15 décembre 2015 • No 337 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
Entretien
Entretien avec François-René Rideau sur l'individualisme méthodologique en sciences sociales et la mémétique - neuvième partie
propos recueillis par Grégoire Canlorbe (huitième partie)


François-René Rideau est un informaticien français. Parmi les sites qu'il anime, Bastiat.org est consacré à l'oeuvre de l'économiste libéral Frédéric Bastiat, Le Libéralisme, le vrai contient ses essais, et Cybernéthique est son blog apériodique.

16. L’individualisme méthodologique pose que les phénomènes collectifs (au sens large: pratiques, croyances, structures) peuvent et doivent s’expliquer comme le résultat des procès d’agrégation des actions intentionnelles commises par les individus humains. Si vous deviez donner un seul et unique argument en faveur de l’individualisme méthodologique en sciences sociales, lequel serait-il ?


Merci d'avoir tourner votre question d'une façon qui m'empêchera de me lancer dans une logorrhée de plus.

Dans une approche de reductio ad claritatem, précisons d'abord ce que l'on entend par « individualisme méthodologique ». L'individualisme méthodologique consiste à remarquer que toute action humaine prend source dans la décision d'un individu: l'individu est l'unité qui acquiert et transforme l'information, décide, agit, subit; si vous donnez une information à l'un, aucun autre ne la possède magiquement sans communication ni espionnage, ni ne peut agir en connaissance de cause; les préférences, intentions, jouissances et souffrances résident, vivent et meurent dans les individus; les incitations fonctionnent au niveau individuel; etc. Notons que l'individualisme méthodologique ne consiste pas en un déni de l'existence de motifs récurrents, structures et régularités dans le comportement humain à grande ou à petite échelle. Bien au contraire! L'individualisme méthodologique a précisément pour objet l'étude de ces motifs récurrents, structures et régularités. À quoi croyez-vous donc que cette méthode prétend s'appliquer?! La raison qu'on appelle les individus « individus » est justement qu'on ne regarde pas ce qui se passe à l'intérieur (c'est indivis), mais ce qui se passe entre eux! Ensuite, si vous voulez faire de la psychologie ou des neurosciences, c'est possible, mais d'une part ce n'est plus de l'économie, et d'autre part cela n'ajoute aucune force en dehors des individus, seulement une explication des forces à l'intérieur des individus.

S'il faut choisir un seul argument en faveur de cet individualisme méthodologique, ce sera donc que si vous pouvez mettre en évidence un phénomène qui va en contradiction avec l'individualisme méthodologique, alors vous pouvez facilement gagner un million de dollar avec le One Million Dollar Paranormal Challenge. Il vous suffit de montrer comment un supposé collectif peut agir, par une force mystique, sans qu'aucun individu n'agisse, voire malgré l'action de tous les individus, ou autrement que par l'action des individus. Quant aux les phénomènes qui s'expliquent par l'action des individus, non seulement ils ne contredisent pas l'individualisme méthodologique, mais sont explicitement son sujet.

17. Il est bien connu que l’individualisme méthodologique s’oppose au holisme selon lequel les phénomènes collectifs peuvent et doivent s’interpréter comme la propriété d’entités supra-individuelles: la tribu, la famille, la classe sociale, la coutume. L’individualisme méthodologique récuse également l’explication dite infra-individualiste, laquelle invoque des entités infra-individuelles pour rendre compte des phénomènes sociaux.

La conception dite méméticienne de la culture proposée par Richard Dawkins, selon laquelle la culture est faite d’unités d’information, les « mèmes », qui se propagent d’un individu à l’autre à la manière d’un virus, constitue une explication typiquement infra-individualiste. Selon cette hypothèse les êtres humains sont le simple véhicule des mèmes pour leur propagation. Ils sont une sorte de pâte à modeler (douée de conscience) sur laquelle les mèmes viennent imprimer leur influence – moyennant la part irréductible de certains comportements ancrés dans nos gènes. Quel regard portez-vous sur l’hypothèse méméticienne?


C'est quand « il est bien connu » que deux et deux font cinq qu'il est urgent d'injecter une bonne dose de bon sens. Encore et toujours, ma réponse consistera à reconnaître les harmonies naturelles, rejeter les fausses oppositions, à remettre les concepts à leur place, et à identifier la source et la nature du Mal. En l'occurrence, je réaffirmerai la signification et l'importance de l'individualisme méthodologique tout en rendant au holisme et à la mémétique ce qui leur revient ‒ et je ferai un procès à une approche émotionnelle binaire du monde qui résumerait toutes les différences à des « oppositions »: le rejet d'ensemble d'une théorie n'implique pas une inimitié cosmique condamnant point à point chaque élément de ladite théorie.

L'individualisme méthodologique, tel qu'explicité à la question précédente, ne nie pas l'existence d'entités supra-individuelles, comme les familles, clans, tribus, nations, sociétés, pas plus que d'entités infra-individuelles, comme les passions, sentiments, idées, vices, vertus, biais cognitifs, heuristiques, etc. Bien au contraire! Comme nous l'avons vu dans une question précédente, la praxéologie et son individualisme méthodologique consistent précisément à tisser des histoires, reconnaître des motifs récurrents, des régularités, dans les comportements des individus et groupes d'individus! Ce que dit l'individualisme méthodologique c'est que ces entités existent et s'expriment à travers les individus, leurs décisions, leurs actions, et qu'il n'y a pas de force sociale magique qui agisse en dehors de ces individus, sans ces individus voire malgré ces individus.

Ainsi, pour autant que l'on puisse trouver des explications holistes ou mémétiques à certains phénomènes, ces explications ne peuvent pas sans erreur aller contre des explications individualistes. C'est un filtre puissant permettant de détecter des absurdités dans certaines de ces explications, et dans les théories qui mènent à ces explications. Ainsi, quand on affirme la validité de la physique atomique, on ne nie pas que les atomes puissent s'assembler en molécules, qui, elles-mêmes, peuvent constituer des assemblages plus grands, bien au contraire. Par contre, grâce à la physique, on pourra vite dénoncer comme absurdes des théories alchimiques qui prétendent qu'on peut expliquer les phénomènes chimiques à partir de quatre éléments: eau, feu, air et terre; et on pourra tout aussi bien dénoncer comme des escrocs ceux qui prétendraient posséder la formule chimique d'une batterie inépuisable, ou utiliser de l'eau comme carburant, ou autrement violer les lois de la conservation de la matière, les lois de la thermodynamique, ou toute autre loi héritée de la physique atomique. De même on pourra reconnaître le caractère éminemment social de l'animal humain, s'émerveiller des harmonies économiques, comprendre la valeur immense de la civilisation et le danger des idées décivilisatrices ‒ et cela non seulement sans nier l'individualisme méthodologique, mais au contraire en voyant comme ces phénomènes se font à la fois par et pour les individus qui en participent. Et on pourra dénoncer comme absurde pseudoscience toute théorie sociale qui voudrait voir dans « la famille », « la nation » ou toute autre collectivité une force extérieure aux individus qui la compose, qui s'additionne à leurs actions, voire qui s'y oppose, ou qui autrement aurait une vie propre ou une cohérence interne malgré ces individus plutôt que par ces individus; et on pourra tout autant dénoncer les escrocs qui voudraient faire croire à un robinet à richesses venues « d'en haut » que les hommes politiques « débloqueraient », au sauvetage de la nation par le sacrifice de ses citoyens, ou à la violation de la loi de l'offre et la demande, de la loi de Bitur-Camember, ou de toute autre loi de la praxéologie.

La mémétique n'est pas une hypothèse, c'est un point de vue. Et ce point de vue méméticien est fort intéressant et enrichissant: dans la relation entre individus et idées, il renverse l'objet et le sujet. (Un mathématicien dirait qu'il s'agit d'un point de vue dual du point de vue individualiste, et saura qu'un changement de point de vue est souvent fort prolifique, tel la transformation de Fourier.) Ainsi, au lieu de s'intéresser à quelles idées un individu partage, et comment ces idées aident ou font obstacle à la survie et au succès de cet individu, la mémétique s'intéresse à quels individus sont habités par une idée, et comment ces individus aident ou font obstacle à la survie et au succès de cette idée. Il n'y a pas lieu à voir la moindre contradiction entre ce point de vue et le point de vue individualiste: toute affirmation ayant un sens dans un point de vue en a un dans l'autre point de vue. Le changement de point de vue permet de rendre évidentes des propositions qui ne l'auraient pas été de l'autre point de vue: par exemple, le fait que les mèmes répandus tendront à être ceux qui arrivent le mieux à convaincre les individus porteurs de les répandre; et que si de nombreux mèmes utiles participent de la culture et sont bénéfiques aux individus porteurs, il existe aussi de nombreux mèmes nocifs qui se répandent contre l'intérêt des individus porteurs qui en sont victimes. Par contre, l'individualisme méthodologique permet d'éliminer des théories mémétiques absurdes. Comme celles selon lesquelles certaines idées se transmettraient par télépathie sans que les individus porteurs les expriment aucunement. Ou que des idées puissent agir directement sans passer par des individus qui porteraient ces idées et agiraient en suivant toutes les lois que suivent ces individus, qu'elles soient praxéologiques, psychologiques, etc.
 

   

« Le socialisme, c'est le niveau zéro de la pensée économique et politique ‒ et le mème socialiste se répand par les failles cognitives qui font que nombreux sont ceux qui préfèrent en rester confortablement à ce niveau zéro que d'aller péniblement au-delà. »

   


Non seulement différents points de vue ne peuvent pas se contredire quand ils éclairent une même réalité, mais sont complémentaires et mutuellement féconds. Ainsi, on peut combiner les points de vue mémétique et individualiste dans l'étude des idées parasites. De même qu'un virus ou bacille qui tuerait trop vite ses hôtes n'aura au plus qu'un succès que de courte durée, une idée purement nocive qui mènerait ses tenants au suicide ne survivra pas longtemps (par exemple, l'adhésion à une secte qui prône le suicide collectif disparaîtra après ledit suicide). Ainsi, pour qu'une idée nocive survive longtemps face à des rivales moins délétères, il lui faudra bénéficier à certains individus, qui assureront sa propagation et la censure des idées rivales; et elle devra rendre ces individus plus puissants que ceux voudraient propager des idées contraires. Les idées nocives persistantes prendront donc systématiquement la forme d'idées politiques, qui favoriseront une classe de puissants prêchant ces idées (sincèrement ou pas, peu importe) contre leurs victimes, croyantes et non-croyantes; ces idées auront forcément aussi un côté non directement politique, pour justifier la confiscation des ressources économiques de victimes désignées. Or, la confiscation ouvertement au profit des puissants est susceptible de susciter une résistance active de victimes qui en reconnaîtrait l'illégitimité; les idées nocives persistantes éviteront donc toute lumière sur leur nature véritable, et justifieront leurs agressions au nom d'une entité désincarnée, comme Dieu, la nation, la société, les pauvres, les faibles ou le climat, que les puissants « représenteront » magiquement, dans une négation de l'individualisme méthodologique. L'individualisme méthodologique est donc une antidote contre ces idées nocives persistantes; et réciproquement, ces idées nocives persistantes seront toutes liguées contre l'individualisme méthodologique. Voici une conclusion nécessaire de la combinaison des points de vue mémétique et individualiste. Je laisse au lecteur le soin d'en tirer d'autres.

Maintenant, il ne me suffit pas de prouver qu'une question repose sur une erreur; si l'erreur persiste, il faut aussi en identifier la source et le mécanisme. De même que tout parasite se répand par une faille du système de défense de l'hôte, le parasite mémétique dépend crucialement d'une faille dans le mécanisme de défense cognitif des individus, c'est-à-dire de leur raison (prise ici dans un sens commun, notablement différent de celui par lequel les économistes disent que les individus économiques sont rationnels, voir notre précédente question sur l'épistémologie). En cela on peut distinguer les mèmes passifs, qui ne subvertissent pas la raison et ne se répandent que par leur utilité telle que froidement évaluée, et les mèmes actifs, qui subvertissent la raison et se répandent en suscitant des passions qui court-circuitent la raison. Notons qu'il ne faut pas systématiquement condamner tout mème actif comme étant parasite: il y a parfois de bonnes raisons de ne pas écouter la raison; par exemple, quand la raison approuverait, mais cela lui prendrait trop de temps (où les cas où elle désapprouverait seraient assez rares et peu graves pour que le bénéfice de les rejeter ne vaille pas le coût de la mettre en marche). Ainsi, quand l'ennemi est à vos portes et menace de vous détruire, il est temps de s'activer à le combattre sans plus réfléchir pourquoi ‒ il est même fort tard, et espérons-le, d'autres qui auront vu venir l'ennemi seront déjà préparés et auront pris les commandes. Mais le même réflexe, s'il n'est pas protégé par un solide filtre rationnel, va devenir la cible de nombreuses mèmes actifs eux pas du tout amicaux: des mèmes qui consistent à causer l'alarme permanente parmi la population pour qu'elle se range derrière ce qui se présenteront comme les « sauveurs » et obéisse. Tout mème actif est donc suspect, et passé l'urgence, doit être analysé comme parasite probable jusqu'à preuve du contraire; alors qu'un mème passif est moins suspect, et sa survie, en soi, donne lieu à une présomption de validité ou du moins d'utilité jusqu'à preuve du contraire, du moins dans le contexte où il est apparu et a survécu.

Parmi les failles psychologiques dans lesquelles s'engouffrent de nombreux mèmes actifs, il y a l'incapacité ou l'incompétence de beaucoup de gens à user d'abstraction et de causalité. Nombreux sont ceux qui, incapables de raisonner en termes logiques ou peu disposés à le faire, en reste à analyser les notions qui leurs sont présentées en termes principalement émotionnels: les pensées y sont organisées à travers une grille manichéenne de sentiments tantôt pour, tantôt contre; tantôt reliés, tantôt opposés; associés ou dissociés; les uns bons, les autres mauvais. Une telle partition gentil contre méchant met tout au même niveau, même des concepts pas qui ne sont pas du même type, pas du tout comparables. « L'individualisme est différent du holisme, voire le contredit sur certain points? C'est une opposition. Or, individu, individualisme vont ensembles. Groupe, holisme vont ensembles, et contre les précédents. L'un des deux conglomérat de sentiments est bon, l'autre est mauvais. » Dans ce niveau zéro de la pensée, tout se résume en une opposition cosmique de tout ce qu'on aura mis dans le sac « bon » contre tout ce qu'on aura mis dans le sac « mauvais ». Dès lors qu'on aura opposé l'individu à la collectivité, l'un sera mauvais et devra être sacrifié à l'autre qui sera bon. Une classification rapide des choses comme bonnes ou mauvaises est sans doute un réflexe souvent utile, surtout quand des décisions rapides sont nécessaires sans avoir besoin d'être précises, sur des sujets relativement dénués d'importance. Mais quand ce réflexe se substitue à l'analyse causale, il devient l'occasion pour des mèmes actifs d'encrer chez leurs victimes des conclusions absurdes qui serviront à protéger et propager des mèmes qui sauront l'exploiter.

Il faut se méfier de ceux qui voient partout des « alliances » et des « oppositions ». Cette pensée émotionnelle non-causale est un mal profond dont le socialisme et toutes les formes de gauchisme ne sont souvent que les symptômes apparents. Elle explique pourquoi ceux-ci voient toutes les relations sociales comme un jeu à somme nulle, pourquoi pour eux la « lutte » est le seul moyen concevable d'action sociale ou d'explication des structures sociales. C'est parce que le mode de pensée associatif-dissociatif, le tribalisme, le nous-contre-eux, la mentalité de meute, est le seul processus cognitif employé, à l'exclusion expresse de tout mode de pensée logique en terme de causes et conséquences. J'ai d'ailleurs analysé, dans un précédent article (aussi publié au QL), l'aspect proprement schizophrénique de ce mode de pensée socialiste à son paroxysme. Dans un infantilisme politique et économique, les désirs arbitraires des socialistes sont censés être satisfaits par un état-maman tout puissant, dans un refus délibéré de discuter des conséquences de choix à faire sur des ressources limitées, voire de la dynamique des incitations sous-jacentes aux interventions proposées. Ceux qui dénoncent ces enfantillages comme des absurdités sont vus comme des ennemis qui s'opposent à ces désirs arbitraires, au même titre que ceux qui refuseraient de se soumettre aux taxations et réglementations censées permettre ces miracles; un état-papa lui aussi tout puissant ira alors punir et détruire ces ennemis. Le socialisme, c'est le niveau zéro de la pensée économique et politique ‒ et le mème socialiste se répand par les failles cognitives qui font que nombreux sont ceux qui préfèrent en rester confortablement à ce niveau zéro que d'aller péniblement au-delà. Car, même pour une majorité qui serait capable de réfléchir, et qui n'a aucun intérêt personnel dans l'establishment socialiste, tout effort de pensée est pénible et le sera plus encore si les pensées taboues qui en résultent ne mènent qu'à la persécution.

Dans des cas légèrement moins avancés de la maladie mémétique socialiste, l'esprit reste capable de voir certaines contradictions logiques dans le discours socialiste, ou entre ce discours et la réalité. Mais bien loin de voir ces contradictions comme les preuves que leurs théories sont fausses et doivent être rejetées, ces socialistes sophistiqués s'auto-congratulent pour avoir identifié des « paradoxes » et se sentent supérieurs au commun des mortels qui ne l'aurait pas fait. Puis, ils rejettent la raison et la logique même, déclarant que c'est l'univers qui n'est pas cohérent, la réalité qui se pliera à leurs désirs par quelque foi mystique. Et puisque la logique n'est pas opérative, c'est à la force qu'il reviendra en fin de compte de « convaincre » les réticents. Proudhon était notamment fier de toutes les « contradictions » dans ses théories, et peu anxieux de les résoudre. Ce rejet de la raison, qui ne dit pas toujours son nom, est là encore un symptôme typique d'un mal profond dont le socialisme n'est que la conséquence. Nombreux sont les intellectuels socialistes fiers d'échapper au « sens commun » et d'embrasser des positions « avancées » contraires à ce sens commun.

Enfin, dans la plupart des cas sans doute, il s'agit de double-pensée: la capacité à penser fort rationnellement dans certains cas, et à éteindre toute critique rationnelle dans d'autres cas. La double-pensée, terme orwellien, est en fait commune dans toutes les religions (sauf la vôtre, bien sûr, qui est vraie, cher lecteur, mais en tout cas dans toutes les autres religions, qui sont au moins partiellement fausses). Dans La pensée captive, Czesław Miłosz, partant de l'expérience polonaise sous les jougs allemand et russe, décrit en détail les mécanismes psychologiques par lesquels le socialisme s'impose sur les esprits quand il a assuré son pouvoir politique ‒ et les compare au Ketman, la pratique de double-pensée qui règne dans les pays musulmans, bien documentée notamment par le docteur Gobineau. En fait, la double-pensée est commune dans tous les cas où des croyances sont établies et où parler contre ces croyances nuit gravement à la santé du dissident; elle est le fruit de l'impuissance apprise dans tous les cas où les individus sont impuissants et sont donc rationnellement irrationnels; elle vaut pour tous les esprits concrets qui, n'étant pas individuellement libre de choisir et d'expérimenter, n'auront pas développé la connaissance interactive, faite d'essais, d'erreurs et de réussites, par lesquelles ils pourraient appréhender un domaine où du coup leur rationalité ne s'applique pas. Dans tous ces cas, les esprits qui ne sont pas exceptionnellement et à la fois intègres, têtus et passionnés dans la recherche de la vérité s'abandonneront à cesser toute pensée rationnelle sur un domaine où une telle pensée ne les mène qu'à davantage de souffrance.

Dans certains cas extrêmes, le dérangement mémétique socialiste se nourrit d'une incapacité intellectuelle à raisonner, d'ordre psychiatrique; mais dans la plupart des cas, les victimes mémétiques sont des individus autrement sains d'esprit, mais attrapés par la paresse intellectuelle, par la facilité à substituer l'émotion à la raison, par le confort de partager ces opinions faciles, par la flatterie du sens tribal de faire partie des gentils qui se battent contre les méchants, et surtout, par la défaite face à la domination des idées socialistes. Ainsi, la plus grande faille psychologique exploitée par les mèmes socialistes est bien le syndrome de Stockholm: dans une société de caste, où le statut social compte beaucoup, il est de l'intérêt rationnel de chaque individu d'adhérer aux dires des puissants et de se distancer du discours des faibles; or, si quelques hypocrites et sociopathes n'ont aucun mal à dire quelque chose et penser le contraire, la plupart des gens en sont incapables: les mots conciliants envers le pouvoir, qu'ils répètent de gré ou de force, sincèrement ou hypocritement, finissent par devenir une seconde nature, une part de leur personnalité, une influence involontaire sur leurs opinions et leurs sentiments. La propagande inlassablement répétée par tous les médias a donc un effet certain sur la masse des esprits trop faibles pour résister; et cet effet s'accélère avec la mainmise grandissante du socialisme, sur les institutions et sur les esprits, l'un par l'autre.

En conclusion, non seulement l'individualisme méthodologique ne nie pas les phénomènes supra-individuels ou infra-individuels, et ne contredit pas la science de ces phénomènes, l'individualisme méthodologique est un fondement important pour ces sciences. Les points de vue macro-historique aussi bien que micro-mémétique ont beaucoup à gagner de l'individualisme méthodologique, et cet individualisme méthodologique trouve en eux un terrain fertile d'applications. Et c'est bien pourquoi les individus, les institutions et les mèmes parasites sont tous intéressés à discréditer l'individualisme méthodologique, qui met en lumière leurs escroqueries intellectuelles.

À suivre...

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Grégoire Canlorbe est un entrepreneur intellectuel français. Il réside actuellement à Paris.

   
 

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