Montréal,  4 déc. - 17 déc. 1999
Numéro 51
 
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           Vos commentaires  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
DÉBAT
  
LIBERTÉ VS DISCRIMINATION - 1
 
 
          Dans un certain nombre de cas, la charge de la preuve est renversée (voir UN JUGEMENT ABSURDE, le QL, no 50). Cette règle majeure, qui veut que l'accusé est innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit prouvée devant un tribunal, n'est plus respectée dans nombre de cas. 
 
          La condamnation de M. Sinatra pour discrimination n'aurait jamais dû être prononcée, non seulement pour la raison que tout le monde a le droit de s'associer avec qui il veut, et le droit parallèle de refuser une association, mais aussi parce que l'accusateur aurait dû prouver, chose par définition impossible, qu'il était victime d'une discrimination. Car si j'ai bien compris, il a été demandé à M. Sinatra de justifier son choix, donc il lui a été demandé la preuve de son « innocence ». 
 
 
          [À propos de la discrimination, je dois dire que le marché punit ceux qui fondent des jugements sur des critères non pertinents: les racistes seraient les premières victimes de leur comportement, si celui-ci s'étendait à l'économie. En fait, ils pratiqueraient sur eux-même un embargo!] 
 
          Les règles de stabilité, de non-rétroactivité sont déja tombées. Si cette troisième règle de droit venait à tomber à son tour, on se demande ce qui resterait du système juridique (en général). 
 
          À bientôt, Québécois Libres! 
 
Hervé Duray
France
 
 


 
LIBERTÉ VS DISCRIMINATION - 2
 

          C'est vraiment n'importe quoi ce que vous dites du Tribunal des droits de la personne! (voir UN JUGEMENT ABSURDE, le QL, no 50) Que vous n'ayez pas été d'accord avec la décision, ça va; que vous trouviez comme moi que la preuve était loin de permettre de condamner le propriétaire, ca va aussi... 
  
          De prétendre que le tribunal des droits de la personne est un racket juridique, avec tout ce que cela comporte de péjoratif, est un peu irresponsable de la part d'un journal libertaire. À moins que vous ne vous réclamiez de la philosophie lockienne au point d'oublier que le libéralisme livresque est inapplicable sinon en faisant tendre vers la droite. 
  
          Lire mot à mot la lettre d'un lecteur au sujet de l'affaire Sinatra me laisse confuse. J'ai peine à croire que certaines personnes ignorent encore que la disrimination fondée sur l'origine ethnique est interdite.  
 
          Après avoir rappelé que notre M. Sinatra a refusé de louer un logement à une personne de « race noire » (si tant est que la couleur de la peau soit une « race »...), le lecteur se demande « de quelle nature pouvait bien être la discrimination ». Il y a certainement quelque chose qui m'échappe dans cette intervention. Car il y a une marge entre la position de Martin Masse voulant que la protection des droits fondamentaux dans le domaine privé soit anti-libertaire et l'incrédulité de celui qui réalise que la discrimination interdite est interdite!  
  
          Oui, il était bien question de discrimination fondée sur l'origine ethnique. Oui, le refus de louer un appartement à quelqu'un PARCE QU'il est noir est interdit au Québec. Il n'est pas ici question de donner priorité aux personnes noires, la discrimination positive n'ayant rien à voir ici.  
  
          Après avoir étudié les faits de cette histoire, la juge du Tribunal des droits de la personne a conclu que le propriétaire Sinatra a refusé de louer son appartement au plaignant parce qu'il était Africain, ce qui contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Les propos de M. Sinatra étaient effectivement assez inquiétants: Il a dit ne pas vouloir louer à un étranger de peur qu'il manque de travail, qu'il retourne dans son pays et donc qu'il ne paie pas son loyer.  
  
          La moindre des choses est de lire les jugements sur lesquels nous voulons avoir une opinion, surtout lorsqu'on veut dire qu'ils sont absurdes. Vous pouvez le faire à cette adresse 
 

Véronique Robert-Blanchard
Montréal
  
  
Réponse de Martin Masse: 
 
 
Madame Robert-Blanchard,  
  
          J'ai lu le jugement en question et vous remercie de nous avoir envoyé le lien. Vous comprenez toutefois, je pense, que d'un point de vue libertarien (et non « libertaire » – les libertaires sont des anarchistes de gauche qui s'opposent au marché), tout cet argumentaire du juge pour arriver à la conclusion que M. Sinatra a discriminé reste absurde.  
  
          Dans un marché libre, il y a des gens qui pensent de toutes sortes de façons, et il suffit d'aller voir ailleurs pour trouver chaussure à son pied. On ne peut pas forcer quelqu'un à transiger avec nous. Au contraire, à partir du moment où les droits de propriétés sont limités par d'autres « droits », comme celui de ne pas être victimes de discrimination lors d'un échange commercial, toutes les transactions (ou absences de transactions) sont alors sujettes à être passées au peigne fin par l'État, pour voir si elles ne contreviennent pas à l'un ou l'autre de ces autres droits. Vous considérez ces droits comme « fondamentaux » mais ils m'apparaissent au contraire comme de simples privilèges accordés à des personnes sur la base de caractéristiques arbitraires, selon la mode politically correct du moment (voir à ce sujet LES BIENFAITS DE LA DISCRIMINATION, le QL, no 43).  
  
          M. Sinatra a en effet « discriminé » contre M. Bia-Domingo dans la mesure où il a jugé que son statut de pigiste et d'étranger ne garantissait pas qu'il paierait son loyer de façon régulière et pour toute la durée du bail. Dans le jargon juridique, il s'agit de discrimination sur la base de la « condition sociale » et de l'« origine ethnique ». Contrairement à vous, je trouve qu'il n'y a rien d'inquiétant là-dedans, mais qu'il s'agit au contraire d'une évaluation rationnelle des risques dans une transaction. À l'opposé, la dame à qui l'appartement a été loué n'avait pas un revenu plus élevé, mais avait l'avantage de connaître le locataire qui partait, une information qui permet de réduire ce risque.  
  
          Vous pouvez ne pas être d'accord avec l'évaluation de M. Sinatra. Vous pouvez même penser que louer à des pigistes étrangers constitue un risque MOINS élevé, et préférer leur louer votre appartement plutôt qu'à quelqu'un d'autre. Vous pouvez le faire parce que vous croyez ainsi réduire vos risques financiers ou pour des raisons humanitaires. Vous devriez en fait pouvoir penser ce que vous voulez et faire ce que vous voulez avec VOTRE propriété.  
  
          Je ne crois pas qu'il revient à l'État et à ses juges de décider ce qu'on a le droit de penser et de ne pas penser, comment on peut ou ne peut pas évaluer les risques d'une transaction, avec qui on doit ou ne doit pas conclure une transaction, et ultimement ce qu'on peut ou ne peut pas faire avec sa propriété dans la mesure où l'on ne porte pas atteinte à celle d'autrui. La position libertarienne, contrairement à tous le fatras idéologique politically correct qui colore le débat sur ces questions de nos jours, ne fait pas de compromis là-dessus.  
  
          Bien à vous,  
 
M. M. 
  
  
Note: Un extrait du jugement en question, qui explique la justification de la juge Michèle Rivet pour limiter les droits de propriété, est publié dans la chronique MOT POUR MOT en page 8.
 
 
 
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