par l’institut de recherche Gallup qui mesure les endroits où les gens s’estiment les plus heureux. En février 2012, dans le cadre d’un sondage réalisé dans 160 pays, le Canada se situait juste après le Danemark en termes de satisfaction.

Il y a donc là matière à s’interroger sur cette croyance selon laquelle les baisses des dépenses publiques seraient nécessairement négatives au point de vue de la croissance et du bonheur en général pour les individus.

Le modèle social français, en ce qui concerne la cotisation, la prise en charge des soins et le financement des retraites, est souvent décrit comme la quintessence de l’État-providence et comme une réussite que le monde entier nous envie. Pourquoi la réalité est-elle selon vous moins rose qu’il ne paraît au prime abord?

Concernant cette question, il faut à mon avis distinguer la question santé de la question retraite. On peut effectivement dire que notre système de santé offre de bonnes prestations et que comparativement à d’autres, les Français sont plutôt bien lotis. Sauf que les choses changent à grande vitesse.

Le problème de notre système est qu’il coûte très cher. La protection sociale et la maladie ont absorbé 33% du PIB en 2012. Depuis 1996 et la mise en place de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie), la stratégie a consisté à renforcer le rôle du monopole public en santé, à savoir étatiser davantage la santé à tous les niveaux et saper progressivement les piliers libéraux sur lesquels notre système repose encore. Or, on peut légitimement penser que ces piliers libéraux jouent un rôle important dans la qualité de notre système. Certes, ce système coûte cher mais on n’y meurt pas « en raison de listes d’attente pour la prestation de soins de santé publique », contrairement à ce qu’on a constaté dans le système étatique canadien, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada.

Depuis 2005, la mise en place en France du parcours de soin coordonné oblige de facto les patients à se choisir un médecin traitant qui – comme dans le système anglais – sert de « gatekeeper », c’est-à-dire de passage obligé pour consulter un spécialiste. Le secteur libéral, sur la sellette, se voit progressivement mis sous tutelle. La liberté d’installation est menacée, les dépassements d’honoraires sont traqués et la liberté de prescription est de plus en plus limitée. En 2008, les pouvoirs publics ont supprimé la liberté d’installation des infirmières libérales et celle des médecins est périodiquement remise en question.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2015 va encore plus loin, avec une batterie de nouvelles mesures entravant les acteurs et bloquant le fonctionnement du mécanisme des prix. À la généralisation du tiers payant s’ajoutent la poursuite de la promotion active des génériques, le renforcement du mécanisme par lequel les laboratoires pharmaceutiques contribuent au financement des dépenses ou le renforcement des leviers des Agences régionales de santé. Tout cela contribue, une fois de plus, à réduire les marges de manœuvres des patients et patriciens et à accroitre le contrôle bureaucratique.

Il est à craindre que les effets pervers constatés dans les systèmes de santé totalement étatisés – tels le Canada ou le Royaume-Uni – ne se manifestent de plus en plus chez nous. Il est donc judicieux de se demander si nous avons pris la bonne voie en cherchant à supprimer la concurrence. Parler de concurrence en santé peu paraître incongru, mais c’est sans doute la meilleure façon de faire des économies sans supprimer les marges de choix des individus tout en préservant la qualité. Même en santé, l’importance du calcul économique est cruciale. C’est la seule façon de s’assurer que les primes payées par les assurés se rapprochent au plus près des attentes des patients, tout en donnant aux assureurs les moyens et les motivations de modifier leur niveau de couverture si besoin est.

Là est la cause de l’échec des politiques de maîtrise comptable des coûts menée en France. Dans les systèmes étatisés, les pouvoirs publics, otages du système qu’ils ont établi, sont incapables de savoir si une prestation est payée au juste prix ou pas. Ils s’appuient sur des prix administrés qui ne correspondent pas à la confrontation d’une demande et d’une offre. Ils ne permettent donc pas de savoir si les ressources sont utilisées de façon efficace ou pas. Les régulateurs sont alors condamnés à agir en aveugle, au gré des modes et des lobbys. Les différents prestataires de soins sont eux aussi perdants. Ils sont face à un opérateur unique, quand ils pourraient avoir des sources de revenus diversifiées s’il y avait des assureurs en concurrence. Et, in fine, tous les consommateurs sont pénalisés, prisonniers d’un panier de soins unique qui coûte cher et ne correspond pas nécessairement à leurs besoins.

Côté retraite, la France a fait le choix de la répartition. Or, force est de constater que depuis 2005 nous en sommes sortis puisque les cotisations des personnes actives ne suffisent plus à financer les prestations promises aux personnes à la retraite. Il est devenu nécessaire de recourir à l’endettement chaque année pour payer les montants dus au titre des retraites.

En 2011, ce sont 290 milliards d’euros qui ont été versés au titre de la vieillesse. Ces sommes sont financées par les actifs pour l’essentiel, les contribuables pour partie et par la dette, donc en partie par les générations futures.

Cet endettement est révélateur d’un problème structurel beaucoup plus profond qui tient, en partie, à l’évolution démographique de la France. Tout en gardant un niveau de fécondité relativement élevé par rapport à d’autres pays de l’Union européenne, elle voit néanmoins le ratio pensionnés sur cotisants augmenter. Le nombre de retraités s’accroît plus rapidement que celui des cotisants, si bien que l’équilibre financier des systèmes de retraite par répartition se dégrade. L’endettement a permis de repousser les ajustements, mais il ne constitue pas une solution viable à long terme.

Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste quant au succès des idées libérales dans le monde de demain? Que conviendrait-il de faire, selon vous, tant au plan des réformes politiques que de la démarche du « simple citoyen », pour influer positivement sur l’avenir de la liberté à long terme?

Je pense être une optimiste réaliste et surtout je suis consciente de ne pas forcément cerner tous les mécanismes à l’œuvre dans notre Grande société. Nous vivons dans des économies complexes qu’il n’est pas simple d’analyser et il faut se méfier des diagnostics trop hâtifs.

Nous vivons une période extrêmement intéressante car on sent qu’un certain nombre de choses – qui semblaient totalement acquises – sont remises en question. J’ai créé l’Institut Molinari, il y a maintenant plus de 10 ans. Des sujets comme le monopole de l’assurance maladie ou le principe de précaution sont bien davantage discutés aujourd’hui qu’ils ne pouvaient l’être, il y a quelques années. On voit dans des avancées certaines sur des sujets importants. Cela me rend confiante dans l’avenir. Maintenant, il est certain que les choses ne vont pas être faciles car les débordements monétaires ont continué et il est fort à craindre que nous traversions prochainement un nouvel épisode financier douloureux dont il est très difficile de prévoir l’issue.

Je continue donc de croire que la diffusion des idées, la discussion, le débat sont à même d’influer sur la liberté à long terme.

Si on veut parler de réforme plus spécifique – en particulier dans le cas de la France –, je suis persuadée que le jour où nous aurons le courage de flexibiliser le marché du travail, nous redonnerons le sourire aux Français et la confiance qui leur manque tant et les amène à se tourner vers les extrêmes. Le taux de chômage en France n’est plus passé sous la barre des 4,5% de la population active depuis 1978. Il atteint aujourd’hui plus de 10%.

La peur du chômage reste une tendance lourde de la société française avec son lot de conséquences sociales et psychologiques. Cela en alimente une autre peur très bien décrite par Éric Maurin(2): celle du déclassement. « Cette angoisse sourde, qui taraude un nombre croissant de Français, repose sur la conviction que personne n’est à l’abri, qu’une épée de Damoclès pèse sur les salariés et leurs familles, que tout un chacun risque à tout moment de perdre son emploi, son salaire, ses prérogatives, en un mot son statut. »

Cette peur façonne les idées des individus et oriente nombre de comportements et mouvements sociaux qui d’une certaine façon paralysent notre société en exacerbant des inégalités profondes. En rendant le marché du travail plus ouvert, je crois qu’on ferait plus pour la liberté qu’avec n’importe quelle autre réforme. À vrai dire, elle rendrait sans doute possible toutes les autres.

Aussi bien dans votre essai « C’est trop tard pour la Terre! » que dans votre ouvrage Trop tard pour la France? vous consacrez de nombreuses pages au principe de précaution, lequel fait l’objet d’une critique dense et percutante de votre part. Pourriez-vous revenir d’une manière exhaustive, minutieuse et synthétique sur les éléments clefs de votre propos?

Oui, ce sujet me préoccupe depuis des années car je ne crois pas à la gestion publique des risques, ce que le principe de précaution instaure de facto. De la même façon que Ludwig von Mises annonçait l’impossibilité du calcul économique dans les économies socialistes, c’est un leurre de croire que l’on peut gérer le risque de façon publique.

Il faut comprendre un aspect essentiel de la vie, à savoir que si des risques peuvent être associés à une action donnée, d’autres risques sont associés au fait de ne pas agir.

Le danger du principe de précaution est qu’il nous invite à ignorer certains risques, à imaginer qu’une action quelle qu’elle soit peut être exempte de risque, ce que tout individu sait être impossible par son expérience personnelle. Parce que les êtres humains ne disposent pas d’informations et de connaissances parfaites sur les choses et ne peuvent prédire avec certitude le futur, ils se trouvent nécessairement dans une situation où certes l’action comporte des risques mais l’inaction en comporte tout autant. À l’extrême, l’inaction entraîne la mort.

Nous sommes donc condamnés à agir pour vivre, à changer pour maintenir notre existence. Il est vrai que personne ne souhaite agir à tort et à travers au risque justement de se nuire à lui-même et aux autres. Comment sortir de ce dilemme? Il faut bien trouver un moyen de sélectionner entre des comportements aux risques acceptables et des comportements dangereux. C’est bien là ce que se propose de faire le principe de précaution.

Ce principe souffre malheureusement d’un biais qu’il est crucial de mettre en perspective afin de le mesurer ensuite aux autres alternatives de gestion du risque, en particulier celui de la responsabilité individuelle qui applique le principe de prudence.

Il y a deux types d’erreurs possible par rapport à un changement envisagé qui dans un cas peut rendre le monde plus sûr et dans l’autre plus dangereux. La première est de considérer qu’un changement inoffensif est dangereux et donc de ne pas faire le changement. La seconde est de croire qu’un changement améliorera la sécurité alors qu’il se révélera au contraire dangereux. Le premier type d’erreur est illustré par les bétabloquants. Ils réduisent le risque de mortalité des gens atteints d’affection cardiaque. La Food and Drug Administration (FDA) a refusé l’autorisation des bétabloquants durant cinq ans. Pendant cette période, des milliers de personnes sont décédées suite à des crises cardiaques. Le second type d’erreur peut être illustré par la Thalidomide des années 1960. On pensait que ce médicament rendrait le cycle menstruel plus régulier, mais il a eu comme résultat la naissance d’enfants avec des membres déformés.

Le défi est donc de trouver le juste équilibre entre ces deux types d’erreur qui comportent des coûts humains et sociaux: entre le fait d’aller trop vite (laisser passer trop de mauvais produits) ou le fait d’aller trop lentement; autrement dit entre les risques liés à l’innovation et les risques de l’immobilisme technologique.

La solution réglementaire et politique ne présente pas les garanties offertes par la solution de marché. Pour les raisons que nous allons exposer ci-dessous, sous l’égide du principe de précaution, les autorités réglementaires favoriseront les choix les plus conservateurs. En effet, ceux qui prennent les décisions en matière d’autorisation d’une technologie sont des hommes comme les autres. Comme dans tout autre domaine, ils serviront leurs concitoyens à condition que cela soit en harmonie avec la poursuite de leur propre intérêt. Or, le sort de ces personnes est lié à celui de l’agence de réglementation pour laquelle ils travaillent et celle-ci dépend des budgets que les hommes politiques lui allouent. La pire chose qui puisse leur arriver est qu’un scandale médiatique éclate et qu’il affecte leur budget. De ce point de vue, les deux types de risque ne sont pas équivalents. En effet, lorsqu’un produit est mis sur le marché et qu’il est dangereux, il fait des victimes et les risques de scandale et de sanction sont donc plus grands. Par contre, les victimes d’un produit qui n’a jamais été autorisé sur le marché ne sont pas identifiables. Une personne qui meurt d’une crise cardiaque ne sait en général pas qu’un produit aurait pu la sauver s’il avait été autorisé.

Alors que la carrière et la rémunération de ceux qui prennent les décisions sont en fonction du nombre de produits dangereux détectés et refusés, à l’inverse ils ne bénéficient d’aucune motivation particulière à bien veiller à ce que ne soient pas rejetés des produits bons ou inoffensifs.

Les solutions de marché ne présentent-elles pas le vice inverse, à savoir qu’elles privilégieraient toujours les solutions favorables à l’innovation quel qu’en soit le prix? Ce résultat est loin d’être évident. En effet, toutes les entreprises sont normalement prisonnières de contraintes de prudence. Aucune entreprise – qui veut maintenir sa réputation – ne peut se permettre de lancer n’importe quel produit sur le marché car elle est soumise à la responsabilité juridique et à un impératif de bonne réputation.

Les entreprises investissent des milliards dans des actions de communication pour créer et maintenir une réputation qui du jour au lendemain peut être ruinée en cas de scandale. Cette simple discipline financière signifie que les entreprises sont contraintes d’employer des gens dont le seul rôle est en permanence de se faire les « avocats du diable », et d’expliquer pourquoi il ne serait pas sage de faire ceci ou cela. De ce fait, les résistances au changement dans les entreprises modernes ne sont en réalité pas moins fortes que dans toute autre organisation. Courent-elles le risque d’être aussi conservatrices que les autorités publiques? Non, car à la différence des ces dernières, les entreprises privées sont également soumises à la concurrence et à la loi du profit. Pour survivre – à la différence des organismes publics –, elles sont forcées, malgré toutes les contraintes de prudence auxquelles elles sont aussi soumises, d’innover et de faire appel à des « avocats de l’innovation et du progrès ».

« La caractéristique de la firme moderne est ainsi d’organiser un dialogue permanent entre les pour et les contre. »

C’est au sein des entreprises soumises à la fois au principe de prudence et à la loi du profit que l’on a le plus de chance de trouver le processus décisionnel le mieux à même de garantir que les décisions seront prises après un débat aussi argumenté, rationnel et équilibré que possible.

D’autre part, il est important de rappeler qu’il existe sur le marché des méthodes efficaces de gestion du risque. La technique de l’assurance en est un bon exemple. Elle ne consiste pas à interdire ou à éviter le fait qu’un événement malheureux se produise – comme le vol ou l’incendie –, mais elle permet aux assurés de se prémunir contre eux en éliminant le risque associé à celui-ci. Cela ne signifie pas que l’assuré soit déresponsabilisé. Bien au contraire, ce type de contrat entre assuré et assureur crée des incitations favorables à des comportements prudents de la part de l’assuré. Ceux-ci limitent l’importance ainsi que la possibilité d’apparition des risques. L’assureur a tout intérêt à inciter son client à prendre les précautions nécessaires pour éviter la multiplication des sinistres. Il en va de la pérennité de son activité. Il est fort courant, par exemple, qu’un assureur exige de son client, une porte blindée, une alarme ou la présence d’un extincteur pour accepter de l’assurer. Il en va de même dans le cas d’une assurance contre des risques que le client fait courir à autrui. L’assurance privée promeut ainsi la prévention, l’autodiscipline et la modération dans la prise de risques.

Enfin, la « précaution » érigée en principe de décision publique entrave le processus de découverte dont l’objet est largement la gestion du risque. Si les hommes ne peuvent jamais tout savoir sur tout, ils peuvent néanmoins réduire ou mieux gérer les risques en développant les connaissances qu’ils ont du monde qui les entoure. D’ailleurs, les assureurs ont intérêt à participer à un tel développement en découvrant les informations correctes concernant les risques qu’ils traitent. A contrario, en prohibant certaines activités à cause des risques qu’elles impliqueraient, plus personne n’est incité à entreprendre les recherches permettant d’identifier au mieux ces risques et de les réduire.

Accepter la gestion du risque par le principe de précaution, c’est prendre le risque de ne plus avancer, de privilégier systématiquement l’immobilisme et le statu quo alors qu’un système de responsabilité individuelle permet de balancer prise de risque et prudence. Cette responsabilité est régie en France par l’article 1382 du Code civil français selon lequel: « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »

Le législateur français a mis la main dans un engrenage dangereux, exposant les citoyens à des risques de « dommages graves et irréversibles ». Il est pour le moins curieux d’appeler « principe de précaution » un concept nous invitant à ignorer les risques de l’interdiction. De plus, son application doit entraver le développement des moyens permettant de se prémunir contre les risques. Ces moyens sont l’assurance, le développement de la connaissance des risques, l’augmentation de l’investissement. Ils se développent avec le respect de la propriété privée et permettent développement économique et prospérité. Sans liberté économique et sans la responsabilité que le cadre légal établit et exige de la part de chaque individu, il n’y a pas de bonne gestion du risque.

Notre entretien touche à sa fin. Aimeriez-vous ajouter quelques mots?

Merci pour toutes ces questions pertinentes qui m’ont obligée à revisiter certains sujets et parfois même en explorer certains que je n’avais qu’effleurés. Ce fut une interview exigeante.

*Entretien d'abord publié le 3 décembre 2014 sur le site de l'Institut Coppet.

 

1. Vincent Valentin, Les Conceptions néo-libérales du droit, Économica, 2002. Cité dans Simonnot, 2004, p. 264.
2. Maurin, Éric, La Peur du déclassement, Éditions du Seuil, « La République des Idées », octobre 2009, p. 5.

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Grégoire Canlorbe est un entrepreneur intellectuel français. Il réside actuellement à Paris.

   
 

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